Lettre pastorale de Mgr Théophile Kaboy, évêque de Goma





SEIGNEUR, VIENS A NOTRE SECOURS ! 

(Mt 15, 25b)

Cri d’alarme et de réconfort aux prêtres, aux religieux, aux religieuses, aux séminaristes, aux catéchistes, à tous les fidèles du Diocèse de Goma et aux hommes de bonne volonté

Introduction
A tous les Consacrés,
A tous les fidèles catholiques
Aux hommes et femmes de bonne volonté.
Depuis maintenant environ trois décennies, le diocèse de Goma se débat dans une tourmente de pires événements de son histoire qui en ont horriblement défiguré le visage. 
La situation d’exaspération qui en résulte m’a déterminé à vous adresser ce message avant tout pour vous inviter à demeurer fermes dans la foi au Christ, vainqueur du mal.
Il est celui qui nous rejoint au plus fort des intempéries, Dieu avec nous, compagnon de paix dans la barque de nos détresses. Il est celui qui remet l’homme debout et l’invite à marcher sur les eaux de la confiance. 
A vrai dire l’Eglise n’existe que dans les combats de la vie. Les réalités qui se vivent au quotidien dans une bonne partie de notre diocèse sont des violences meurtrières : des personnes égorgées, des femmes enceintes sauvagement éventrées, des personnes enlevées et tuées, des villages incendiées, des survivants en déshérence, des conflits armés, des pillages et des viols de masse, des enfants soldats, des travaux forcés des mineurs, les désastres écologiques, les turbulences politiques.
Force nous est de constater que malgré la multiplication des visites de missions diplomatiques et humanitaires dans la région, l’appui de la Force Onusienne MONUSCO aux FARDC, la situation tend à prendre l’allure d’une impasse… 
On ne le dira jamais assez, il revient pourtant à l’Etat congolais de faire diligence pour ramener la paix en tenant à la fois compte de l’urgence à prendre en charge les victimes mais et surtout en s’attaquant aux causes profondes et complexes qui exposent constamment les paisibles citoyens à la mort.
Face à tout cela, qu’est-il encore permis d’espérer ? 
J’ose affirmer que même les moments les plus confus et les plus embrouillés peuvent nous permettre de grandir car, comme j’aime le dire : « même si le mal semble gagner, c’est Dieu qui a toujours le dernier mot courage ».  
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Mon message s’articulera sur les trois points suivants :
1.    Un mot sur l’assassinat de l’Abbé Etienne NSENGIYUMVA
2.    Une réflexion sur cette interminable situation de crise… Jusqu’où et jusque quand ?
3.    Une prière avec des recommandations.
I. AUTOUR DE LA MORT D’ETIENNE  Cri de douleur et vœu de réconfort
S’il est un crime qui crie vengeance au ciel et qui nous a tous plongés dans la consternation c’est bien l’assassinat             de       l’Abbé           Etienne Nsengiyumva en date du 08 avril
2018,             le         dimanche     de       la
Miséricorde. La nouvelle de sa mort et le jour de son enterrement provoquèrent une explosion de douleur : douleur de sa famille naturelle et surtout de sa mère inconsolable, douleur de tout Nyakariba, sa paroisse d’origine, douleur de ses paroissiens de Kitchanga. Nous l’avons tous pleuré et les larmes ont coulé à flot. Ce message se veut être l’expression de cette douleur, un cri d’alarme et de réconfort aux prêtres, aux religieux, aux religieuses, aux séminaristes, à tous les fidèles du Diocèse de Goma et aux hommes de bonne volonté. La mort d’Etienne nous est d’autant plus douloureuse qu’elle vient s’ajouter à une longue liste des confrères1 emportés par une violence aveugle qui semble avoir élu domicile dans notre sous-région. 
