Mukedi, paroisse catholique sur un fief protestant
Le samedi 8 juillet, l’évêque d’Idiofa, dans la province du Kwilu, Mgr José Moko, a érigé la quarante-quatrième paroisse de son diocèse, la paroisse Notre-Dame de la paix (Mama Tulula mitshima, en langue locale pende). Naguère sous-paroisse, la nouvelle paroisse naît du démembrement de la paroisse saint Jean-Baptiste de Kilembe, qui fêtait le lendemain, 9 juillet, ses cent ans d’existence. Le nouveau curé, Monsieur l’abbé Jean-René Gamushi, a reçu de l’évêque, entre autres symboles, les clés de l’église paroissiale et du tabernacle.
Or, la nouvelle paroisse s’érige sur le fief de la Communauté Mennonite au Congo, vingt-septième communauté de l’Eglise du Christ au Congo, la confédération des Eglises protestantes. L’histoire aura pourtant retenu que les deux Eglises, catholique et protestante, se sont implantées en 1923 à Mukedi et à Kilembe dans une concurrence bien caractéristique du contexte. Qui aurait alors espérer le climat actuel de tolérance et de collaboration ?
Appel de l’évêque à l’unité des chrétiens
A l’homélie de la messe, Mgr José Moko a rappelé les seize siècles de vie chrétienne commune jusqu’à la Réforme de Martin Luther au seizième siècle. Et depuis le Concile Vatican II, la conscience est nette dans l’Eglise pour rechercher l’unité des chrétiens comme témoignage de foi et d’obéissance dans le même Seigneur.
L’évêque d’Idiofa a exhorté le curé de Notre-Dame de la paix de Mukedi à ne jamais manquer de se présenter à toutes les grandes manifestations de ses frères protestants. L’évêque a aussi souhaité la présence des pasteurs protestants dans l’église catholique, surtout pendant la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens du 18 au 25 janvier. Des protestants, mennonites et autres, participaient bien à cette messe d’érection de la paroisse catholique. Le service du protocole les a placés à un endroit bien évident.
Selon le pasteur protestant, les temps ont bien changé
Le lendemain, dimanche 9 juillet, le pasteur protestant chef de district ecclésial, Matthieu Mutshavule, s’est déplacé de quinze kilomètres pour participer à la messe du centenaire de Kilembe. Devant la cathédrale saint Jean-Baptiste, il a expliqué que les temps ont changé, bannissant toute concurrence et tout conflit entre protestants et catholiques :
« Ca a changé. Aujourd’hui, ce n’est pas comme avant. Nous avons compris que l’Eglise, avec l’œuvre salvatrice du Christ, devait se répandre à tous les niveaux possibles. J’étais même en train d’y penser la nuit. Remarquez que les disciples, quand ils ont connu la première persécution qui les a dispersés, c’est dans cette mêlée qu’il y a eu l’émergence de l’évangile dans le monde de ce moment-là. C’est de même aujourd’hui : le climat a bel et bien changé. Avant, c’était la concurrence, mais aujourd’hui, nous avons tous compris et nous sommes tous convaincus que le but de l’évangile, c’est le salut des âmes. Que nous soyons de telle ou telle Eglise, Dieu nous donne une certaine responsabilité de propager l’évangile. Comme dit dans Matthieu : ‘Allez de par le monde propager le salut des hommes. C’est ça la visée de l’Eglise catholique comme de l’Eglise protestante. C’est pourquoi cette collaboration, cette liaison. Et d’ailleurs, la nature elle-même nous enseigne aussi : Un fils mennonite, Roland Ndandula, élevé avec cette culture chrétienne, a aspiré à devenir prêtre. Et aujourd’hui, nous sommes en face de ce qu’il a produit. Voilà pourquoi je dis que la nature doit nous interpeller tous. Voilà comment Dieu nous enseigne en nous disant que nous devons collaborer pour propager la Bonne nouvelle. Et pour l’avenir, à Mukedi, à Kilembe et dans toute la région, le souhait est que si avant, c’était la concurrence et que chacun évoluait à sa manière, que ce soit aujourd’hui la première pierre de l’édification, de l’unification afin de produire du progrès pour notre génération et pour nos Eglises. »
Un prêtre, témoignage vivant
Monsieur l’abbé Roland Ndandula, fils de Mukedi, missionnaire en Italie, a aidé au financement pour la construction de l’église de Mukedi. Fils de protestant, neveu de pasteurs protestants, il est devenu prêtre catholique, et il ne croit pas avoir trahi :
« Je ne me dirais pas un traître mais un don de Dieu. Rien ne vient au hasard. Dieu fait ses affaires à travers les hommes. Je remercie tous ces protestants qui m’ont soutenu et qui m’ont aidé à devenir prêtre et à ériger cette église pour la gloire de Dieu. Je ne suis pas un traître, je suis un serviteur.
