Sourire de prêtre (Malu-Malu)
Extrait du livre : Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu, Prêtre dans la rue, Troisième édition augmentée à l'occasion de l'Année du sacerdoce (2009-2010), Baobab, Kinshasa, 2010, p. 35-38.
Sourire de prêtre
Il avait l’air grave le lundi 19 décembre et le jeudi 22 décembre 2005. Certains prétendirent que l’abbé Apollinaire Malu-Malu était triste. Sous le regard du pays tout entier, comment pouvait-on se présenter autrement gai ? A la Foire Internationale de Kinshasa ou au siège de la Commission Electorale Indépendante, il s’agissait d’indiquer les tendances des résultats du référendum populaire organisé sur le projet de la nouvelle Constitution…
L’événement
était presque inédit dans un pays manquant de culture électorale.
L’histoire prenait un nouveau tournant. Pour une fois, le monde
parlerait de la RD Congo autrement qu’en comptant des millions de
morts résultant de la bêtise des seigneurs de guerre ou des
calamités et autres épidémies d’un contexte mal gouverné, mal
soigné.
Et
puisque les opérations référendaires s’étaient déroulées dans
le calme, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie
(PPRD) s’en félicita dès le lendemain. Son secrétaire général
rendit hommage à la Commission Electorale Indépendante et
particulièrement au président Malu-Malu, rappelant combien l’homme
avait été souvent injustement dénigré. Des insultes n’avaient
jamais manqué, en effet. Mais personne ne se souvenait avoir jamais
vu le prêtre se mettre en colère. Et les insultes elles-mêmes
semblaient s’accumuler au fur et à mesure qu’il affichait l’air
bienveillant, arborant un sourire imperturbable.
A
quarante-trois ans, Malu-Malu Muholongu lui-même vivait un événement
inédit. En quarante-cinq ans d’Indépendance du pays, peu de
Congolais avaient jamais vu une urne. En 1965, le coup d’Etat du
colonel Mobutu avait inauguré et presque institué le règne de la
violence dans la prise et la conservation du pouvoir. L’avènement
du multipartisme, en 1990, avait plutôt ouvert la voie au
« consensus » entre hommes politiques en vue du
« partage » du pouvoir. En 2003, il fallait sortir de la
dernière guerre en date sévissant depuis 1998. La « Communauté
Internationale », plus que les Congolais eux-mêmes, avait
ménagé le temps de la Transition à conclure par la tenue
d’« élections libres, transparentes et démocratiques ».
Malu-Malu
entra alors dans l’histoire. Deux ans plus tard, en proclamant les
premières tendances du référendum populaire, le prêtre ne pouvait
afficher son habituel air enjoué.
Dans
son diocèse de Butembo-Beni, dans la province du Nord-Kivu, il
dirigeait depuis l’an 2000 l’Université Catholique du Graben,
après de brillantes études en France, couronnées par un doctorat
en sciences politiques. En 2003, les négociations politiques de
Sun-City en Afrique du Sud avaient attribué le poste de président
de la Commission Electorale Indépendante à la composante de la
Société Civile, qui l’attribua au Kivu, qui l’attribua à son
tour au prêtre déjà connu pour son engagement en faveur du
développement rural. Les associations de la Société Civile des
territoires de Butembo et de Lubero ne l’avaient-elles pas choisi
pour les représenter au dialogue intercongolais ?
Il
arriva cette fois-ci à Kinshasa comme président de la Commission
Electorale Indépendante, avec rang de ministre. Mais l’orgueil de
la capitale Kinshasa boudait a priori ce « villageois »
destiné à contrôler les élections, l’enjeu majeur de la
Transition politique. Malu-Malu avait étudié pendant deux années
aux Facultés Catholiques de Kinshasa, mais les mœurs kinoises, il
ne les connaissait sans doute que de loin. Et puisqu’il ignorait
les « kinoiseries », il pouvait en sourire… Peut-être
que le ministère sacerdotal et les études en France, plus que le
climat plutôt tempéré du Nord-Kivu, l’avaient façonné
autrement. Infatigable travailleur, il semblait inébranlable,
mettant son point d’honneur à relever le défi de l’organisation
des élections. Or, son dévouement le rendait justement trop
« sérieux » pour les mœurs politiques congolaises
misant davantage sur des « négociations » et autres
louvoiements. La légèreté de certains milieux politiques les
desservit : ils tiraient sur Malu-Malu alors que le processus n'en
continuait pas moins d'avancer. Plus tard, il fut trop tard...
Puisqu’il
semblait ne rien entendre aux intimidations et autres menaces de
mort, la stratégie en vint à viser sa famille, l’Eglise
catholique. En juin 2005, à Kinshasa et dans certaines provinces,
des ecclésiastiques furent humiliés voire violentés. Face à de
fréquentes menaces de pillages, beaucoup prirent peur pour leur vie
et leurs biens. Dans la cathédrale Notre-Dame du Congo, à Kinshasa,
un prêtre d’origine italienne suggéra la démission de Malu-Malu.
Le missionnaire lança son credo : il ne sortirait rien de
l’organisation des élections ; par son sourire permanent,
l’abbé Malu-Malu paraissait trop content de lui-même.
Mais le
missionnaire ignorait sans doute que les évêques avaient conçu un
programme d’éducation civique et électorale dispensé à travers
le pays. L’Eglise en appelait à l’engagement au profit du bien
commun et de l’avènement d’un Etat de droit. Des membres de
l’Eglise oubliaient-ils le risque encouru en prenant la tête pour
combattre des années de maltraitance contre le pauvre et le faible ?
Oubliaient-ils que l’option prise par les évêques dérangeait des
ambitions et exposait fatalement à des représailles ?
Dans le
sourire enjoué de l’abbé Malu-Malu, au moins, on lisait bien la
conscience des enjeux historiques pour l’évangélisation en
profondeur et pour donner corps à l’enseignement social de
l’Eglise.
(P.S. En 2011, la Conférence épiscopale a nommé l'abbé Malu-Malu directeur général de l'Institut Cardinal Martino pour l'enseignement social de l'Eglise).
(P.S. En 2011, la Conférence épiscopale a nommé l'abbé Malu-Malu directeur général de l'Institut Cardinal Martino pour l'enseignement social de l'Eglise).
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