De par notre incardination nous sommes liés au sort de notre Eglise locale pour le meilleur et pour le pire. Et depuis des années « nous
                                                          
1 LISTE DES PRETRES DU CLERGE DE GOMA ASSASSINES : 1. Conrad NDYANABO à Mutongo, le 12/12/1994, 2. André MUNYANKUYO à Buhimba, le 06/11/1996, 3. Constantin GATUKU à Buhimba, le
/11/1996, 4. Benoit NIRERE à Jomba, le 15/11/1996, 5. Emmanuel NSENGIYUMVA à Nyakariba, le
/12/1996, 6. Diacre Charles KANYAMANZA à Nyakariba, le 24/12/1996, 7. Paul JUAKALI  à Mweso, le 06/04/ 1999, 8. Isidore MUNYANSHONGORE à Buhimba, le 09/01/2000, 9. Richard BEMERIKI, fusillé à Jomba, mort à Kigali, le 09/04/2007,10. Faustin KALUMBI à Karambi, le 07/07/2013, quelques jours après une embuscade, 11. Jean Paul KAKULE, à Mweso, le 25/02/2015, 12. Etienne NSENGIYUMVA MUTEMBE à Chahemba (Kitchanga), le 8/4/2018. 


sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés ; ne sachant que espérer, mais non désespérés ; persécutés, mais non abandonnés ; terrassés mais non annihilés. Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps. » (2Co 4, 7-12) Dès lors « Qui donc nous séparera de l’amour du Christ ? La tristesse, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? Selon le mot de l’Ecriture : ‘A cause de toi, l’on nous met à mort tout le long du jour ; nous avons passé pour des brebis d’abattoir’. Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai la certitude, ni la mort ni la vie…, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rm 8, 15-39). » Que ces paroles de l’Apôtre nous servent de consolation et de réconfort. Quelles soient pour nous tous un motif d’espérance et d’encouragement au milieu de toutes sortes de tribulations.    
Pardon mais aussi Justice  
Ainsi donc, quelles que soient notre tristesse et notre désolation que Dieu nous aide à ne céder ni à la rage ni à la colère, encore moins à la vengeance. A cet effet nous remercions la famille d’Etienne qui a exprimé ses sentiments de pardon envers le ou les assassins. ‘Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’ (Lc 23, 34). Ce cri du Christ sur la croix est aussi celui de Saint Etienne, premier martyr de l’ère chrétienne, le cri des martyrs de tous les temps.  
Notre frère et confrère Etienne a été accueilli par Dieu son créateur qui l’a toujours aimé et exaucé ainsi que le suggère son nom ‘Nsengiyumva’. Nous sommes même convaincus qu’à ce genre de mort de mort violente le Seigneur attache des grâces spéciales. Notre certitude est que la mort d’Etienne portera beaucoup de fruits en faveur de sa famille et de ses fidèles, mais aussi en faveur de nous tous ses confrères, amis et connaissances. 
Comme dit la tradition de l’Eglise, ‘le sang des martyrs est la semence des chrétiens’(Tertullien). Loin de nous abattre, sa mort nous invite à un sursaut de courage, de conversion et de foi héroïque.  
Ceci dit, pardon et miséricorde n’excluent pas justice et vérité. Il faut que justice soit faite. Autant nous ressentons un désir de pardon en tant que chrétiens, autant nous attendons et exigeons de tous nos vœux que les autorités compétentes mettent fin à la culture d’impunité en exerçant leur devoir de justice. 
L’Abbé Etienne est le troisième prêtre tué dans la zone de MwesoKitchanga. Pourquoi les enquêtes portant sur les auteurs de ces meurtres n’aboutissent presque jamais ? De notre côté, nous ferons tout ce qui est de notre pouvoir pour identifier les présumés assassins et les déférerons devant la justice, même si connaissant le fonctionnement de nos structures nous ne nous faisons pas d’illusions. Malheureusement aussi, dans des cas comme celui d’Etienne, les témoins craignent souvent pour leur vie et celle des leurs et cela freine gravement les enquêtes. Que le pouvoir public fasse tout pour conduire rigoureusement les enquêtes sans que les témoins soient insécurisés.
Sans justice, notre pardon passerait pour une vaine banalité. Mais attention ! Quiconque croit se moquer de nous en nous ôtant la vie, doit savoir qu’on ne se moque pas de Dieu impunément (Ga 6,7) !  Et même si la justice humaine ne sera pas en mesure de faire la lumière sur l’assassinat de l’Abbé Etienne, nous mettons d’ores et déjà le sort des assassins et leurs commanditaires entre les mains du Seigneur, Roi de justice ! De toute façon aucune justice humaine ne nous rendra le sourire ni l’amitié de notre frère Etienne !
Des questions sans réponses et appel aux responsables politiques !
