Mémorandum de la Cenco au Président Joseph Kabila
Mémorandum
du Comité
permanent de la Conférence
Episcopale
Nationale du Congo
au
Président de la République sur l’état actuel de la Nation
Préambule
Excellence
Monsieur le Président de la République,
1. Dans
votre discours du 15 décembre 2012 sur l’état de la Nation, vous avez annoncé
une initiative noble et louable en vue de renforcer la cohésion nationale. Nous,
Archevêques et Evêques, membres du Comité permanent de la Conférence Episcopale
Nationale du Congo (CENCO), réunis en session ordinaire à Kinshasa du 18 au 22
février 2013, saisissons cette occasion pour joindre notre voix à celle d’autres
Congolais en vue d’apporter la contribution de l’Eglise catholique pour sa concrétisation.
2. Votre
promesse a suscité plusieurs attentes au sein de toutes les couches de la
population congolaise en général et de la classe politique en particulier. L’idée
d’un dialogue a émergé et elle est accueillie par d’aucuns comme voie de sortie
de la crise qui secoue notre pays depuis la publication des résultats des élections
de novembre 2011. Cette crise s’est aggravée à travers les violences dans l’Est
de notre pays. Ces violences ont conduit à des situations tragiques liées à la
prise et à l’occupation de la ville de Goma par le M23.
3. Nous
estimons, comme déjà affirmé dans nos précédents messages et déclarations[1],
que le dialogue est une voie royale et
pacifique de sortie de crise. Il est un élément constitutif de tout système
démocratique. Dans le contexte actuel de crise, il convient de bien l’appréhender
pour qu’il contribue effectivement à la solution des problèmes qui entravent la
bonne marche de notre pays.
4. Les
signes de cette crise sont multiples. Nous en épinglons les plus saillants qui
nous préoccupent le plus et aggravent
les frustrations de la population congolaise.
I. NOS PREOCCUPATIONS
Au plan politique
5. Nous
reconnaissons et apprécions à leur juste valeur la volonté et les efforts
déployés par le Gouvernement de la République en vue de démocratiser le pays. Nous
relevons cependant, un malaise lié au manque de consensus national au lendemain
des élections de novembre 2011, dû aux irrégularités dénoncées, aux
contestations des résultats et à la manière expéditive dont la Justice s’est employée
à résoudre les contentieux électoraux. Jusqu’à ce jour, le processus électoral demeure
inachevé. Les élections locales qui devraient aider à construire la démocratie
à la base et à rapprocher ainsi le peuple de ses gouvernants sont de nouveau
hypothéquées[2].
La responsabilité du pouvoir organisateur est lourdement engagée. La
décentralisation prescrite dans la Constitution tarde à se concrétiser.
6. De
nombreux partis politiques, facilement agréés, évoluent sans projet de société
fiable, car ce qui semble les intéresser, c’est la conquête du pouvoir pour le
pouvoir. Ceci constitue une entrave sérieuse à notre jeune démocratie.
7. Certaines
organisations de la Société civile, au lieu de remplir leur mission de défendre
les intérêts du peuple, se laissent récupérer par les partis politiques pour
des ambitions politiques et des profits matériels.
Au plan socio-économique
8. Nous
constatons des efforts réels pour la maîtrise de l’inflation et la
stabilisation du cadre macro-économique. Mais, la création des industries de
transformation de nos matières premières fait défaut et l’investissement dans
le domaine agricole n’est pas encore à la hauteur des besoins du pays. Par
conséquent, le degré de pauvreté de notre population a atteint des proportions
qui nous inquiètent et nous préoccupent comme Pasteurs. Pendant ce temps, nous continuons
d’assister à une économie prédatrice et extravertie.
9. L’élaboration
d’une politique nationale de gestion des ressources naturelles pour le
bien-être du peuple congolais et le développement du pays, ainsi que la
connaissance de la valeur précise de ces ressources, demeurent une
préoccupation permanente. Cela donne l’impression que le pays navigue à vue,
sans repères pour une gestion durable de ses richesses. Ceci l’expose à toute
forme de pressions des multinationales et de certaines puissances avides
d’accéder aux ressources minières, pétrolières ainsi que forestières et de les contrôler.
10. En
même temps, la mise en œuvre du plan de développement des infrastructures peine
à se concrétiser. Des populations ont le sentiment d’être abandonnées par l’Etat,
surtout dans les zones frontalières où la tentation de céder aux cris des
sirènes qui promettent la libération, est considérable.
11. Les
besoins de base, notamment l’alimentation, la santé, le logement et l’éducation
ne sont pas suffisamment pris en compte par le programme du Gouvernement.
12. La
rétrocession et la péréquation qui devraient garantir le développement des
provinces et la solidarité nationale ne sont pas respectées. Cela ne fait
qu’aggraver les frustrations dans les provinces.
