"Prêtre dans la rue" : Avant-propos
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Vient de paraître
Pour saisir l'arrière-fond de la situation socio-politico-religieuse de la RDC, un éclairage vous est donné par la lecture du livre "Prêtre dans la rue". La troisième édition est parue en 2010. Le chapitre 12 intitulé "La chasse aux soutanes" relate et analyse la "marche des chrétiens" du 16 février 1992.
Vient de paraître
Editions Baobab
à Kinshasa
E-mail : jbmalenge@gmail.com
Tél. + 243 998365376
(Pour la troisième édition)
La première édition de ce livre date de 1990. Elle recueillait des textes plus anciens. Nous les maintenons dans leur état initial. La deuxième édition avait apporté deux nouveaux titres. Nous y ajoutons, aujourd’hui, deux autres : Prêtre entre sorciers et « anti-sorciers » et Sourire de prêtre.
Le thème principal abordé ici ne peut être plus actuel qu’en cette « année du sacerdoce », du 19 juin 2009 au 19 juin 2010, instituée par le pape Benoît XVI.
La troisième édition de Prêtre dans la rue doit beaucoup à la Providence qui permet ainsi de revisiter l’identité du sacerdoce et les formes concrètes de la vie du prêtre. Il ne s’agit pourtant pas d’une étude théologique ! Aux thèmes recueillis dans les années 1980-1990, des sujets supplémentaires s’imposent dans l’histoire congolaise des années 2000 : la croyance à l’ensorcellement et la tentation pour un engagement du prêtre en politique. Voilà deux sujets de toujours qui ont pris un accent particulier dans la conjoncture actuelle. La pauvreté matérielle accrue en serait le ressort principal.
Dans la lettre adressée aux prêtres pour leur annoncer l’ouverture de l’année sacerdotale, le cardinal Claudio Hummes, préfet de la Congrégation pour le clergé, souhaite que cette année soit « l’occasion d’une période d’approfondissement intense de l’identité sacerdotale, de la théologie du sacerdoce catholique et du sens extraordinaire de la vocation et de la mission des prêtres dans l’Eglise et dans la société ». Toujours mieux comprendre la mission et la vie du prêtre, la tâche et le besoin en sont ainsi à reprendre sans cesse, au fil des ans et des lieux. Considérer le « prêtre dans la rue », c’est, à tout le moins, indiquer un horizon pour la compréhension du prêtre dans sa vie et son ministère. Comme l’écrit Godé Iwele dans la Préface, c’est « dans l’effervescence de la rue et seulement là » que se donne à comprendre la mission et l’identité du prêtre.
Pour le prêtre lui-même et pour la société globale, cette compréhension ne peut échapper au débat. La rue est pluraliste et ambiguë, certes. Mais on s’accordera bien avec le cardinal Hummes pour prendre aussi « en considération les conditions concrètes et le maintien matériel dont vivent nos prêtres, parfois réduits à des situations de dure pauvreté ». Qui en douterait ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas que beaucoup de nos contemporains ne jugent des personnes et des situations que du point de vue du matériel ? Il n’est pas rare non plus, malheureusement, qu’au sein même de l’Eglise, le critère d’appréciation ne soit pas toujours celui de la foi, du spirituel.
Un certain usage déréglé des moyens de communication sociale, notamment de l’internet, de la radio et de la télévision, a souvent exposé des « lettres » vindicatives de prêtres à leurs évêques, ces « chefs » censés procurer d’abord et avant tout à boire et à manger. Des mémorandums entiers évoquent ainsi la dure pauvreté et toutes les difficultés matérielles de la vie extraordinaire du prêtre. Pour s’en sortir, certains s’en sont allés à la recherche du mieux-vivre ou encore de la justice. Ils n’en sont plus jamais revenus.
Mais beaucoup d’autres assument plutôt leur indigence personnelle comme un levier pour la participation à la lutte générale du peuple contre la misère. Ils se sentent ainsi aiguillonnés, dans leur chair, à lutter pour la charité et le développement humain.
