Le nouvel Accord-cadre entre l’Eglise et l’Etat expliqué aux personnes consacrées de Kinshasa
Le mercredi 27 juillet, au Centre interdiocésain, siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo, à Kinshasa-Gombe, la Conférence des supérieurs majeurs (COSUMA-RDC) a réuni des dizaines de supérieurs et économes de communautés religieuses de Kinshasa pour une information sur l’Accord-cadre signé le 20 mai 2016 entre le Saint-Siège et la République Démocratique du Congo sur des matières d’intérêt commun. Pour le nonce apostolique, Mgr Ettore Balestrero, la rencontre était nécessaire pour la responsabilité à partager par les religieuses et religieux avec les évêques et la nonciature apostolique. Le nonce a invité les personnes consacrées à travailler et à grandir ensemble dans la communion et la responsabilité, la vigilance et la charité pastorale.
Une opportunité et un grand cadeau
Le nonce apostolique a qualifié cet accord d’une « révolution copernicienne » sur le plan juridique. De caractère international, cet accord relève du régime concordataire. Il fait écho à un précédent accord signé en 1906 entre le Saint-Siège et l’Etat Indépendant du Congo, sous le roi des Belges Léopold II.
L’Eglise catholique n’a plus le statut d’une Association Sans But Lucratif (ASBL). Elle ne relèvera plus du ministère de la justice. L’Eglise catholique et ses institutions reconnues par le droit canonique jouissent désormais de la personnalité juridique à caractère public. Elles ne relèveront plus du ministère de la Justice pour leur reconnaissance auprès de l’Etat congolais. Un service chargé des entités ecclésiastiques sera ouvert, s’il ne l’est déjà, au ministère des Affaires Intérieures. La nonciature apostolique et/ou la Conférence épiscopale notifieront selon leurs compétences respectives au ministère des Affaires étrangères ou au ministère de l’Intérieur pour enregistrement, par un service compétent avant publication au Journal Officiel, de l’érection, de l’existence ou de la suppression des institutions ecclésiastiques ayant la personnalité juridique canonique.
Pour le nonce, cet accord-cadre est une opportunité et un grand cadeau du Saint-Siège, qui l’a négocié depuis plusieurs années grâce à des instances compétentes. Le nonce a rappelé l’histoire.
L’accord-cadre est en fait entré en vigueur le 17 janvier 2020 avec l’échange des instruments de sa ratification entre le Pape François et Monsieur Felix-Antoine Tshisekedi, Président de la RDC. Il a été signé, au niveau international, au Vatican, le 20 mai 2016, entre Mgr Paul Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les Etats et Raymond Tshibanda, alors ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la RDC. Au niveau national, le premier Ministre Jean-Michel Sama Lukonde a signé à Kinshasa, le 17 juin 2022, un décret portant modalités et mesures d’application de l’accord-cadre entre le Saint-Siège et la RDC. Le 2 juillet 2022, en présence du cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté le Pape François, cinq accords spécifiques ont été signés à Kinshasa entre des ministres spécifiques et le président de la Conférence épiscopale, Mgr Marcel Utembi, archevêque de Kisangani. Les accords portent sur des matière d’intérêt commun.
Le temps est maintenant venu de l’application par les entités décentralisées ecclésiastiques et étatiques. D’où l’implication attendue des partenaires que sont les diocèses et les instituts de vie consacrée, les sociétés de vie apostolique et les instituts séculiers.
Des facilités qui ne sont pas des privilèges
L’accord-cadre est en fait une reconnaissance par l’Etat de la liberté religieuse et de la dimension sociale de l’activité évangélisatrice de l’Eglise. On retrouvera ainsi certains détails concrets qui prévoient des facilités, qui ne sont pas du tout des privilèges.
Ainsi, selon le décret du Premier ministre du 17 juin 2022, les permis de séjour et les demandes de visas par des ecclésiastiques ou des religieux, dans les conditions requises, seront désormais « examinées avec diligence et bienveillance par les missions diplomatiques ou consulaires ». L’octroi du visa et du permis de séjour est gratuit.
