"Libérez mon peuple" : Message de la Conférence épiscopale nationale du Congo
LIBEREZ MON PEUPLE
(cf. Ex 3, 10)
PAS D’ENTRAVES AU
CHANGEMENT
Message de la 56ème Assemblée
Plénière des Evêques Membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo
1. Nous, Cardinal, Archevêques, Evêques
et Administrateur diocésain, réunis à Kinshasa en Assemblée Plénière ordinaire
de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), du 17 au 21 juin 2019,
nous sommes penchés, entre autres, sur la situation actuelle de notre pays.
2. En vertu de notre ministère pastoral et prophétique,
nous poursuivons notre contribution à l’avènement d’un Congo uni, juste,
prospère et solidaire.
I. LE PEUPLE VEUT LE CHANGEMENT
3. Les élections du 30 décembre 2018 ont
suscité un espoir de changement dans le pays. Le Peuple s’est
exprimé pour une véritable rupture avec l’ancien système de gouvernance, en vue
d’avoir des dirigeants qui le mettraient au centre de leurs préoccupations.
C’est dans cette perspective qu’il a salué les premiers gestes du nouveau
Président de la République, notamment l’ouverture de l’espace politique et
médiatique, la libération des prisonniers politiques, le retour au pays des
exilés politiques, le lancement du programme de 100 premiers jours. Ce fait
traduit sa volonté d’adhérer au changement voulu pour améliorer les conditions
de vie de la population.
4. Cependant, plus les jours passent
nous constatons que la situation n’évolue pas. L’élan pris pour
l’avènement d’une nouvelle ère a été brisé par de sérieuses entraves de tous
ordres. Cet état de choses compromet l’avenir de notre pays sur plusieurs
plans.
II. DES SITUATIONS PREOCCUPANTES
Sur le plan socio-politique
5. Nous sommes plus que préoccupés par le
temps pris pour les négociations en vue de la désignation des animateurs de
certaines institutions, en l’occurrence le Bureau du Sénat et le Gouvernement.
Cette manière d’agir, dans le contexte de notre pays, porte de graves
préjudices au bon fonctionnement de l’Etat.
6. En outre, le spectacle de la corruption
éhontée, lors des élections des Gouverneurs et Sénateurs dans les Provinces, a
suscité la question de la crédibilité et du sens de redevabilité de ceux qui
ont été proclamés. Ainsi, l’image de notre pays s’en trouve-t-elle sérieusement
ternie.
7. Pire encore, l’institutionnalisation de la
corruption dans les milieux éducatifs, surtout dans l’organisation des examens
d’Etat, compromet gravement l’avenir de notre jeunesse.
8. Après la tenue des élections
présidentielle et législative au niveau national et provincial, les élections
locales, fondement de la démocratie à la base, pourtant prévues par la
Constitution et fixées par la CENI pour le 22 septembre 2019, semblent ne plus
faire l’objet des préoccupations des instances compétentes. Le Peuple
attend impatiemment et instamment ces élections. Peut-on asseoir la démocratie
dans les Entités Territoriales Décentralisées par des acteurs nommés ?
9. La liberté de mouvement de certains
acteurs politiques n’est pas garantie dans quelques Provinces et villes de
notre pays. Cette restriction de droits des citoyens constitue un recul par
rapport à la décrispation du climat politique amorcée.
Sur le plan socio-économique
10. L’économie souffre de faiblesses structurelles héritées du passé. Le
chômage persiste, la scolarité et l’accès aux soins médicaux sont un luxe pour
beaucoup de familles. Des milliers de personnes, dont un nombre impressionnant
d’enfants, vivent dans une insécurité alimentaire sévère, dans un pays au sol
fertile, et regorgeant en plus d’abondantes ressources naturelles ! Il
s’observe un contraste scandaleux entre l’enrichissement vertigineux d’une
minorité de nos compatriotes et l’extrême pauvreté dans laquelle gît la
majorité des Congolais, et le fossé ne fait que se creuser.
Sur le plan sécuritaire et humanitaire
11. L’insécurité perdure dans le Nord et le Sud-Kivu ainsi que dans le
Tanganyika ; la violence connaît une recrudescence en Ituri. Nous ne comprenons
pas que les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC),
appuyées par la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la
Stabilisation du Congo (MONUSCO), n’arrivent pas encore à neutraliser les
groupes armés, nationaux et étrangers, entre autres les ADF, la LRA et les FDLR
ainsi que les envahisseurs Mbororo qui prolifèrent, sèment la mort et la
désolation, comme si l’Etat n’existait pas ! Il est inacceptable que des
groupes armés étrangers s’installent, s’entraînent et commettent des crimes en
RD Congo, alors qu’ils n’attaquent pas leurs pays d’origine contre lesquels ils
sont censés se rebeller. Les populations ont le sentiment d’être
abandonnées. Tout porte à croire que le plan de déstabilisation et de
balkanisation du pays, orchestré de l’extérieur avec la complicité de certains
de nos compatriotes, se poursuit.
12. De même, malgré l’engagement du Gouvernement et l’appui de l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) dans la riposte, la maladie à virus Ebola et aussi
la rougeole, continuent à faire de nombreuses victimes parmi nos compatriotes.