Dans l’Eglise et dans la société, la pauvreté matérielle et économique recouvre ainsi plus qu’une simple question de partage équitable de richesses disponibles. Lutter pour la justice distributive ne suffit pas lorsqu’il manque justement des richesses à partager. Et voilà pourquoi tout l’intérêt pour la « politique ». Elle est à comprendre comme lieu et instance de créativité et d’invention du social. La politique est cette « capacité humaine de concevoir et de réaliser des projets en commun, au moyen de l’échange d’idées, de paroles et de la discussion »[1].
Dans les années 1990, les Eglises d’Afrique ont accompagné les mouvements sociaux contestataires dans la revendication d’un ordre politique respectueux des droits humains. La lutte pour la démocratie a ainsi mobilisé les ecclésiastiques au point de les présenter comme des alliés objectifs des « opposants » politiques. Ce fut l’ère des Conférences Nationales Souveraines. Et du multipartisme. Vingt ans plus tard, sans oublier des guerres et rébellions, les opposants d’hier sont devenus les gouvernants d’aujourd’hui. Parfois, la roue des changements les a même déjà remis dans l’opposition. De toute façon, les bonnes intentions et prétentions d’hier n’ont pas forcément opéré le miracle proclamé et attendu. A la tâche, bien des donneurs de leçon se sont révélés pires et plus incompétents que jamais personne auparavant.
Mais l’Eglise, fidèle à son enseignement, a continué à revendiquer les mêmes droits en vue du respect de la dignité humaine. L’Eglise n’avait donc pas partie liée avec quelque obédience politique ! Des « politiciens » jadis portés par les Eglises n’ont pas manqué de se sentir lâchés. Lors des élections, des organisations de laïcs catholiques n’ont pas caché leur dépit lorsqu’il est devenu clair que l’Eglise ne soutenait aucun candidat.
Dans la foulée, une question s’est imposée : le parti « prophétique » de l’évangile ne conduit-il qu’à la critique négative ? N’ouvre-t-il pas la voie, positivement, à l’encouragement pour les initiatives honnêtes et généreuses ? Et surtout : l’Eglise, par ses fils et filles, laïcs et ecclésiastiques, ne doit-elle pas exercer son expertise avérée dans bien des domaines pratiques et concrets pour prendre des initiatives civiques et indiquer des voies nobles à la construction des nations ? Si oui, où se tracerait la ligne de démarcation nécessaire entre la vocation d’un prêtre, par exemple, et l’engagement politique du laïc ?
Autant de questions pratiques pour l’année du sacerdoce, lorsqu’il s’agit de réfléchir sur la possibilité de contribuer à la construction des nations africaines. Cinquante ans après les indépendances, le rêve d’un Joseph-Albert Malula en faveur d’une Eglise congolaise dans un Etat congolais est plus que de rigueur pour le clergé congolais. Voici un cas concret : le samedi 6 février 2010, le Premier ministre Adolphe Muzito a révélé à la presse que le Produit Intérieur Brut de la RDC est à 200 $ alors que celui de pays voisins comme l’Angola et le Congo dépasse les 4 000 $. Comment, dans un tel contexte, les prêtres vivraient-ils au-dessus de la moyenne de leurs compatriotes ? Et comment faire, honnêtement, pour annoncer le changement en parole et en actes, sans se contenter de la dénonciation, de la critique facile ?
Or, en l’occurrence, il ne s’agit pas seulement ni d’abord de déplorer la misère matérielle comme s’il suffisait d’y remédier pour rendre les prêtres « heureux, saints et joyeux dans leur travail apostolique quotidien » (Cardinal Hummes). Cette pauvreté n’est-elle pas, justement voire paradoxalement, le terreau sur lequel naissent et s’épanouissent les vocations ? Sous diverses latitudes, l’Eglise est bien fière, en effet, de ses prêtres « solidaires avec les pauvres et ceux qui souffrent » (Cardinal Hummes).
On s’interroge à juste titre sur le genre de cette « solidarité ». Concrètement, n’est-ce pas que la plupart des vocations sacerdotales et religieuses visent, consciemment ou pas, à soulager la misère de l’humanité, au nom de Dieu ? Mais entre la meilleure intention et la réalisation, les dérapages sont parfois tout aussi énormes. Le diable, non plus, ne se laisse pas faire. L’année sacerdotale est aussi l’occasion de reconnaître des pièges tendus par le diable et ses anges de lumière… On ne parvient pas toujours à les éviter et de la meilleure manière !