Le décret garantit aussi le respect de l’identité et des signes religieux et des titres régulièrement portés à la connaissance des autorités compétentes. Il assure aussi l’inviolabilité des lieux de cultes (églises, chapelles, oratoires, cimetières et leurs dépendances). L’Etat examinera avec bienveillance et célérité la demande d’espaces pour la construction de lieux de culte ou leur agrandissement et modifications.
Le décret soumet aussi au respect des normes canoniques toute nomination, par l’Etat, d’un prêtre ou d’un religieux. La nomination doit requérir l’accord écrit de l’évêque diocésain ou du supérieur général de la personne concernée.
Pour toute infraction, les membres de l’Eglise catholique sont bien sûr justiciables des juridictions de droit commun. Mais, sauf en flagrant délit, concernant les poursuites d’un clerc, religieux ou religieuse, avant de déclencher l’action publique, les autorités judiciaires en feront connaître les motifs « confidentiellement à l’évêque du lieu du domicile de l’intéressé ou celui du lieu de la commission des faits ». Les supérieurs des religieux seront aussi avertis. Concernant un évêque, il faudra une autorisation préalable du Parquet général près la cour de cassation, et le Saint-Siège en sera aussitôt informé par les autorités via la nonciature apostolique.
On notera aussi que le secret de la confession est reconnu. Il est ainsi interdit d’interroger un clerc en matière de la confession. Le secret en est absolu et inviolable. « Les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses ont droit au respect de leur obligation au secret lié à leur état ».
Il est aussi reconnu à l’Eglise catholique le libre accès aux moyens publics de communication, notamment les journaux, revues, radios, télévisions et sites internet. L’Etat garantit à l’Eglise la liberté d’éditer, de publier, de divulguer et de vendre des livres, des journaux, des revues et du matériel audiovisuel, informatique et numérique. L’Eglise jouit aussi de la liberté d’organiser toute activité étroitement liée à sa mission spirituelle dans le respect de la loi et de l’ordre public.
Pierre d’angle d’une nouvelle coopération pacifique et fructueuse
Lors de la signature de cinq accords spécifiques le samedi 2 juillet 2022 à Kinshasa, le cardinal Pietro Parolin a déclaré que l’accord-cadre est la « pierre d’angle d’une nouvelle collaboration, plus intense et plus ordonnée », pour une « coopération pacifique et fructueuse de l’Eglise avec les institutions civiles », à la « juste reconnaissance » de la contribution de l’Eglise au bien commun et au bon développement des relations entre l’Eglise et l’Etat. Pour le cardinal Parolin, les accords spécifiques signés dans les domaines d’action éducative, caritative et sociale visent le service du peuple congolais, le développement humain intégral de toutes les personnes, surtout des plus pauvres et des plus nécessiteuses.
Ces accords portent sur des associations à caractère d’intérêt général pour des activités spécifiques de la mission de l’Eglise, sur la reconnaissance des titres académiques octroyés par les instituts du niveau supérieur, sur des facilités en matière douanière et fiscale, sur les aumôneries des établissements pénitentiaires et hospitaliers et sur des instituts d’assistance médicale, scolaire et sociale.
D’autres accords seront signés plus tard. Les cinq premiers signés le 2 juillet sont relatifs aux exemptions, facilités fiscales et douanières, à la santé et à l’assistance médicale, l’éducation à tous les niveaux, les établissements pénitentiaires et l’établissement de garde et d’éducation de l’Etat et l’activité pastorale de l’Eglise en faveur des orphelins et personnes de troisième âge, celles vivant avec handicap et autres personnes vulnérables.
Les domaines d’intérêt commun impliquent divers ministères dans leurs attributions. Les accords spécifiques portent ainsi les signatures des ministres à côté de celle du président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, Mgr Marcel Utembi, archevêque de Kisangani. Ce sont les ministères concernant l’Intérieur, les Affaires étrangères, la Fonction publique, la Justice, le Budget, l’Urbanisme, l’Habitat, la Défense nationale, l’Enseignement primaire, secondaire et technique, la Santé publique, l’Enseignement supérieur et universitaire, les Affaires foncières, les Postes, la télécommunication et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le Numérique, la Communication et les médias, les Affaires sociales et la Culture et les arts.
