Vendeuse par définition
Au
cœur des jours et des nuits
Vendeuse par définition
J’ai
acheté un chapeau de paille par pitié pour la vendeuse. Elle doit avoir quatre
ans. Pas plus. Au bord de la route, elle était seule à vous répondre lorsque
vous vous arrêtez attiré par les chapeaux de paille exposés pour les acheteurs
éventuels.
Il
n’existe, dans le village, aucune école maternelle pour accueillir des enfants
de son âge. Et la fillette devrait passer ses journées à la maison, comme pour
la très grande majorité des fillettes de son âge dans notre vaste pays. Les
grands-mères gardent des enfants de cet âge et ce qu’on apprend alors n’est pas
sans intérêt. Ce n’est pas toujours instructif.
On
grandit ainsi, entourés de l’affection des grands-parents. Les déplacements
sont réduits. On passe donc la journée à observer, tout autour de soi, des
êtres et des choses de la vie courante du village. Des poulets qui viennent
chercher à manger. Des chiens qui ne sont pas tous des voleurs de poussins. Et
tant d’autres choses. On apprend bien la vie. On la ressent. On la porte. Elle
vous porte. En attendant le soir et les parents qui rentrent des champs. Et la
vie qui change à la tombée de la nuit. Enfin, quelques contes et légendes pour
vous conduire dans le sommeil et de beaux rêves. La vie est belle au village.
Sauf dans certaines contrées. Comme dans celle qui m’a vu passer récemment et
qui m’a obligé à acheter un chapeau de paille, juste par pitié pour la vendeuse.
Le
chapeau de paille que je porte souvent maintenant me rappellera toujours
l’enfant posté au bord de la route pour crier aux passants de sa petite et
timide voix : « Cinq cents francs. » La fillette ne doit même
pas savoir qu’il s’agit d’un chiffre qu’elle énonce. Elle doit ignorer le sens
de l’opération à laquelle elle est soumise. Elle crie de toute la force de sa
voix : « Cinq cents francs », et sans doute que peu de passants
qui la regardent posent un quelconque geste satisfaisant à l’adresse de
l’enfant.
Je me
suis arrêté par curiosité et par intérêt. Je voulais un chapeau de paille,
souvenir de mon passage dans la région. Il n’y avait dans les parages aucun
homme, aucune femme, personne d’autre que la fillette de quatre ans. A mon
simple regard, elle m’a donc dit machinalement : « Cinq cent
francs ». Et je lui ai tendu un billet de cinq cents francs. Et la
fillette s’en est allée vers la maison, sans pouvoir échanger aucune autre
parole, aucun autre geste avec le client. Elle ne doit pas bien comprendre tout
ce qui se passe. Elle ne doit pas imaginer les questions que me pose sa simple
présence là, au bord du chemin, par une journée de plein soleil, à l’heure où
des enfants de son âge sont à l’école maternelle.
On
pensera bien que la fillette apprend tôt le métier auquel la destine la vie.
Elle sera vendeuse par définition comme sa mère et ses sœurs et tant d’autres
femmes. Lorsque des enfants qui n’ont pas atteint l’âge de la première
communion peuvent ainsi travailler au bord du chemin, au contact d’inconnus,
que pensez-vous que je puisse m’imaginer d’autre ? La pauvreté est partout
présente.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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