J'ai dansé pour toi
Au
cœur des jours et des nuits
J’ai dansé pour toi
Une amie d’enfance me l’a
rappelé. Elle a dansé pour moi le jour de ma fête au village. Elle avait dansé
pour moi, mais je ne m’en souvenais pas. Tout simplement, je ne l’avais pas
remarquée. Je me souviens bien plutôt qu’à onze ans, cette amie dansait comme
moi et souvent avec moi. A la tombée de la nuit, le gong et le tam-tam
convoquaient le village, et nous étions nombreux à accourir vers la place du
village pour commencer, par la danse, nos soirées, surtout pendant les
vacances. Les grandes vacances tombaient pendant la saison sèche, et la danse
réchauffait beaucoup contre la fraîcheur de la saison.
Je me souviens qu’un jour,
nous étions du groupe de ceux qui ont accepté spontanément de mener la danse
jusque dans le village situé à vingt kilomètres. Il y avait un festival de
danse pour toute la contrée. Notre village a remporté le premier prix. Nous en
étions fiers. Nous avons bien dansé, nous étions les meilleurs. Mon amie a
continué à danser, moi aussi, chacun de son côté, dans les circonstances où la
vie nous a emmenés. Mais nous nous sommes perdus de vue, et je ne peux me
rendre compte du fait que mon amie d’enfance continue à danser, comme moi-même,
d’ailleurs.
Mon amie dit avoir dansé à
mon honneur, le jour de ma fête au village. Je n’ai pas remarqué mon amie parce
que j’étais moi-même tout accaparé par la danse. Quand on danse, on fait bien
attention aux autres, mais j’aime me concentrer surtout sur moi-même, contrôler
mes mouvements, le rythme et la présence à moi-même. En dansant, il faut éviter
le contretemps et le contre-pied. Il faut suivre le rythme, il faut de
l’harmonie. La danse épouse le temps et l’espace. La danse habite la culture.
Les étrangers danseront souvent à contretemps et à contre-pied. Mais nous,
c’est comme si nous avions le rythme dans le sang et dans le souffle. La danse
vous assigne une place, vous rappelle le lieu de votre naissance. Il faut
respecter sa place, respecter les autres et soi-même. Ne dansez pas n’importe
comment ni n’importe où. Si vous dansez n’importe quand et n’importe où, on
peut vous prendre pour un malade mental.
Si vous respectez le temps et
l’espace en dansant, si vous vous respectez, et si vous respectez les autres,
chacun à sa place, la danse vous aidera à grandir en vous-même et vous confirmera
dans la société. La danse peut même vous ouvrir à Dieu. Voilà pourquoi on danse
dans les églises. Sauf exception, en Afrique, en République démocratique du
Congo, en tout cas, toutes les religions font danser. Même le pape dansera le
jour où il participera à la messe à Kinshasa. Pour beaucoup de Congolais, prier
veut dire danser et danser sans fin, à temps et même à contretemps.
La danse vous ouvre à Dieu et
vous rend humble devant Dieu. Ceux qui se prennent trop au sérieux n’oseront
jamais danser en public, même pas dans une église. Dans l’église, chacun sait
qu’il doit danser, à un moment ou à un autre, et à un endroit donné. J’aime ainsi
les servants de la messe. Ils prennent du temps à répéter les mouvements et les
gestes, à les compter, à les perfectionner. J’aime aussi les fillettes qui
dansent devant l’autel. Elles viennent à la messe pour danser. Elles dansent
pour Dieu. C’est leur manière de prier.
Mon amie d’enfance a dansé
pour moi. Elle a célébré ainsi notre amitié.
Jean-Baptiste
MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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