Préface à : Nicaise Kibel'Bel, L'avènement du Jihad en RD Congo
Préface
Des publications fleurissent ces temps derniers sur la
guerre. Beaucoup ressuscitent de grands spécialistes de la stratégie militaire
ou de la polémologie. On réédite à souhait des classiques sur l’art de la
guerre. Le monde est envahi par la peur. La menace semble venir de partout, ne
laissant de réflexe que pour la défensive et donc la contre-attaque. On nous
avait annoncé la paix mondiale après la guerre froide, mais nous n’y sommes
toujours pas encore. Très peu de voix audibles s’élèvent assez haut pour calmer
les angoisses. Très peu de sages se présentent pour apprendre à l’humanité
l’art de la paix, seule garantie crédible pour la survie communautaire. Nicaise
Kibel-Bel émet une de ces voix de sagesse. Il se tient comme un veilleur à
l’orée de la nuit.
Une fois de plus, comme dans ses précédents livres, l’auteur,
journaliste et écrivain, raconte tout le climat d’une guerre quasi permanente
entretenue dans le Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo.
Une fois de plus, il en désigne des protagonistes, sans faire pourtant œuvre de
procureur de justice. Or, pour ce qui le concerne, il penserait ne pas avoir
suffisamment alerté sur le danger d’une ruine intégrale de la condition humaine.
Cette région est tant convoitée par les uns et bien oubliée voire abandonnée
par d’autres, par ceux dont on pourrait légitimement attendre le secours,
puisqu’ils se présentent eux-mêmes comme le rempart inexpugnable. Voilà
pourquoi il convient, sans doute, cette fois-ci, de dénoncer le terrorisme djihadiste
bien actif. Il a allumé une mèche, et l’explosion en est déjà redoutable.
Le devoir ne revient-il pas à l’anthropologue ou à
l’ethnologue de décrypter ce qui se passe depuis quelques années ? Ce qui
se passe, c’est ce dont tout le monde parle : atrocités, cruautés insoutenables
ni par l’esprit ni par le regard. On attribue bien les atrocités aux rebelles
ougandais venus en RD Congo dans une entreprise terroriste. On associe autant des
Congolais qui auront tôt fait de crier leur innocence et leur bonne foi.
Dans notre ère de la communication digitale, virale et
instantanée, des images du Nord-Kivu essaiment sur les réseaux sociaux. Et
certains se font le plaisir coupable de disséminer ainsi des images
incandescentes. La stratégie du terrorisme n’est pas loin dans une telle
fabrication de l’information et de la communication. La région de Beni et de
tout le Nord-Kivu reviendrait donc à un nid d’atrocités de l’époque lointaine
où des aventuriers venus de sociétés « civilisées » rencontraient les
sauvages à l’état pur. Et des récits sont inventés pour assouvir l’addiction de
consommateurs toujours plus nombreux.
Entre le rêve, le mythe et la réalité, la frontière
semble perdue dans le Nord-Kivu. Et il n’y a surtout personne pour démêler les
fils et tracer quelques traits cohérents de distinction. On se croirait dans un
album de contes, mythes et légendes, mais ce qui se passe à Beni est bien la
réalité des flancs des montagnes du Ruwenzori.
Ne revient-il pas plutôt à l’historien de désillusionner,
de faire le départ entre le passé mythique et le présent douloureux mais bien
réel ? La bonne distance manque parfois à l’historien pour raconter une
région que certains ne croiraient toujours pas encore inscrite dans l’histoire.
Les médias des puissances étrangères semblent avoir
choisi de maintenir dans la fiction divertissante même par la peur qu’ils
peuvent susciter sur le modèle des films d’horreur de tous les temps. Les
personnages bien réels, les acteurs bien vivants sont ainsi présentés derrière
des écrans que beaucoup ne prennent plus jamais au sérieux de la vie réelle.
L’historien, l’ethnologue et l’anthropologue voire le
sociologue manquent au rendez-vous. Ceux qui parlent de la RDC et du Nord-Kivu ont
souvent faussé le regard par des postures inexorablement marquées. Comment
alors ne pas entendre un témoin relayer au grand jour et sans montage le cri
des opprimés qui serait, autrement, étouffé dans les intérêts et les programmes
des uns et des autres ?
