L'heure d'ailleurs

Au cœur des jours et des nuits
L’heure d’ailleurs

Pourquoi monsieur le directeur arrive-t-il ces jours-ci au bureau une heure plus tôt qu’il ne faut ? Il nous avait habitués à le voir ouvrir son bureau toujours en retard. Certains ont pensé que monsieur le directeur attendait d’abord que les subalternes prennent place sur leurs sièges et qu’ils s’acquittent des préparatifs. Après tout, le chef, c’est le chef. Mais depuis quelques jours, quelle surprise ? Certains se sont imaginé que le directeur pouvait avoir subi des rappels à l’ordre de la part de ses chefs hiérarchiques. Oui, un chef a toujours un chef au-dessus de sa tête.

En réalité, notre directeur a été induit en erreur. Et vous comprendrez aussi pourquoi il a persévéré dans l’erreur.


Le directeur, de son propre aveu, se réveillait et se couchait en écoutant une radio émettant en Europe. La radio donne l’heure, comme il convient à toute radio. Et notre directeur avait toujours l’heure exacte, disait-il, parce que son heure était l’heure de la radio occidentale. Pas une heure imaginée, bricolée par les animateurs des radios locales. Non, l’heure des Blancs, c’est l’heure des Blancs. Elle ne s’allonge pas, ne se prolonge pas, ne s’écourte pas, ne se raccourcit pas. Après l’heure, ce n’est plus l’heure. Avant l’heure, ce n’est pas encore l’heure. Or, notre directeur a commencé à arriver au bureau avant l’heure. Il y avait un problème. Mais il ne s’en rendait toujours pas compte.

Le directeur n’a pas été grondé par ses chefs. Le directeur n’a pas non plus pris une résolution pour un début d’année ou après une retraite, par exemple. Le directeur, qui se réveille et s’endort sur la radio étrangère, ignorait ou il a manqué de savoir que la radio étrangère qui émet de l’étranger émet dans la culture et dans la géographie étrangère. La radio étrangère s’adapte aux saisons, aux quatre saisons. A l’entrée dans l’été, l’heure change. L’heure avance. Elle est donc plus tôt que chez nous. Et monsieur le directeur ne l’a jamais remarqué. Il sort trop tôt le matin, il quitte trop tôt le soir.

Le vrai problème de monsieur le directeur, c'est de vivre, dans sa tête, ailleurs que dans son pays. A chaque fois qu'il parle de ce pays-ci, il ne peut pas ne pas le comparer à l'Europe. Pour lui, ce que les hommes et les femmes doivent faire et vivre a déjà été pensé et vécu en Europe. Pour lui, les hommes et les femmes d'Afrique doivent suivre ce que les hommes et les femmes d'Europe ont inventé. Les droits de l'homme, par exemple. Monsieur le directeur s'est fait le défenseur des droits de l'homme. Mais qui est l'homme ? Il n'a jamais pensé à la question. Et il croit que l'homme est ailleurs que chez lui.

A l'heure de son pays, monsieur le directeur préfère l'heure de la « communauté internationale », comme il dit. Monsieur le directeur vit à l'heure d'ailleurs.
Jean-Baptiste Malenge Kalunzu

jbmalenge@gmail.com

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