Autour de la mort d’Etienne beaucoup de questions ont surgi qui malheureusement restent sans réponses ! Quels ont été les mobiles de sa mort ? Qu’a-t-il fait pour mériter une aussi féroce cruauté ? Pourquoi tant d’acharnements, tant d’imprécations sur une victime innocente ? Pourquoi un tel déferlement de violence sur un simple serviteur de Dieu ? Quelle volonté d’anéantissement !  
Tout donne à croire que la mort d’Etienne était programmée depuis des mois. Le coup a été si bien planifié qu’aucune chance n’a été laissée à la victime ! Il semble bien que son assassinat soit dû au fait qu’il était un témoin gênant ! Des voix se sont même levées pour dire qu’il a été martyr de la pacification ou de la cohabitation pacifique entre communautés. 
En effet, il était l’homme de tous, l’homme de relations, entreprenant et soucieux d’annoncer l’Evangile de paix à temps et à contretemps. Toujours souriant, joyeux et épanoui, aussi bien audacieux que courageux, il était le libérateur des opprimés et autres victimes d’enlèvements et d’exactions de toutes sortes. Pour les cas de viol, vol, pillage, kidnapping, et autres, il se rendait sur le lieu pour négocier en faveur de la victime, sans distinction, d’ethnie, de religion, de rang social.
Même les autorités confirment qu’il était une ressource humaine indispensable pour des projets de pacification dans la contrée de Kitchanga. Dans le même sens de la pacification notre Diocèse a promu un projet de sécurisation des terres pour lequel il était engagé à l’instar de tous curés. 
Etienne aurait-il été victime des groupes qui voient d’un mauvais œil tous ces projets de pacification ? C’est ici que j’en appelle à la responsabilité des autorités car si ce jeune curé est mort pour la paix, qu’en sera-t-il pour la sécurité des autres curés et consacrés qui travaillent dans les mêmes conditions ? 
Je pense notamment à la paroisse de Katwe où des groupes armés hutu et nande sèment la désolation par des affrontements meurtriers, des incendies et autres destructions méchantes. 
Que dire de tout le doyenné de Mweso où en l’espace de quelques années nous avons perdu deux jeunes prêtres, sans compter médecins, infirmiers et autres paisibles citoyens. A quand la fin du fléau des enlèvements et autres kidnappings dans le territoire de Rutshuru ? Est-il impossible d’éradiquer ce phénomène abominable par la collaboration des services de renseignement, de téléphone, de justice et de l’armée ?  
Les problèmes d’une aussi grande ampleur comme les conflits fonciers, la cohabitation pacifique entre communautés, le retour des réfugiés Congolais, le rapatriement des réfugiés Rwandais… peuventils être laissés à l’arbitraire des idéologies extrémistes des groupes armés à caractère ethnique ? 
Les pouvoirs publics devraient prendre les choses en mains aux risques de voir la région s’embraser. Il y a trop d’armes en circulation, trop d’hostilités entre groupes, trop de manipulations électoralistes et de contrastes idéologiques, trop de conflits fonciers, trop de convoitises économiques et financières, trop de pillages de ressources, trop de corruption dans l’appareil étatique et judiciaire pour rêver d’une paix facile ou croire que le danger d’une guerre ouverte serait si éloigné ! 
Il est grand temps que l’Etat prenne ses responsabilités ! Nous disons que trop c’est trop ! Les choses doivent impérativement changer ! Mieux vaut prévenir que guérir. 

II. LE CRI D’UNE EGLISE DANS LA TOURMENTE
Une crise globale qui n’a que trop duré ! 
L’insécurité généralisée et son cortège d’atrocités qui nous endeuillent commence avec les années 1990. Et cela ne relève ni du hasard ni de la fatalité. En effet, les années 1989-90 coïncident avec la chute du mur de Berlin, la fin du communisme et la suprématie du capitalisme libéral. 
Entre 1990 et 1997 ces bouleversements géo-politiques auront des conséquences désastreuses sur l’Afrique en général, mais la région des Grands Lacs est particulièrement mise à feu et à sang. Les tentatives de démocratisation et de multipartisme des années ’90 qui suscitèrent tant d’espoir ne tardèrent pas à tomber dans l’impasse. C’est le début d’une descente aux enfers et tout s’embrase dans la région. En octobre 1990, au Rwanda éclate une guerre civile meurtrière qui culminera dans le génocide et déversera sur le Congo des milliers des réfugiés. Au Burundi l’assassinat du premier président démocratiquement élu en 1993 plonge le pays dans un cycle de violence dont le pays a encore de la peine à se relever. En octobre 1996, après l’échec de la CNS, la RD Congo entre à son tour dans une spirale infernale de guerres où entrent en jeu six pays africains. 