Au plan sécuritaire
13. Il
y a plus de dix ans que le Gouvernement travaille à mettre sur pied une armée
républicaine. Des avancées sont perceptibles mais des efforts doivent être poursuivis
pour atteindre les résultats escomptés. Car, avec une armée forte et dissuasive
l’on neutraliserait les groupes armés qui prolifèrent et sèment la mort et le
désarroi, surtout en des endroits économiquement dotés des richesses naturelles.
La présence de ces groupes armés dans des zones d’exploitation des ressources naturelles
déstabilise et insécurise la population riveraine. Tous les conflits se
déroulent dans les couloirs économiques et autour des puits miniers[3].
14. Le
souci de moderniser notre Police nationale est réel. Mais il convient de
renforcer sa formation et son équipement pour lui permettre de lutter plus efficacement
contre la violence urbaine
15. La
Justice, l’un des piliers d’un Etat de droit, ne rassure pas le peuple en RD
Congo faute d’indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs. De nombreux
observateurs avertis notent que le système judiciaire congolais est marqué par
une corruption éhontée et l’impunité[4]. Alors
que la Constitution prévoit l’éclatement de l’actuelle Cour Suprême de Justice
en trois juridictions (Cour constitutionnelle, Cour de cassation et Conseil
d’Etat), aucune de ces juridictions n’est encore installée.
Excellence
Monsieur le Président de la République,
16. Ces
préoccupations majeures sont à la base de la fragilisation de la cohésion
nationale, du retard dans la consolidation de la démocratie et du développement
tant attendus par tous les Congolais.
II. NOS PROPOSITIONS
17. Malgré
ces signes de crise, nous restons persuadés qu’un lendemain meilleur est
toujours possible et à la portée de la RD Congo. Cet espoir ne deviendra
réalité que par l’engagement sincère de tous et de chaque Congolais dans
l’édification de notre pays. Toutes les
forces vives de la Nation appelées au dialogue, ont à apporter leur concours
dans la construction d’un Congo réellement démocratique. Mais, elles doivent
s’engager sincèrement, de prime abord, dans le respect de la souveraineté
nationale, de l’intégrité territoriale et de l’ordre constitutionnel.
Dans le domaine
politique
18. Le
respect de l’ordre constitutionnel doit être observé par tous. C’est le gage de
la cohésion et de l’unité nationales. La
CENCO est fermement opposée à toute tentative de modification de l’article 220,
article verrouillé dans notre Constitution qui stipule : « La forme républicaine de l’Etat, le
principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le
nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du
pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical ne peuvent faire
l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». A cet effet, nous
nous engageons à sensibiliser la population congolaise pour qu’elle comprenne
l’importance de cet article pour la stabilité du pays.
19. La
cohésion nationale doit être fondée sur les valeurs républicaines, notamment
l’amour de la patrie, la justice, la paix et le travail qui doivent être partagées
et défendues par tous les Congolais. C’est pour cette raison que l’esprit de
division et d’ethnicisation des problèmes sociopolitiques ne rime pas avec ces
valeurs.
20. Que
le Gouvernement nomme à des responsabilités dans la gestion de la chose
publique des personnes capables et honnêtes. Car, il n’est pas acceptable que ceux
qui exercent les pouvoirs publics se plaignent avec le peuple de ce qui ne va
pas dans leur juridiction. Qu’ils prennent au contraire leurs responsabilités,
qu’ils punissent les coupables et qu’ils récompensent les bons et loyaux
citoyens[5].
21. Il
faut également souligner que le renforcement de l’autorité de l’Etat est encore
à promouvoir de manière à rassurer toute la population congolaise et à la
sécuriser. Car, l’Etat n’est pas un concept creux. Il implique tout un ensemble
de droits et d’obligations vis-à-vis du peuple. De son côté, le peuple, tout en
exigeant le respect de ses droits, est dans l’obligation de reconnaître et de remplir
ses propres devoirs vis-à-vis de l’Etat.
22. Le
processus de décentralisation doit se poursuivre. Cependant, il doit être bien
planifié, profondément étudié pour ne pas servir de prétexte à la balkanisation
et à des velléités sécessionnistes. A cet effet, les textes juridiques prévus
par la Loi fondamentale appellent des précautions nécessaires pour éviter tous
ces pièges et la mise sur pied des structures inefficaces, improductives et
inutilement coûteuses[6].
23. La
loi révisée de la CENI ne donne pas de garanties suffisantes de son indépendance
et de son impartialité. Il renferme des germes de conflictualité dans le fonctionnement
du bureau de la CENI. Il importe de dépolitiser cette instance pour
crédibiliser les futures élections dans notre pays.