Le cardinal Parolin a précisé le fait que l’Eglise ne demande pas de privilèges. « Elle ne demande qu’à être reconnue dans son identité propre et à s’accorder avec les autorités étatiques sur l’aide publique qui lui permet de remplir sa mission » dans les domaines cultuel, social et culturel. En revanche, l’Eglise s’engage à respecter ses engagements « avec honnêteté et responsabilité ».
Dans le respect de l’éthique catholique
L’orientation catholique est un cachet particulier dont l’accord-cadre tient bien compte. Dans le domaine de la santé et de l’assistance médicale, par exemple, l’Etat congolais garantit l’effectivité de la conséquente objection de conscience. La RDC s’engage « à respecter et à ne pas préjudicier l’éthique et la déontologie des structures de santé ».
L’Eglise elle-même se fera vigilante pour gagner ainsi la crédibilité. Le 27 juillet, le nonce apostolique a martelé sur le respect des accords dans un esprit de sobriété et de transparence, de service et de dévouement. Il a rappelé que le canon 1376 du droit canonique de l’Eglise prévoit des sanctions en cas de dommages dans l’administration de biens ecclésiastiques. Pour le nonce, si l’Eglise se veut prophétique, elle doit bien vivre en elle-même ce qu’elle prêche aux autres.
Les propos du nonce ont été étayés par des conférenciers venus de la nonciature apostolique et de la Conférence épiscopale nationale du Congo. Ils ont instruit les consacrés sur différents aspects de la teneur et de la mise en pratique attendue de ce « grand cadeau » du Saint-Siège à l’Eglise de la RDC. Les uns et les autres ont rappelé l’esprit de communion et de responsabilité, insistant, par exemple, sur la nécessité de vivre dans l’ordre pour mieux traiter avec l’Etat. Et puisqu’il s’agit de la charité et du salut des âmes, il convient donc de cultiver connaissance, expérience, honnêteté, sagesse, intelligence, humilité…
Ils ont insisté aussi sur le respect des procédures et de la hiérarchie. Les listes déclaratives des entités à communiquer seront compilées par les évêques diocésains qui les transmettront à la Conférence épiscopale. Le rôle de la COSUMA sera bien déterminant dans la collaboration avec les évêques diocésains, pour le respect de l’équilibre entre gouvernement des évêques et autonomie des instituts de vie consacrée.
Une structure de contrôle et de vulgarisation
En vue d’accomplir au mieux l’obligation de la bonne gouvernance administrative et financière, la Conférence épiscopale mettra sur pied une structure de suivi et de contrôle, dans le respect des procédures canoniques. Monsieur l’abbé Georges Kalenga, deuxième secrétaire général adjoint de la Conférence épiscopale, a expliqué jusqu’où cette structure garantira aussi la vulgarisation et l’interprétation authentique des dispositions de l’accord-cadre. La structure sera créée aux niveaux national, provincial (ecclésiastique) et diocésain.
Il a aussi insisté sur le besoin de l’esprit de transparence, de service et de dévouement lorsqu’il s’agira notamment d’instaurer une vision commune entre tous et d’encadrer les entités ecclésiastiques, qu’il s’agisse de se faire enregistrer auprès de l’Etat, d’établir les listes pour la fiscalité et la douane...
Les dispositifs d’application de l’accord-cadre montrent bien qu’il s’agit d’un processus à réaliser dans la patience. De nouveaux éléments s’ajouteront. La formation des instances et des partenaires est donc nécessaire.
Jean-Baptiste Malenge Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
Comment un prêtre doit désobéir à son chef?
RépondreSupprimerC'est bien lorsque l'église doit tisser des bonnes relations avec l'état. Et cela permettra de mieux accomplir le bien-être universel. Par ailleurs, il faut que l'église soit plus particulièrement assainie à l'intérieur surtout face au tribalisme et les injustices.
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