C’est essentiellement de la souffrance que parle Prêtre dans la rue. La souffrance du cœur du prêtre, qui voit la misère de son peuple. Il s’agit aussi, malheureusement, de la souffrance causée par le prêtre dans des situations délicates ou ambiguës. Comment en serait-il autrement ? S’adressant aux curés et aux prêtres de Rome, en début de carême, le 18 février 2010, le pape a commenté la Lettre aux Hébreux et souligné que « le prêtre doit être vraiment homme, faire preuve de compassion à l’égard des autres et compter sur l’intervention de Dieu qui l’aide à surmonter les faiblesses humaines ».
Le ministère de la compassion engage fatalement à certains risques. En 1992 s’imposait la figure de Mgr Laurent Monsengwo, alors président de la Conférence Nationale Souveraine puis du Parlement de Transition. L’archevêque de Kisangani n’a pas manqué de susciter des questions sur le rôle du clergé dans un certain exercice du pouvoir politique. Dans l’ex-Zaïre comme dans bien d’autres pays africains qui ont appliqué le même schéma en recourant à un homme d’Eglise pour la Transition politique, le temps est passé. Des guerres sont survenues avec de nouveaux seigneurs adulés. De nouvelles Transitions avec de nouveaux schémas ont suivi. C’est alors que la figure du prêtre Apollinaire Malu-Malu a surgi. Il présida la Commission Electorale Indépendante. Lors des élections législatives et présidentielles de 2006, le prêtre apparut certainement comme l’homme le plus important du pays. Les projecteurs furent braqués sur lui. C’est de lui qu’il s’agit dans Sourire de prêtre, texte paru ailleurs et qui trouve bien sa place ici.
Au-delà de sa personne, Malu-Malu fait poser les mêmes questions de l’exercice du pouvoir politique par des membres du clergé. Pourquoi a-t-il accepté, sans avoir jamais postulé, à être porté à la tête d’une institution aussi sensible, mettant d’ores et déjà en jeu sa crédibilité et celle de l’Eglise ? A maintes reprises, j’ai interviewé le prêtre. Ses réponses peuvent se ramener à la volonté de servir le peuple, de soulager la misère de façon profonde et durable.
Dans la première édition de ce livre, j’ai évoqué le cas de Jean-Marie Tjibaou, leader du mouvement indépendantiste canaque. Il avait quitté le sacerdoce afin d’avoir une meilleure prise sur la société. Dans le temps et dans l’espace, la Nouvelle Calédonie paraît si loin aujourd’hui. Prenons des cas plus proches de la République démocratique du Congo.
Au pays de Jean-Bedel Bokassa, son cousin Barthélemy Boganda fut le tout premier prêtre autochtone de l’Oubangui-Chari. Ordonné prêtre en 1938 après des études à Bangui, Brazzaville, Kisantu et Yaoundé, l’abbé Barthélemy Boganda quitta le sacerdoce en 1946, dans le but de se consacrer totalement à la politique. Il est élu comme le tout premier député noir. Mais en 1949, il décida de se marier, et son évêque le suspendit. Il devint le tout premier président de la République en 1958. Il mourut une année plus tard, laissant l’image d’un défenseur de l’émancipation des Africains.
Le clergé centrafricain a défrayé la chronique en 2009. Il dénonçait l’hégémonisme occidental, le néocolonialisme. Le 27 mai, des prêtres ont lancé un mot d’ordre de grève, qui fut annulé le lendemain. Le journal La Croix de Paris écrivait : « Depuis des années, entre les rives de l’Oubangui et du Chari, le feu couvait sous la cendre. Notamment depuis la nomination de deux évêques européens, le spiritain allemand Peter Marzinkowski à Alindao en 2004 et le salésien belge Albert Vanbuel à Kaga-Bandoro en 2005. À chaque fois, le clergé diocésain de la République centrafricaine (RCA), en pleine expansion, avait manifesté un ressentiment certain. Car cette Église, au rôle essentiel face au délabrement de ce pays d’Afrique centrale, vit un tournant de son histoire : en 1990, elle comptait 175 prêtres européens pour 83 prêtres centrafricains. En 2003, les premiers étaient 139, les seconds 138 et aujourd’hui, le rapport est de deux à trois. » (28 mai 2009).
