Le candidat nous a déçus
Au cœur des jours et des nuits
Le
candidat nous a déçus
L’homme sur qui nous comptions pour
les prochaines élections a retiré sa candidature. Il a demandé de disparaître
aussi de toutes les listes de son parti politique. Il a éteint son téléphone.
Il a bloqué beaucoup de contacts de son carnet d’adresses. C’est comme s’il
avait décidé de s’enterrer vivant. Il doit avoir des raisons sérieuses. Mais mon
village tout entier ne veut pas encore lui pardonner. Il a déçu nos espoirs.
Je le connais bien cet homme.
Aussi loin que je me souvienne de lui, il n’osait jamais prendre la tête
lorsque nous devions, dans notre enfance, marcher à la tombée de la nuit ou
nous frayer un passage dans la forêt. Au football non plus, il n’a jamais été
capitaine. Il avait trop peur.
Mais mon ami a été un brillant
étudiant à l’université. Il a trouvé un bel emploi, plus tard. Il l’exerce à la
satisfaction de tous, semble-t-il. A l’admiration de tout notre village, en
tout cas. Et nous, ses amis d’enfance, nous avons tout naturellement suggéré
qu’il soit le candidat de notre village aux prochaines élections. Et il a
accepté la demande générale. Il avait des voix assurées. En attendant l’heure
de la campagne électorale, de partout dans le pays et dans le monde, les
originaires de notre village ont fait des recommandations à leurs parents et à
leurs amis. Notre candidat unique serait élu à coup sûr. Pour la première fois,
notre village entrerait dans l’histoire de ceux qui auront compté un élu. Et
les générations futures ne l’oublieraient pas. Les enfants encore à naître seraient
fiers comme nous. Des chanteurs se préparaient même déjà à immortaliser le nom
du candidat de notre village.
Il y a longtemps et longtemps que
chacun de nous rêvait, dans le secret de son cœur, de voir un jour un fils ou
une fille de notre village parler à la télévision à partir de l’assemblée des
représentants du peuple. Nous sommes un gros et grand village. Un grand peuple.
N’importe qui de n’importe où peut parler à notre nom, c’est vrai. Mais
pourquoi pas, pour une fois, un fils ou une fille de notre village ? En
quoi les autres sont-ils meilleurs et si particuliers ? Vous n’avez pas de
réponse. Parce que la réponse est que notre candidat ne démérite point.
Mais le candidat a déçu tous nos
espoirs. Il n’a pas échoué, je le rappelle. Il a démissionné bien avant les
élections. Vous l’avez déjà entendu et compris. Vous aimeriez savoir maintenant
pourquoi il a démissionné. Je m’en vais vous le dire. Notre candidat a eu peur
des sorciers. Et voici comment.
Lorsque des notables de notre
village l’ont invité à une réunion pour lui parler en notre nom à tous, pour
lui assurer le soutien de tout le village dans ses fils et filles du pays et de
la diaspora, le candidat a eu peur. Il n’a pas craint la pression populaire, le
poids de cette confiance placée en lui. Non, le candidat a avoué craindre la
sorcellerie. Il a avoué à un ami commun que les yeux rouges de ces notables et
surtout leurs cheveux blancs lui rappelaient son enfance au village. Il s’est
souvenu de tous les vieux sorciers que le village avait désignés et à qui le
garçon croyait avoir fort heureusement échappé en quittant le village pour
l’université dans la capitale. Maintenant, il craignait de retrouver les
sorciers, disait-il, ou il craignait que les sorciers le retrouvent. Les
élections lui paraissaient alors comme un piège. Il n’accepta pas de s’y
enfermer. Et il a démissionné.
Notre ami commun m’a aussi révélé
que l’étudiant brillant que fut ce candidat futur élu avait toujours peur, à
l’université, lorsqu’il entendait parler de Rose-Croix, de Francs-maçons ou
d’autres ordres mystiques représentés dans la classe intellectuelle. Notre ami
traduisait ces mots par sorciers. Et il en avait peur. Il évitait tout contact
avec quiconque avait été soupçonné d’avoir un seul jour serré la main, juste
serré la main, de quiconque était soupçonné d’appartenir à l’un quelconque de
ces ordres ou mouvements mystiques et religieux.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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