A cette sorte de ‘tsounami’ dévastatrice qui renverse et emporte tout sur son passage, rien ne résiste : ni l’intégrité et l’intangibilité des frontières nationales, ni la stabilité des états, encore moins celle des populations vouées à l’errance… Voilà le nouvel ordre mondial issu d’un capitalisme sauvage qui nous a plongés dans une crise globale aux conséquences catastrophiques.  
Cette crise qui n’a que trop duré (bientôt trente ans) se caractérise par une violence inouïe contre des victimes innocentes, des génocides sans nom, des massacres à grande échelle, des réfugiés jetés sur les routes       de       l’exil, des     déplacés       internes        survivants    grâce             à l’hypothétique manne humanitaire. Quelle force de destruction !  Quelle misère indescriptible pour des populations laborieuses réduite à la mendicité ! Jusqu’à quand ce cortège de malheurs qui semble s’installer durablement dans notre région ?
Il est sans doute trop tôt pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce nouvel ordre mondial aux conséquences désastreuses au niveau socio-politique, économique, humanitaire... Mais outre la violence, la mondialisation apporte avec elle une nouvelle éthique séculière et ses idoles : l’argent toujours et à tout prix, le confort, la consommation des biens, les plaisirs… Tout est dicté par la logique du marché et l’accès à tout ce qu’offrent la modernité et sa nouvelle technologie.  
La mémoire d’une Eglise dans la tourmente
Et que devient la petite barque de Pierre au milieu de cette impétueuse tempête en furie ? Rappelons-nous que nous sommes une jeune Eglise issue d’une laborieuse et héroïque activité missionnaire2. Et, à mon humble avis, nous appartenons à une région privilégiée (Burundi, RD Congo, Rwanda), ayant bénéficié au maximum des œuvres d’évangélisation par rapport au reste de l’Afrique. Malheureusement, c’est aussi dans notre région des Grands Lacs où sévissent les conflits ethniques les plus meurtriers : guerres civiles, guerres d’agression, rébellions, génocides, massacres, viols et autres crimes abominables… La haine, et qui plus est, la haine ethnique est précisément ce qu’il y a de plus contraire à la communion ecclésiale. 
                                                          
2 Le Vicariat Apostolique de Goma fut créé le 30 juin 1959 par division du Vicariat Apostolique de Bukavu. Il fut érigé en Diocèse le 10 novembre 1959. Administrateur Apostolique : Louis VAN STEENE 1959 – 1960 ;
Evêques : Joseph BUSIMBA MIKARARANGA 1960 – 1974 ; Faustin NGABU 1974-2010 ; Théophile KABOY depuis 2010-
Superficie : 25.000 Km2 ; Population : 2.250.000 ; Catholiques : 975.000 ; Paroisses : 28 ; Prêtres séculiers : 122 ; Religieux : 111 ;
Religieuses : 203 ; Instituts d’éducation : 471 ; 34 Ecoles maternelles ; 436 Ecoles primaires ; 195 Ecoles  secondaires ; 1 Université  catholique ;  11 hôpitaux;  45 dispensaires ; 1 Centre  pour les personnes vivant avec handicap et 3 orphelinats.

Nos jeunes Eglises sauront-elles survivre aux multiples conflits et aux divisions ethniques, à la menace islamiste et aux nouvelles mœurs de la nouvelle éthique mondiale ? Oui ! Avec la grâce de Dieu et moyennant une prise de conscience collective pour l’avènement d’une Eglise-Famille de Dieu. 
La Providence divine nous a déjà fait traverser des moments critiques comme : les guerres et rébellions de l’après indépendance (1960-65) où l’Eglise catholique était particulièrement ciblée, la tentative de nationalisation des églises et le conflit Eglise-Etat avec la politique du recours à l’authenticité (1972-76), les assassinats ciblés contre les ecclésiastiques depuis 1996 ou leur relégation hors de leurs diocèses, les enlèvements, les pillages et autres destructions… Si l’aide du ciel nous a préservés jusqu’ici de toutes ces vagues de violence, il n’y a aucune raison de perdre confiance !         