Le journaliste Nicaise Kibel-Bel a l’avantage de vivre
au cœur des événements. Voilà des années qu’il habite entre Beni et Kampala.
Spécialisé dans l’investigation, il fait autorité lorsqu’il s’agit de décrire
ce qui se passe dans la région. Son autorité se confirme, s’il en était besoin,
dans le présent ouvrage.
D’habitude et par profession, le journaliste porte son
témoignage de ce qu’il a vu, entendu ou touché. Nicaise Kibel’Bel n’écrit pas
pour le simple plaisir, fût-il celui de la célébrité facile. Il aurait voulu visiblement
que son témoignage porte à l’action, en commençant par faire changer les idées,
la perception de la réalité. Au fil des pages, il s’avère bien que l’auteur
entend pousser à la prise de décisions pour la paix véritable dans le
Grand-Nord du Nord-Kivu et toute la région des grands lacs africains. C’est le
patriotisme, disons l’humanisme qui parle aussi à travers sa plume de l’auteur.
Sans être ni anthropologue ni historien ou sociologue,
l’auteur livre, en racontant, son opinion des tenants et des aboutissants du djihadisme
établi en terre congolaise par le jeu des opportunités et des opportunismes.
Le journaliste d’investigation montre comment les
Ougandais poussés par la violence se sont établis en RDC dans une logique
meurtrière. Il raconte surtout comment l’entreprise meurtrière s’organise de
même pour son extension dans une internationale terroriste. Le temps aura été
défavorable aux peuples autochtones dont l’hospitalité aura été ainsi abusée.
Des relations comme celles des liens du mariage auront été un piège plutôt
qu’une chance de cohésion et d’intégration.
Le regard de Nicaise Kibel-Bel croise de façon claire
des personnages connus et bien reconnus, des fils et filles de Beni et du
Nord-Kivu. L’auteur raconte leur implication dans l’entreprise djihadiste.
Lorsque le regard étranger aurait pu faire étonner d’une telle complicité
objective et avérée, le journaliste Kibel’Bel montre plutôt les origines dans
les motivations variées et parfois contrastées des uns et des autres. Comme
s’il sondait les cœurs et les reins, le journaliste avouera bénéficier bien
plutôt de son expérience sur le terrain. Et il peut oser avancer quelques
propositions en guise de thérapeutique !
Comment comprendre que des années durant, des
massacres se perpètrent en plein jour, au regard des Forces armées nationales,
à quelques mètres de campements des forces des Nations-Unies ? A lire
Nicaise Kibel-Bel, on entend sourdre la question de façon plus cuisante que jamais.
Mais, surtout, on perçoit le puits de l’incapacité des uns et des autres, des
autorités politiques comme des chefs de villages. On se prend peut-être même à
sourire, tant que possible au cœur du drame, des rodomontades de milices
bardées d’amulettes et de fétiches censés gagner une guerre en exorcisant des
forces obscures. Mais, au dire du journaliste, l’obscurité de ces forces ne relève
pas tant de la sorcellerie et de la magie. Ce sont des hommes qui opèrent, en
plein jour, selon un modus éprouvé ailleurs, celui des terroristes. Si le monde
entier semble se coaliser pour combattre le terrorisme partout ailleurs, la
question est de savoir pourquoi on tarde à intervenir de façon adéquate dans le
Grand-Nord du Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Mais la question
ainsi posée n’est pas une question de journaliste ni même de rhétorique ni de
politique. Elle n’appelle pas forcément à l’action militaire immédiate. La
question s’adresse à l’humanité en chacun des hommes et des femmes de ce
siècle, sous tous les climats.
Le livre de Nicaise Kibel-Bel pose bien la dernière
question : Pourquoi tant de violence ? La réponse semble venir aussi
du cœur de l’homme mauvais. Peut-être que le terrorisme ne sera vaincu que le
jour où chacun mènera le combat sur lui-même. On nous dit que c’est le seul
jihad digne de ce nom.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
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