Le tout premier président de la République du Congo, de 1959 à 1963, et qui a conduit le pays à l’indépendance en août 1960, fut l’abbé Fulbert Youlou, ancien du grand séminaire de Yaoundé comme Barthélemy Boganda. Il garda longtemps la soutane, même après que l’Eglise l’eut renvoyé pour son engagement en politique. Son évêque l’avait suspendu en 1955.
En mai 2009, la presse brazzavilloise parla de la réincarnation de Fulbert Youlou. L’abbé Joseph Yanguissa s’était porté candidat à l’élection présidentielle. Dans sa déclaration de candidature, il se réclame de l’enseignement social de l’Eglise, et il vénère « ‘Ya Youlou’, l’abbé Fulbert Youlou, mon aîné dans le sacerdoce et mon premier Président ». Joseph Yanguissa se réclame aussi de Mgr Ernest Nkombo, mort en octobre 2008. Il avait dirigé la Conférence Nationale : « Je pense à Monseigneur Ernest Nkombo, qui m’avait confié que je devais assurément me lancer dans l’élection présidentielle, comme je le fais par cette occasion et qu’en aîné, il serait derrière moi. Que de là haut, purifié de ses fautes dans le sang du Christ, il le soit. »
En 2009, la Conférence épiscopale du Congo a rappelé la disposition du droit canonique interdisant aux prêtres de briguer un mandat électoral.
La même disposition du droit canonique a été maintes fois rappelée par les évêques de la République démocratique du Congo pendant et après la période électorale de 2003 à 2006. Dans la lettre adressée aux prêtres le 10 juillet 2009, à l’occasion de l’année du sacerdoce, ils rappellent le même canon 285 § 3 : « Il est interdit au clerc de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir public. »
On pourrait trouver superflu un tel rappel. Qu’on se souvienne que le 27 juillet 2006, le secrétaire général et porte-parole de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) avait publié une communication concernant un prêtre catholique candidat aux élections présidentielles : « La CENCO réprouve la candidature de Mr l’Abbé Rigobert Banyingela Kasongo et se réjouit de la prise par Son Excellence Mgr Marcel Madila, Administrateur Diocésain de Kananga, des sanctions canoniques à son endroit, à savoir la suspension de l’exercice de son sacerdoce (Can. 1333-1334).
Dans la même communication, la Conférence épiscopale « informe l’opinion publique que Mlle Noëlle Wetchi Sifa n’est plus religieuse et lui demande de cesser de porter l’habit religieux sous peine de sanctions canoniques appropriées ». Des membres de la congrégation des sœurs de Notre Dame du Bon Conseil du diocèse de Kindu sont passées plus tard à la télévision dénoncer le port de leur habit religieux par une ancienne compagne qui les avait quittées de son gré et avait organisé sa vie autrement. C’est en religieuse que la candidate aux élections législatives à Kinshasa se présentait sur les affiches de propagande.
L’abbé Banyingela a été réhabilité plus tard par l’ancien administrateur diocésain, Mgr Marcel Madila, évêque auxiliaire devenu entre-temps archevêque de Kananga. Mademoiselle Wetchi n’a pas été élue députée. L’un et l’autre sont rentrés dans l’anonymat.
En Afrique de l’ouest, le chef de la rébellion indépendantiste de la Casamance, dans le sud du Sénégal, repose, depuis sa mort en janvier 2007, dans le cimetière du séminaire Saint Jean-Marie Vianney de Brin, près de Ziguinchor. L’abbé Augustin Diamacoune Senghor, ordonné prêtre en 1956, est devenu chef rebelle en 1991. Il a fait le maquis, la prison et l’exil ; il a signé des accords de paix avec le pouvoir de Dakar, et de 1995 à 2005, il est resté en résidence surveillée à la Direction diocésaine des œuvres catholiques de Ziguinchor.
L’opinion s’étonnait d’entendre appeler abbé un chef rebelle. A tous les niveaux de l’Eglise, les condamnations de son action n’ont pas manqué. L’ancien responsable de l’émission religieuse catholique sur Radio Ziguinchor se disait par ailleurs non-violent, opposé à toute lutte armée et avoir échappé à vingt-deux tentatives d’assassinat : « Prêtre et fils de la Casamance, je dois dénoncer et condamner tout ce qui va contre la vérité, la charité, la justice et la paix. Je suis un prêtre défenseur des pauvres, des faibles, des sans voix, spoliés, exploités, humiliés, asservis, violés, torturés et tués.»