En ce qui nous concerne c’est depuis ses origines que notre diocèse de Goma lutte contre les divisions et les idéologies dont se nourrit le tribalisme (ubaguzi). Le testament spirituel de notre premier et vénéré évêque Mgr Joseph Busimba garde sa pleine valeur prophétique : « A tous et à toutes je recommande la charité. Jamais le tribalisme. Credidimus caritati ». Son successeur, Mgr Faustin Ngabu a eu une tâche aussi dure pour construire l’unité et la fraternité dans une société déchirée par toutes sortes de controverses identitaires. Aux risques de grandes incompréhensions, il n’a ménagé aucun effort pour défendre les opprimés en dénonçant des lois injustes et des campagnes discriminatoires. Moi-même en tant que votre pasteur, je m’inscris dans la continuité de mes prédécesseurs en dénonçant toute violence d’où qu’elle vienne. 
J’ai de la peine à constater que les conflits qui perdurent, ont transformé le paradis terrestre du Kivu en une antichambre de l’enfer ! En effet, en quelques années le tribalisme est passé du niveau idéologique au niveau de conflit armé sous forme de guerre civile, guerre d’agression, rébellions soutenues de l’extérieur, groupes armés internes et externes à caractère ethnique : Maï-maï
Mazembe et Nyatura, APCLS, NDC, FDLR, CNRD, Raïa Mutomboki… On ne sait plus à quel saint se vouer !
Les paroles du prophète Jérémie semblent se réaliser pour nous. « Tu leur diras cette parole : Que mes yeux versent des larmes, jour et nuit sans tarir, car d’une grande blessure est blessée la vierge fille de mon peuple, d’une plaie très grave. Si je sors dans la campagne, voici des victimes de l’épée ; si je rentre dans la ville, voici, voici des torturés par la faim ; tant le prophète que le prêtre sillonnent le pays : ils ne comprennent plus ! » (Jr 14,17-18) 
Un Dieu qui pleure ! Les larmes de Dieu jour et nuit sans tarir ! Quel langage ! Ces paroles du prophète s’inscrivent dans un contexte de contamination idolâtrique généralisée : le fétichisme de l’argent, l’appétit du pouvoir et la volupté des plaisirs. Chaque fois qu’Israël s’est compromis avec les idoles des nations Dieu l’a corrigé par l’exil, la famine, la sécheresse ou par la gratuité de sa pure miséricorde en vue de susciter sa conversion. Que veut dire Dieu à nos Eglises par cette crise interminable que nous traversons depuis bientôt trente ans ?        
Quelle pastorale pour ce temps de crise ? 
Quelle pastorale pour ce temps d’insécurité durable et généralisée ? Quel type de prêtre et de pasteur pour ce temps de conflits armés ? Ces questions me rappellent l’exhortation de Saint Pierre : « Les anciens qui sont parmi nous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ, et qui doit participer à la gloire qui va être révélée. Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confiée, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu ; non pour un gain sordide, mais avec l’élan du cœur ; non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau. Et quand paraîtra le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas » (1P5, 1-4). 
L’ensemble de cette épître a pour but de soutenir les premiers chrétiens dans les épreuves qui les assaillent : persécutions, sévices privés, injures, calomnies… L’allusion aux souffrances du Christ est un appel au courage et à la patience dans les épreuves, avec le Maître comme modèle. 
Malgré les peines et les tribulations les chrétiens, à la suite du Christ, se distinguent des autres par leur conduite charitable, s’opposant au mal par le bien et l’obéissance aux justes lois des pouvoirs publics. La vie du chrétien au milieu des vicissitudes de ce monde s’inscrit dans l’espérance, l’écoute et l’interprétation de l’intervention de Dieu dans l’histoire. 
C’est dans cette attitude que les pasteurs d’âmes sont invités à ne pas regarder leurs privilèges, les honneurs, les titres, les bénéfices… mais le sort du troupeau. Ils ont été élus pour le troupeau et comme le dit bien le Pape François, ils sont appelés à être ‘des pasteurs qui portent l'odeur des brebis’, pasteurs au milieu de leur propre troupeau, et pêcheurs d’hommes. En d’autres termes, avec la grâce de Dieu, ils sont appelés à s’impliquer là où le péché et les misères détruisent l’humanité, là où les détresses et la douleur, les maladies et les violences, la corruption et le mensonge défigurent le visage du Christ au milieu de son peuple. On dirait que pour le Pape il n’y a pas d’autres choix : ou nous sommes unis au beau Pasteur qui aime et donne sa vie pour ses brebis, ou nous sommes dans l’esprit du monde et sa mondanité, la mondanité du diable ! 
