L'église et la case cheffale

Au cœur des jours et des nuits
L’église et la case cheffale

Comparer l’église du village avec la case cheffale, le prêtre qui a présidé la messe du jubilé d’or de ma paroisse l’a fait. Il en a eu l’inspiration venue du ciel, sans aucun doute. La case cheffale abrite les attributs du pouvoir, et l’église abrite les attributs du royaume des cieux. Il faut le même respect à l’intérieur et autour de l’église et de la case cheffale.
La construction de la case cheffale, dans ma tribu, se déroule en une seule journée. Le village entier est obligé d’y contribuer, et l’on apporte rameaux, sticks de bois et cordes et tous les matériaux, et l’on prête ses mains au travail de tous, pour voir, à la tombée de la nuit, les insignes et tous les emblèmes hérités des ancêtres reposer dans la case cheffale. Voilà remplies quelques conditions indispensables pour la validité du pouvoir d’un nouveau chef.
La case cheffale, on peut la comparer à la tente des Juifs de l’Ancien Testament, les Israélites. Ne pensez pas au palais royal, au palais de Salomon, par exemple. Ne pensez même pas au Temple de Jérusalem. Pensez à la tente, qui abritait l’arche. Yahvé est censé habiter dans l’arche et accompagner le peuple choisi.
Mais la case cheffale, dans ma tribu, n’a pas vraiment de comparaison avec l’arche des Juifs. Avec l’Eglise, dans le Nouveau Testament, il faut aussi oser un rapprochement. Et le prêtre qui a présidé la messe pour le jubilé de ma paroisse a trouvé la comparaison pour inviter tout le village à la solidarité et à la communion. Il faut construire l’Eglise comme communauté paroissiale. La construction commence par celle de l’église comme édifice, symbole de l’Eglise comme communauté. En plusieurs jours, semaines voire années, tout le monde est appelé à contribuer pour construire l’œuvre de Dieu et abriter le tabernacle, l’autel, la sacristie et tout ce qui doit nous rappeler le pouvoir des cieux. Il ne convient pas d’attendre que des étrangers vous aident à construire votre église, en vous envoyant de l’argent, par exemple. Ce serait indigne d’une communauté paroissiale adulte, mûre dans la foi, c’est-à-dire dans la marche avec Dieu. Dieu habite dans vos cœurs, mais comment Dieu n’aurait-il pas de demeure physique chez vous depuis cinquante ans ?
Le prêtre a posé de bonnes questions. Il a très bien expliqué le rôle et la responsabilité de chacun. Et un langage imagé, tous les adultes de mon village le comprennent. Ils le préfèrent d’ailleurs au langage prosaïque, banal, digne des enfants incirconcis et des non-initiés. Le prêtre avait été bien inspiré. Toute l’assemblée l’écoutait avec plaisir. Mais le prêtre a eu la maladresse d’interroger en public les chefs de village présents à la messe. Le chef de mon village et ses homologues venus des villages voisins et même lointains, personne n’a levé le doigt pour dire qu’il avait chez lui une case cheffale. Les chefs coutumiers, comme on les appelle, étaient habillés mieux qu’aucun de leurs prédécesseurs. Ils ont ajouté à leur parure des fioritures, des éléments extraordinaires de décoration et de distinction. Mais personne n’avait chez lui une case où garder les attributs du pouvoir.
On se mit à plaindre les chefs lorsqu’il se révéla donc qu’il était possible qu’aucun chef présent n’en fût vraiment un, si l’on peut penser à ce que doit être un chef, un vrai. Il n’est pas celui qui s’affuble d’une peau de léopard et de crânes de carnivores. Le chef n’est pas celui qui porte des lunettes de soleil. Il n’est pas celui qui s’est éclairci la peau à l’hydroquinone ou qui arbore un smartphone. Qu’est-ce qu’un chef coutumier sans case cheffale ?
Les chefs n’ont pas répondu. Un chef ne parle pas n’importe comment en public. A leur place, la foule a répondu. Et l’on a appris que les cases cheffales, il n’y en a plus parce qu’on aurait tourné le dos à toutes les pratiques ancestrales assimilables à la magie, à la sorcellerie. Le prêtre se fit expliquer aussi, séance tenante, que les villages l’avaient décidé ainsi longtemps après la colonisation et les missionnaires étrangers qui ont brûlé comme des fétiches les amulettes et les statuettes. Puis, ce sont les nouvelles Eglises et les nouveaux missionnaires qui prétendent délivrer les villages des sorciers et de la sorcellerie. Ils ont décrété que les villages n’avaient plus besoin de cases cheffales. Et voici le résultat : les chefs n’ont plus aucune référence ni à Dieu ni à Diable, ni aux ancêtres des clans ni aux défunts en général. Les chefs n’ont plus d’âme. Et voilà pourquoi, affublés de parures invraisemblables, ils errent, vagabondent à travers le pays, à la recherche de la légitimité, de la reconnaissance.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu

jbmalenge@gmail.com

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