Nous saluons les efforts de tous les intervenants. Mais, nous déplorons et
condamnons les attaques perpétrées régulièrement contre les Centres de
Traitement de la maladie à virus Ebola.
13. Une fois de plus, nous exprimons notre compassion et nos condoléances les
plus chrétiennes aux familles éprouvées, victimes des violences, des pillages
et de la maladie à virus Ebola.
14. Ces événements malheureux, qui secouent notre pays, doivent être pour nous,
Congolais, un motif d’assumer nos responsabilités et de resserrer davantage nos
liens de solidarité et de fraternité (cf. 1Co 12, 26), afin de raffermir notre
amour pour la Patrie.
Sur le plan de la justice et des droits
humains
15. La justice est l’un des piliers d’un Etat de droit ; elle grandit une
nation (cf. Pr 14,34)[1]. Malheureusement,
dans notre pays, elle est mal rendue, gangrénée par la corruption et
instrumentalisée par le politique. Pour beaucoup de nos concitoyens,
l’appareil judiciaire est perçu comme une officine de combines, un espace de
règlement des comptes et de cautionnement des injustices. On espérait que
l’éclatement de la Cour suprême en trois juridictions (Cour constitutionnelle,
Cour de cassation et Conseil d’Etat) allait améliorer l’exercice de la justice.
Hélas!, la corruption semble être le principal moyen pour gagner un procès.
L’invalidation des mandats de certains députés, par la Cour constitutionnelle,
au-delà du délai fixé par la loi, que d’aucuns perçoivent comme sélective, en
est bien une illustration. On ne le dira jamais assez : on ne
construit pas une nation sur la corruption, le mensonge et la tricherie.
III. NOS RECOMMANDATIONS
16. En vue du changement voulu par le Peuple et de la sortie de la crise
multiforme, nous recommandons :
A Son Excellence Monsieur le Président de la République
17. D’assumer pleinement ses responsabilités de Chef de l’Etat ;
18. De changer le système de gouvernance en instaurant un véritable Etat de
droit à même de rendre notre pays fort et prospère ;
19. De mettre l’Armée dans les conditions qui lui permettent de répondre
efficacement à sa mission de défendre et de sauvegarder l’unité et l’intégrité
du territoire national ;
20. De redorer le blason de la Magistrature, particulièrement celui de la Cour
constitutionnelle, de façon que le Peuple ait confiance en la Justice.
Au Parlement
21. De se mettre réellement au service du Peuple qui a opté pour le
changement ; de gérer utilement le temps pour voter des lois qui
promeuvent la démocratie plutôt que les intérêts partisans. Dans cette
perspective, la révision de la loi électorale en vue de la dépolitisation de la
CENI s’avère plus que nécessaire ;
22. De veiller à ce que la majorité au Parlement n’abuse pas de sa supériorité
numérique pour faire voter des lois peu favorables au progrès de la démocratie
dans notre pays ; de contrôler sans complaisance les membres du
Gouvernement et les mandataires de l’Etat ;
23. De ne pas chercher à modifier et à tailler sur mesure des individus ou des
partis politiques, les dispositions de la Constitution, particulièrement
celles relatives aux modes des scrutins.
Au futur Gouvernement
24. De mettre au centre de son action l’amélioration des conditions de vie de
la population, spécialement dans les secteurs de l’éducation, la santé et les
infrastructures ;
25. De se préoccuper du grave devoir de l’éducation scolaire, entre autres, en
régularisant la situation salariale des enseignants non payés ou omis,
préalable nécessaire à la gratuité de l’enseignement promise par le Chef de
l’Etat.
26. De mettre en place un Comité de lutte contre la corruption ; de
travailler à la dépolitisation de l’appareil judiciaire ; de veiller à
l’effectivité de l’autonomie des Provinces ;
A nous, Peuple congolais
27. De nous unir, d’assumer notre destin et de réaliser que le changement est
un combat de nous tous ; de ne pas laisser une minorité prendre en
otage notre Patrie et notre avenir ;
28. De nous mettre résolument au travail pour notre développement
intégral ; de savoir revendiquer et défendre pacifiquement nos
droits.
CONCLUSION
29. Le Peuple veut le changement, car « personne ne met du vin nouveau
dans de vieilles outres » (Mc 2, 22). Raison pour laquelle, il s’est
fortement mobilisé pour les élections du 30 décembre 2018. N’entravons
pas son élan par des subterfuges politiciens dilatoires. Ainsi, avons-nous
déjà affirmé dans notre message en 2007 : « la crise de notre pays
est avant tout éthique. Le pays a grandement besoin d’hommes nouveaux et
intègres. Un changement radical dans le comportement personnel, social et politique
pourra apporter une nouvelle manière de gérer la République. Le Congo nouveau
sera fondé sur les valeurs républicaines, les valeurs morales de la vie sociale
et les valeurs évangéliques »[2].
30. Par l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, et par celle de
nos Bienheureux Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, que Dieu bénisse
la RD Congo et son Peuple.
Fait à Kinshasa, le 21 juin 2019
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