 III.  PRIERE ET CONSIDERATIONS FINALES
Au Nord-Kivu, nous vivons dans un chaos total. Le Kivu est devenu l’antichambre de l’enfer. La situation de mon diocèse de Goma, comme celle du diocèse de Butembo-Beni, est incroyable. Nous sommes complètement abandonnés de tous et nous vivons seulement grâce à la Providence divine. Je demande aux fidèles de l’Eglise universelle de prier pour notre région pour qu’elle retrouve défectivement la paix [1]. 
Au milieu de toutes les épreuves qui nous affligent, nous avons la certitude que Dieu est avec nous et qu’il soutient notre espérance de même que notre combat pour un État de droit et une société plus fraternelle. Avant de passer de ce monde à son Père, le Christ Jésus a tenu à rassurer ses disciples. Sa présence au cœur de leur vie est la garantie qu’Il leur donne face aux difficultés qu’ils seraient appelés à affronter et à vaincre : « Courage ! » Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20).   Et ailleurs encore il dit : Gardez courage ! J’ai vaincu le monde ! (Jn 16, 33).
Nous rendons grâce à Dieu pour les témoignages de foi et de bonté qu’il suscite au milieu de nous à travers des hommes et des femmes, chrétiens ou non, qui refusent de céder à la barbarie et qui n’hésitent pas à aller jusqu’au sacrifice suprême. Leur témoignage de fidélité est une invitation à redécouvrir les valeurs religieuses et culturelles qui font la grandeur de l’homme. Nous lui rendons aussi grâce pour tous ceux qui œuvrent pour la paix et la réconciliation à Katwe, à Kitshanga, dans tout le Masisi, dans tout le Walikale, et dans tout le Rutshuru, surtout à vous prêtres du Seigneur et tous les consacrés qui apportez, sans relâche, un soulagement à la souffrance de notre peuple dans nos différentes paroisses. 
Nous l’avons déjà dit, depuis près de trois décennies, le Diocèse de Goma est l’une des régions où les milices et groupes armés poussent comme des champignons, les armes circulent dans tous les coins et recoins des villes, cités et villages. Les frustrations, le désespoir, la panique, et la terreur sont semés partout par des éléments armés non identifiés. Nous déplorons l’enrôlement des enfants et des jeunes dans des groupes armés et criminels, les massacres de nombreux compatriotes aussi bien par les groupes armés que par les forces de l’ordre… Nous dénonçons la destruction méchante des biens publics, l’incitation à des antagonismes claniques, les intimidations et l’insécurité généralisée, le déplacement forcé de plusieurs milliers de personnes, l’hostilité contre l’Eglise catholique manifestée par la maltraitance des agents pastoraux, le kidnapping, le vol aux presbytères et couvents, les injures publiques… Tous ces comportements sont autant des facteurs négatifs qui désintègrent les bases spirituelles, fraternelles et matérielles de notre société.
Notre zone est une région où les enlèvements sont très fréquents. On n’enlève pas seulement des prêtres, on enlève aussi des enfants, des hommes et des femmes en échange de rançons. Le deuil, les angoisses, les dépressions, … c'est ensemble qu'on les traverse. 
Quand une famille est devant l'inéluctable, elle ne peut reculer. C'est ensemble qu'il faut avancer, vivre l'épreuve. Ce n'est pas demain que la famille pourra tourner la page ni le lendemain, ni encore le surlendemain. Une page ne se tourne pas comme ça, on n'oublie pas le défunt. Nous avons un avenir à reconstruire en ayant foi en la vie éternelle. Les disciples après la mort de Jésus n'étaient pas particulièrement joyeux. Nous ne sommes pas plus forts que Marie et les Apôtres quand ils ont vu le Christ sur la croix. Sa mort a été la première des morts injustes. Sa mort reste difficile tout comme la mort de l’Abbé Etienne est difficile pour nous. 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
La voie choisie par les partisans de milices et tous les groupes armés est une impasse. Ce n’est ni par la violence ni par la culture de la mort que nous pouvons contribuer à la démocratisation et au développement du pays. 
