La mendiante, le mendiant et moi



Au cœur des jours et des nuits

La mendiante, le mendiant et moi

Je pensais bien remettre un peu d’argent à la dame qui me demandait de l’aider à payer le transport en commun. Nous attendions tous deux le bus, et la dame s’est approchée discrètement de moi pour me faire la demande. Elle n’avait pas vraiment besoin d’insister. Je n’avais pas besoin de l’écouter jusqu’au bout non plus. Tout était clair. Visiblement, la dame était dans le besoin, et je connais bien la situation parce que, toute ma vie, je me retrouve constamment dans le besoin. Il y a même des jours où je pourrais désespérer, penser que je ne verrais pas facilement le lendemain.

J’avais donc compris la situation de la dame et surtout sa gêne, la honte que l’on éprouve à dire à un inconnu qu’on a besoin de lui, qu’on a besoin d’un geste de sa part pour nous sauver. C’est un peu comme si on se déshabillait en public, même si on est seul à seul. Et si on ne souhaite pas se retrouver soi-même dans une pareille circonstance, on peut facilement comprendre qu’il faut arrêter le plus tôt possible la personne qui se tient devant vous et qui vous demande de l’aide. Il faut l’arrêter en lui répondant tout de suite si la réponse est négative, ou plutôt, en donnant ce qu’on vous demande.
J’avais donc ma main dans une poche. J’avais saisi un billet de banque et je le pliais discrètement pour qu’il tienne bien dans la main afin que personne d’autre ne s’aperçoive que je remettais de l’argent à la dame qui se tenait devant moi. Il faut ainsi sauver l’honneur de la mendiante. 
Et j’allais tirer ma main de la poche lorsque, tout à coup, surgissant de nulle part, un homme s’approcha de la dame et lui fit exactement la même demande et presque dans les mêmes termes. Il demanda à la dame quelque chose pour l’aider à payer le transport en commun.
La dame avait suivi comment je tirais ma main de ma poche. J’avais arrêté le mouvement. La dame manqua visiblement de mot pour répondre au mendiant qui se tenait soudain à côté d’elle. La dame n’eut qu’un regard embarrassé, presque méprisant et indigné. Et sans demander son reste, comme on le dit si bien en français, la dame est partie.
J’étais embarrassé moi-même. Je voyais la dame s’en aller, et le monsieur avait disparu comme il était apparu. Subitement.
Le mendiant est donc parti lui aussi, sans rien me demander. Peut-être ne demande-t-il de l’argent qu’aux femmes, pour une raison ou une autre. On dit aussi que les femmes préfèrent demander de l’argent rien qu’aux hommes. Peut-être le mendiant était-il intervenu juste pour me sauver de la mendiante. J’en suis allé jusqu’à penser beaucoup d’autres choses. 
J’ai notamment pensé que je n’étais pas différent du mendiant et de la mendiante. Mon travail ne m’apporte que le minimum du nécessaire pour vivre. Pour le reste, je dépends de la générosité des autres. Je dépends surtout de la providence divine. 
Le mendiant, la mendiante et moi-même, nous avons à nous rappeler ce que Jésus de Nazareth avait dit : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » (Actes 20,38) Paul de Tarse aussi s’en remettait à la providence, lui qui était pourtant fier de travailler de ses mains pour vivre. Paul reconnaissait aussi d’avoir reçu des autres de quoi vivre. Et Paul demande : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1Cor 4,7) Le mendiant, la mendiante et moi-même, nous prions chaque jour le Notre Père en disant : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. »

Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com

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