Les bonnes intentions n’ont donc pas manqué. A qui le prochain tour ? La question reste la même de comprendre pourquoi l’Eglise, appuyée par son histoire bimillénaire, interdit aux membres du clergé de s’engager officiellement en tant que tels dans l’exercice du pouvoir politique. La misère du peuple, le besoin de servir ne peuvent tout justifier, ni en Afrique ni ailleurs…
L’une des raisons plausibles de cette interdiction est sans doute celle de la sagesse, exprimée par le Togolais Edem Kodjo, ancien Premier ministre, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine. Il était invité à la deuxième Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique. Le catholique enseignant de patrologie recommanda aux évêques de dire halte aux déviances politiques. Il sollicita des aumôniers pour les hommes politiques, en vue de la prière et de la formation dans l’enseignement social de l’Eglise. Pour lui, « le cœur de l'homme étant obscur par nature et la politique étant la fange par excellence, ils sont plus exposés que d'autres à la trahison de leur foi. Les dénoncer, les vilipender ne suffit pas. Il faut changer leurs cœurs ».
Et la tâche spécifique du prêtre interviendrait alors dans cette tâche de conversion des cœurs. La question est à poser et à vivre. Le cardinal Joseph-Albert Malula, ancien archevêque de Kinshasa, n’est pas entré en politique, lui qui réussit, pourtant, à influencer bien des jeunes intellectuels de son entourage et futurs leaders politiques. L’histoire lui reconnaît un travail de fond dans l’émergence d’une élite politique. Il animait des mouvements d’action catholique. Cet apostolat porta du fruit : le 30 juin 1960 parut dans le journal « Conscience Africaine » le retentissant « Manifeste » qui prépara bien des intellectuels à l’idée de l’indépendance du pays. Dès son ordination épiscopale le 20 septembre 1959 comme évêque auxiliaire de Léopoldville, il souhaite voir « une Eglise congolaise dans un Etat congolais ».
Et ce qu’il reste à comprendre encore aujourd’hui de la vie et de l’œuvre de Malula, c’est notamment le conflit avec le président Mobutu. Malula ne convoitait pas le pouvoir politique. Il ne pouvait être un concurrent. Il a reçu la médaille de l’Ordre National du Léopard. Il a toujours refusé de lier l’Eglise à un régime politique. Aussi s’opposa-t-il, en 1972, à l’installation d’une section de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution au grand séminaire interdiocésain Jean XXIII. Les raisons étaient évidentes. Il tenait au respect des autorités, mais il paya cher également le fait d’avoir demandé aux dirigeants politiques de ne « pas jouer avec les choses de Dieu »[2]. Du 11 février au 28 juin 1972, il fut forcé à l’exil à Rome.
Or, tout comme Malula, qui recherchait l’inculturation, la pratique de la foi catholique dans l’identité congolaise, Mobutu prêchait le « recours à l’authenticité » comme voie pour assurer la vraie indépendance mentale du Congolais. Qu’est-ce qui sépara alors les deux hommes dont les vues philosophiques se ressemblaient ainsi ? Voilà sans doute un cas d’école de l’incompatibilité entre l’identité du prêtre et l’exercice du pouvoir politique. Le cas est à étudier dans cette tranche de l’histoire du Congo indépendant à la recherche incessante de son identité…
Plus que de l’engagement politique, le prêtre, dans la rue, affronte aussi la question de la sorcellerie. Hier, la croyance à l’ensorcellement caractérisait le villageois analphabète. Aujourd’hui, le citadin intellectuel semble y avoir trouvé réponse à toutes les questions vitales, métaphysiques.
Lors de la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques tenue à Rome du 4 au 25 octobre 2009, deux évêques nigérians se sont fait l’écho, le 13 octobre, de la lancinante question. A Kinshasa, des films nigérians diffusés au quotidien par des chaînes de télévision donnent de ce pays l’impression d’être habité par un peuple tout enfermé dans l’archaïsme de la croyance magique. A Rome, Mgr Joseph Effiong Ekuwem, évêque d'Uyo, a dit combien « la croyance dans les sorcières manque de toute justification sur la base de la raison, de la science et du bon sens ». Et il a suggéré au Synode qu'un nouveau rituel fondé sur l'ancien rite d'exorcisme soit mis en place à l'usage des prêtres et que l'on puisse nommer, en accord avec le code des lois universelles, un exorciste pour chaque Église particulière.