C’est pourquoi nous demandons, une fois de plus, à tous ceux qui ont pris les armes de revenir à la raison, de renoncer à la haine et à la violence, de se réconcilier avec eux-mêmes et de s’engager sur le chemin de la paix. La vie de chaque fils et de chaque fille du Diocèse de Goma est sacrée et impose le respect de tous. 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Il est aussi diabolique, de vouloir s’enrichir salement par le kidnapping des prêtres, religieux, diacres, ou de toute autre personne qui qu’elle soit. Ces comportements malsains et démoniaques nous le condamnons avec toute notre dernière énergie. Nous demandons à la Justice d’établir les responsabilités et de sanctionner les coupables. Et, par rapport à tous ceux qui en veulent aux prêtres et sèment la panique çà et là, il est urgent que des mesures sécuritaires soient arrêtées pour mettre fin à l’ampleur des massacres. « Trop c’est trop » ! 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Nous ne le dirons jamais assez, il est impérieux que les gouvernants et les responsables de la chose publique s’investissent dans la création des conditions de sécurité pouvant permettre à toute la population de circuler librement et de vaquer à ses activités quotidiennes, car l’avènement de l’État de droit que nous voulons tous en dépend. 
Chers prêtres du Seigneur, 
La haine vous entoure de toute part, elle vous enveloppe comme un brouillard épais, elle se lance contre vous comme une rafale sombre et froide. La haine gratuite, la haine furieuse, la haine implacable : elle ne se contente pas de vous humilier, de vous saturer d’opprobres, de vous abreuver d’amertume. Vos ennemis vous haïssent, tant ils ne supportent plus votre présence parmi les vivants, ils veulent votre mort. Ils veulent que vous disparaissiez pour toujours, que s’effacent le langage de vos exemples et la sagesse de vos enseignements. Ils vous veulent morts, anéantis, détruits. Ce n’est qu’ainsi qu’ils auront assouvi le tourbillon de haine qui s’élève dans leur cœur. On veut votre mort pour avoir fait du bien ! 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Des siècles avant votre naissance, le Prophète prédisait déjà la haine que susciteraient les vérités lumineuses annoncées par l’éclat divin de vos vertus : Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? (Mi 6,3). Et la Sainte Liturgie, interprétant vos sentiments, s’écrie à l’adresse des infidèles d’hier et d’aujourd’hui : « Qu’eussé-je dû faire de plus pour toi et que je n’ai point fait ? Je t’ai planté moimême comme ma vigne de choix, ma vigne incomparable, et toi, tu m’as été amère ; à ma soif, c’est du vinaigre que tu as offert ! Tu as percé d’une lance le flanc de ton Sauveur ».
Seigneur, en ces temps dont nous évoquons la mémoire avec nostalgie, le monde tournait rond, Tu nous aimais, Tu couvrais nos ennemis de honte (Ps 44, 15) et nous célébrions ta louange ! 
Aujourd’hui, rien ne va plus, le monde tourne à l’envers. Le rejet, l’humiliation, la déchéance dont nous sommes les victimes, les sarcasmes, les moqueries de l’entourage, nous n’en pouvons plus, il faut que ça s’arrête ! Oui, il faut que ça s’arrête parce que c’est pour Toi qu’on nous massacre sans arrêt, qu’on nous traite en bétail d’abattoir (Rm 8, 36). A cause de positions courageuses prises au nom de la justice, de la fraternité, au nom de notre Foi au Jésus de l’Evangile, beaucoup – ceux qui se battent pour la dignité au travail avec les chômeurs, ceux qui partent à l’autre bout du monde offrir leurs services, ceux qui aident les malheureux sans recours, les déplacés, les victimes de guerre, en leur apportant la soupe quotidienne – sont en butte aux sarcasmes des esprits forts, ou à des procès d’intention venimeux ! Alors, les paroles du psaume sont les nôtres : Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu Seigneur ! Nous touchons la poussière, notre ventre colle à la terre ; Debout ! Viens à notre aide ! (cf. Ps 43). 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Nous sommes dans une histoire de martyrs dans notre Eglise. Ça dure depuis, ça dure depuis des siècles. Et quand on relit toute cette histoire qui, pour la plupart du temps, reste non élucidée, on en déduit que nous sommes persécutés par des forces obscures qui affectent l’Eglise dans son être. 

Heureusement que le Seigneur nous a préparés par ces paroles adressées à l’Apôtre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, les puissances du Mal ne tiendront pas contre elle. » (Mt 16,18 « Gardez courage ! J’ai vaincu le monde » (Jn 16,33). 