Je suis devenu catholique, c’était mon choix personnel, avec l’accord de mes parents. Je leur dis merci.
Quand j’ai dit ma première messe en 1986, je m’étais dit : si je trouve des moyens, je construis une église ici. Et Dieu m’a fait réaliser le projet. Je le remercie. Je remercie aussi l’évêque qui m’avait autorisé à rester en Europe pour trouver des moyens. Et je remercie tout le peuple qui a soutenu cet effort jusqu’aujourd’hui.
A Mukedi, je ne venais pas souvent, j’étais à Kilembe comme élève puis préfet. Le conflit entre catholiques et protestants, ce doit être du passé. La construction de cette église est aussi l’œuvre de protestants, des pasteurs et des préfets d’écoles et leurs élèves, qui ont apporté des pierres et du sable pour la construction.
Dans ma prière, je me confie toujours à Maman Tulula mitshima (Notre-Dame de la paix) ; lui dédier la paroisse est une bénédiction, je souhaite qu’elle nous assiste en tout et pour tout aujourd’hui et demain et que tous donnent du leur. »
Le conflit appartient au passé
A propos du conflit des origines, ce sont deux historiens qui l’ont révélé le vendredi 7 juillet à Kilembe au cours du colloque organisé pour le centenaire de la paroisse.
Oui ou non la présence du jésuite Henri Foubert et ses compagnons en 1923 puis celle des missionnaires oblats dès 1933 s’est justifiée pour contrer le « péril protestant » ? Le père oblat Macaire Manimba, historien, s’est posé la question pour expliquer combien, après Ipamu, dans le nord du vicariat d’Ipamu en 1922, les missionnaires oblats de Marie Immaculée se sont vite empressés d’aller à Kilembe, dans le sud, à l’entrée du Kasai d’où venaient les protestants.
Cohabitation ou concurrence entre missionnaires protestants et catholiques dans les missions de Mukedi et de Kilembe, fondées respectivement en mars et en juillet 1923 ? C’était le thème de la conférence de Joachim Kumarer, protestant. Il a surtout expliqué la différence des méthodes pour l’évangélisation.
Mais ce que l'histoire raconte aussi, c'est le fait remarquable survenu le 23 janvier 1964. La nuit, des rebelles de Pierre Mulele avait assassiné les trois pères oblats Gérard Defever, Pierre Laebens et Nicolas Hardy. Le matin, les soeurs de la Sainte Famille de Bordeaux et des fidèles de la mission découvrent les corps abandonnés devant la cure incendiée. Ils ensevelissent les corps dans une tombe commune devant l'église. Et précipitamment, les religieuses sont évacuées de Kilembe par des missionnaires protestants arrivés de la mission de Mukedi.
Mukedi, de village à commune rurale
La cohabitation pacifique entre protestants et catholiques dépend sans doute de l’évolution idéologique du christianisme dans la mentalité de ses adeptes et de ses pasteurs. Mais on doit aussi considérer l’avancée due à l’aménagement du territoire. De village, Mukedi est devenu une commune rurale à forte densité cosmopolite.
Le village a bénéficié de l’asphaltage de la route nationale numéro un partant de Kinshasa à Kasumbalesa. Sur le tronçon entre la ville de Kikwit, dans la province du Kwilu, et la ville de Tshikapa, dans la province du Kasai, Mukedi apparaît, avant le pont Loange, comme le point de repère nécessaire. Le commerce s’y développe de jour et de nuit. L’urbanisation a commencé, et comme partout ailleurs, la ville demande une méthode d’évangélisation particulière.
Jean-Baptiste Malenge
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