Dans le domaine socio-économique
24. L’avenir
harmonieux de notre pays exige une économie de développement au grand profit de
l’homme congolais. Cela requiert que l’on investisse dans l’alimentation, la
santé, l’habitat et l’éducation.
25. Un
plan d’industrialisation des secteurs minier, forestier et des hydrocarbures
doit être promu. Il permettra la création d’emplois, le développement des
infrastructures et l’augmentation de la richesse. Et grâce à une bonne gestion,
le Gouvernement sera en mesure d’assurer un salaire juste et digne ainsi qu’une
sortie de retraite honorable à tous ses fonctionnaires notamment, les enseignants,
le personnel médical, les militaires et les policiers.
26. La
lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscale doit être menée efficacement,
impartialement et sans complaisance. L’exemple doit venir d’en haut. C’est
pourquoi il revient au Gouvernement et au Parlement de donner en premier
l’exemple de respect du principe de reddition des comptes.
Dans le domaine
sécuritaire
27. En
vue de la réforme de nos Forces armées, un état des lieux est tout indiqué
comme prioritaire pour lever des orientations fondamentales à la mise sur pied
d’une armée républicaine. Pour atteindre ce résultat, des primes de guerre ou
des privilèges à un groupe, quel qu’il soit, devraient être évités.
28. L’équipement
et la formation de la Police méritent une attention particulière du
Gouvernement en vue d’assurer la sécurité des populations victimes des
violences dans les cités et les villes.
29. Les
trois juridictions prévues dans notre Constitution, à savoir la Cour
constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, devraient être
instituées.
CONCLUSION
Excellence
Monsieur le Président de la République,
30. La
Nation se trouve à un tournant décisif : elle peut réussir un avenir
meilleur si toutes ses forces vives s’engagent à respecter les règles de la
démocratie et à observer scrupuleusement l’ordre constitutionnel. C’est
pourquoi, dans le contexte qui est le nôtre, nous réaffirmons que notre Constitution, qui a fait l’objet d’un
consensus national par un referendum et qui est le socle de notre démocratie,
ne doit pas être modifiée en son article 220. Nous en appelons vivement à
la sagesse et à la responsabilité de tous les élus.
31. Notre
vœu est que le dialogue envisagé affronte
avec courage et sincérité les préoccupations vitales de la Nation. Dans le
respect des opinions des uns et des autres, que l’on promeuve le bien suprême
de la Nation. La refondation morale de
notre société doit demeurer au centre des préoccupations de tous, car sans
éthique dans l’agir politique, il est difficile à la RD Congo de progresser et
de se développer.
32. Avec
foi et espérance en Dieu dont l’amour absolu nous est révélé de manière
éminente dans la croix de son Fils Jésus-Christ, nous lui confions par
l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, le peuple congolais et
tous ses gouvernants.
33. Veuillez
agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre
haute considération et de nos sentiments dévoués en Notre Seigneur
Jésus-Christ.
Fait à Kinshasa,
le 22 février 2013
[1] Cf.
CENCO, Le peuple congolais a faim et soif
de justice et de paix. Le courage de la vérité (cf. 2 Co 7, 14). Message de
l’Assemblée plénière extraordinaire de la CENCO aux fidèles catholiques et à
l’ensemble du peuple congolais, 11 janvier 2012, n. 6 ; CENCO, Peuple congolais, lève-toi et sauve ta patrie. Fidélité à l’unité
nationale et à l’intégrité territoriale de la RD Congo (cf. 1Ma 14, 35). Message
du Comité permanent de la CENCO sur la situation sécuritaire dans notre pays, 5
décembre 2012.
[2] Cf.
CENCO, Année électorale : que
devons-nous faire ? (Ac 2, 37). Exhortation du Comité permanent de la
CENCO aux fidèles catholiques, aux hommes et aux femmes de bonne volonté, 25
février 2011, n. 6.
[3]
CENCO, La RD Congo pleure ses enfants,
elle est inconsolable (Cf Mt 2, 18). Déclaration du Comité permanent des Evêques
sur la guerre dans l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo, 13 novembre 2008,
n. 4.
[4] Cf. CENCO,
« La justice grandit une
nation » (cf Pr 14, 34). La restauration de la Nation par la lutte contre
la corruption. Message aux fidèles catholiques, aux hommes et aux femmes de
bonne volonté à l’occasion du 49è anniversaire de l’indépendance de
la RD Congo, 10 juillet 2009.
[5] Cf.
Conférence Episcopale du Zaïre, Pour une
Nation mieux préparée à ses responsabilités. Message des Evêques du Zaïre
aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté, n. 23.
[6] Cf.
CENCO, A vin nouveau, outre neuve (Mc 2,
22). Ne pas décevoir les attentes de la nation. Message de la CENCO à
l’occasion du 47è anniversaire de l’indépendance, 7 juillet 2007, n.
18.
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