Nous adressons ces paroles du Christ à tous les fils et toutes les filles du Diocèse de Goma. Avec la force de la Foi, résistons au mal, rejetons l’esprit de division et restons unis plus que jamais. Car les atrocités que nous sommes en train de vivre peuvent facilement conduire au découragement, à la haine et à la vengeance. Mais nous croyons que l’amour est plus fort que le mal. Nous plaçons tout notre espoir en Dieu seul. C’est pourquoi, confiant en sa miséricorde infinie, nous accordons le pardon à tous ceux qui ont fait du mal à l’Église et nous invitons toutes les victimes à offrir leur pardon. Et de même nous prions pour ceux qui nous ont quitté, nous exprimons tous nos sentiments de réconfort et de consolation à tous ceux qui ont perdu les leurs.
Notre prière est : Seigneur, donne-nous des forces ; Seigneur ! A notre secours !  Nous ne voulons ni pactiser, ni reculer, ni transiger, ni mutiler, ni permettre que s’altère sur nos lèvres la divine intégrité de ta doctrine. Et si un déluge d’impopularité s’abat sur nous, que notre prière soit toujours celle du psalmiste : J’ai choisi d’être abject dans la maison de mon Dieu, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs (Ps 83, 11). 
Que l’Eucharistie que nous célébrons chaque jour, puisse raviver en nous l’ardeur de porter plus haut notre Foi dans la victoire et d’obéir toujours à Dieu plutôt qu’aux hommes. Ainsi, toutes les fois que nous crions vers le Seigneur, qu’il nous exauce, car dit le psalmiste, quand un pauvre appelle, le Seigneur entend. 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours ! 
Appelons-le donc, sans cesse, car il nous écoute et de toutes nos angoisses, il nous délivre (cf. Ps 33). Et c’est ici que nous rejoint à nouveau l’invitation du Seigneur : « Courage ! ». Ne désespérons pas de l’homme… Ne désespérons pas de notre pays… Ne désespérons pas de nos prières. Courage ! Le Christ mort sur la croix, a vaincu le monde. Continuons de nous tourner vers le Ciel. Crions, jour et nuit, sans cesse. Croyons qu’au milieu de la nuit la plus sombre, une lumière brillera, qui nous introduira dans la joie d’appartenir tous à notre cher Diocèse de Goma. 
Implorons notre Dieu ! Offrons-Lui nos sacrifices en union avec celui de Jésus sur la croix. Disons-Lui notre peine et notre espérance. Demandons-Lui de vaincre, dans nos cœurs, notre monde de haine, de mensonge, d’injustice, de violence. 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
Répondant à l’appel de notre Saint-Père le Pape François qui, dans ses prières ne cesse d’inviter le monde catholique à prier pour les pays en guerre et plus particulièrement pour la République Démocratique du Congo, continuons de confier notre pays au Christ, Prince de la Paix. Sans verser dans un pessimisme creux, l’histoire du diocèse de Goma donne parfois l’impression d’être plus une mer houleuse qu’un lac paisible : nous risquons de nous immobiliser dans un passé stérile.
Après avoir péniblement ramé, les disciples voient le visage du Christ. C’est sur un lac tumultueux que se noue la rencontre avec le Seigneur. Nous devons comprendre que l’Eglise n’existe que dans les combats de la vie (Cf. 6, 16-21).
Et puisqu’au cœur de sa souffrance au Calvaire, Jésus nous a donné sa
Mère qu’Il a aussi établie notre Mère, tournons-nous vers la Vierge Marie, Consolatrice des affligés et Reine de la Paix (Malkia wa amani). Demandons-lui de prier avec nous et pour nous. Qu’elle écarte de nous tout malheur, qu’elle prenne en main la destinée de notre Diocèse de Goma. Qu’elle obtienne à tous les lumières de l’Esprit Saint ! Nous n’oublierons jamais ceux qui ont versé leur sang pour la vérité, la justice, la fraternité au nom de leur foi dans le Seigneur Notre Dieu. Et pour ne parler que de l’Abbé Etienne NSENGIYUMVA qui, du ciel intercède pour nous, nous disons : 
Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à notre secours !
 Je vous remercie.
                                                                                       Fait à Goma, le 23 avril 2018
Mgr Théophile Kaboy, évêque de Goma


[1] Extrait de mon homélie lors de la messe de requiem de l’Abbé Etienne Nsengiyumva, le 10 avril 2018.

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