Pour sa part, Mgr Augustine Obiora Akubeze, évêque d'Uromi, a souhaité du Synode une « déclaration spécifique pour guider notre troupeau ».
Mgr Norbert Wendelin Mtega, archevêque de Songea, en Tanzanie, recommande une évangélisation en profondeur. Il fait remarquer combien défendre les personnes soupçonnées de sorcellerie est difficile, vu que beaucoup de dirigeants politiques et administratifs croient eux-mêmes en la sorcellerie, la superstition et l’occultisme.
Ces trois évêques anglophones présentent la question dans les mêmes termes bien pertinents pour la République démocratique du Congo. Si les fidèles font pitié aujourd’hui, c’est aussi parce que des prêtres censés les défendre sont justement ceux qui les acculent dans des croyances superstitieuses. Les évêques congolais régleront sans doute un jour la question de l’« exorcisme anarchique », selon l’expression de l’archevêque de Kinshasa.
Le 15 août 2009, à Idiofa, Mgr Monsengwo a ordonné le nouvel évêque, Mgr Joseph Moko. Il l’a présenté comme un évêque de l’espérance et de la libération. Et d’expliquer qu’il ne s’agit pas de la libération fallacieuse que prétendent les soi-disant « exorcistes » qui se présentent au diocèse d’Idiofa et ailleurs sans autorisation explicite de l’évêque. L’assemblée a applaudi lorsque Mgr Monsengwo a décrit ces « exorcismes » anarchiques : « Ce genre de soi-disant ministère est en fait une exploitation à des fins commerciales de l’ignorance et de la crédulité d’un peuple qui croupit dans une misère noire. »
La réponse du Synode est contenue dans le numéro 13 des Propositions faites au Saint-Père en vue de l’élaboration de l’exhortation post-synodale. La proposition porte sur la Religion Traditionnelle Africaine. On y parle notamment du discernement nécessaire à faire entre le culturel et le cultuel. On y évoque les « projets malveillants du magico-sorcier, cause d'éclatement et de ruine pour nos familles et nos sociétés ». Le Synode propose que « les pasteurs dans leur diocèse engagent une action pastorale énergique contre tous ceux et celles qui sont impliqués dans la sorcellerie et étudient les mesures disciplinaires qui s'imposent; chaque évêque désigne un exorciste là où il n'y en pas ». Et comme pour ne rien trancher sur la croyance elle-même, le Synode propose que « l'Église locale doit s'appuyer sur une approche mesurée qui étudie ce phénomène à la lumière de la foi et de la raison, de telle sorte de libérer les Africains de ce fléau; et une équipe pastorale diocésaine pluridisciplinaire devra concevoir un programme pastoral qui soit fondé sur la rationalité, la délivrance et la réconciliation ».
On attend avec curiosité de voir comment, dans son langage, le pape redira ces propositions exprimées dans la pure mentalité africaine. Dès 1945, le missionnaire belge Placide Tempels avait reconnu cette « philosophie bantoue » comme peuplée par des « forces ». Aujourd’hui, la « mentalité magique » s’affirme avec force. Et beaucoup de Congolais se disent hantés par des esprits, des forces multiformes. D’où la prolifération de sectes religieuses spécialisées dans la chasse aux sorciers. D’où également la floraison de prêtres « exorcistes », tout dévoués à la délivrance.
Si la misère du peuple est le défi de la vocation sacerdotale, les contradictions de la vie et du ministère des prêtres d’aujourd’hui ne doivent pas y ajouter. Au contraire, en cette année du sacerdoce, il nous faut regarder autrement la réalité. Dans la rue.
La première édition de ce livre estimait qu’à trente ans, l’âge des premiers bilans, on ne vous pardonne pas certaines incartades. Que dire alors de cinquante ans, l’âge des vrais bilans ? Aux « Enfants de l’indépendance » de le dire au moment où se célèbre le jubilé d’or de l’indépendance du pays.
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