L'argent, les Congolais ne pensent qu'à ça


 L'opinion congolaise parle beaucoup, ces jours-ci, de la corruption et de l'argent. En 2012, j'en parlais dans ma "méditation à l'occasion de mes vingt-cinq ans de sacerdoce". On peut télécharger gratuitement tout le livre. Voici quelques extraits :


Voici retranscrits à ce sujet des propos tenus par la célèbre journaliste belge Colette Braeckman sur Radio Okapi le 29 juin 2010, veille de la célébration du jubilé d’or de l’Indépendance : 


« Le Congo doit aussi, je pense, un peu, guérir de lui-même, guérir de ses mauvaises habitudes. Par exemple : la corruption. Le rapport à l’argent est incroyable au Congo. On a l’impression qu’on ne pense qu’à ça. Et on peut le comprendre. Parce que l’argent manque, et les gens doivent toujours se débrouiller pour en trouver, mais aussi un rapport de corruption, de dévoiement, ce qu’on appelait du temps de Mobutu les anti-valeurs. Et donc les Congolais doivent absolument se guérir de ces mauvaises habitudes du passé. De haut en bas de l’échelle sociale. Ça, c’est une chose, une deuxième chose, c’est se guérir de l’espèce de culte du chef, de l’autorité. Les simples citoyens doivent s’assumer d’une façon démocratique. Et un troisième point, on n’en parle pas beaucoup : les Congolais doivent aussi guérir d’un certain complexe d’infériorité, d’incapacité. On a toujours l’impression que les Congolais doivent demander l’assentiment des pays étrangers, des puissances extérieures, et que si le reste du monde n’aura pas dit que c’est bien, ils n’osent pas s’engager. Ils doivent se définir eux-mêmes par rapport à leurs besoins, par rapport à leur personnalité. »


Si le rapport à l’argent ainsi décrit par Colette Braeckman n’est pas compris, le magazine panafricain Jeune Afrique l’explicite le 6 juillet 2010. Sous la double plume de Marianne Meunier et de François Soudan. Ils relèvent « cinq mots pour comprendre le Congolais d’aujourd’hui ». Ils suggèrent une signification particulière des termes : argent, femme, Eglises du réveil, sape, sorcellerie.

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Or, tout n’est pas que soupçon. Le député honoraire Alexis Takizala, élu de Lubumbashi en 2006, affirme avoir bien vu circuler des « enveloppes ». Et en avoir reçu sa part : « Le stimulant attendu est venu effectivement soutenir le vote. J’ai eu droit à mon enveloppe ; le double, cette fois. Mais au lieu de m’en réjouir, j’ai perçu pour la première fois une voix qui venait de je ne sais où. Elle m’interrogeait[1]. »


Ce fut déjà le cas dans les toutes premières années de l’indépendance du pays. Des gouvernements provinciaux ont échoué à cause de l’argent d’après le journal Présence congolaise du 3 novembre 1962, le titre de député était devenu l’objet de la dérision publique et on l’utilisait pour « désigner un voyou et un vaurien[2] ». Bien des raisons justifiaient cette impopularité et le désamour. On note, par exemple, la dispersion des sièges au Parlement, qui ne pouvait qu’afficher les tendances et autres revendications ethniques. Sur le tribalisme, on n’a pas beaucoup changé aujourd’hui.

Mais la raison fondamentale fut et reste le rapport à l’argent. « Le Parlement se fit un tort immense en faisant passer comme première mesure législative, le traitement des députés des 100.000 F prévus par la Loi fondamentale à 500.000 F, et cela malgré l’opposition de Lumumba[3]. » Au grand déplaisir et au grand ressentiment de la population, la mesure emporta une majorité écrasante à l’Assemblée nationale.


[1] Alexis TAKIZALA M. Voyage au pays des oubliés, Baobab, Kinshasa, 2011, p. 85.
[2] Cité par Crawford Young, Introduction à la politique congolaise, Centre de recherche et d’information socio-politiques, Editions Universitaires du Congo, Bruxelles, 1968, p. 203.
[3] Ibidem, p. 199.
 




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