Préface au nouveau livre de Nicaise Kibel Bel : "Les marionnettes congolaises"



Préface
Et pour ne rien occulter de la nuisance extérieure, Kibel Bel se fait le devoir de raconter par le détail les connivences et injonctions ou pressions de ceux que la terminologie des rebelles appelle pudiquement les « alliés ».


C’est bien un drame que Kibel-Bel raconte. Dans les réminiscences des revendications puis des célébrations des indépendances africaines, on entend distinctement résonner ici les mêmes récriminations des héros des indépendances. On ne cite par leurs noms, mais l’auteur semble bien reprendre les mêmes accents vindicatifs des pères des indépendances.  Il se fait même leur porte-parole pour rappeler la foi qui fut la leur et la flamme de leur cœur aujourd’hui trahie par des ingrats ou traîtres qui ne se privent pourtant pas de se réclamer d’eux. Au bout du compte, il s’agit bien d’interpeller les contemporains. Qu’ils aient mauvaise conscience en se rendant compte combien ils ne sont pas aussi responsables et courageux que leurs ancêtres. Qu’ils aient surtout honte de savoir qu’ils ne méritent pas tant de leur pays, puisqu’ils le « vendent » littéralement à la première difficulté venue.

Mais la mauvaise conscience et la honte, voilà les sentiments, « bienfaisants » en l’occurrence, qui manquent justement à ceux que l’auteur appelle les « marionnettes ».  Faut-il le leur pardonner ou les plaindre ?  L’auteur n’en est pas à prescrire un quelconque examen de conscience. Il raconte. Il rappelle.

Au-delà du souvenir, c’est le présent qui est ici concerné et qui appelle à la responsabilité. Et si le rêve des pères des indépendances africaines ou congolaises s’est brisé, trahi par des générations moins ambitieuses et fières, la RDC donne bien l’exemple de cette culpabilité maintes fois ressassée et de la récidive presque tranquille dans le péché. Les nombreuses rébellions jalonnant les cinquante ans d’indépendance l’attestent, accusant les uns et les autres de la même propension à l’égoïsme et au cynisme. Par déformation professionnelle, les historiens et autres sociologues se sont presque toujours abstenus de porter leur regard sur la face morale des protagonistes de la scène politique congolaise et africaine. Aux journalistes qui voudraient s’y engager, on rappelle toujours la règle déontologique qui impose en quelque sorte d’ignorer la « vie privée » des acteurs. Il n’est pas question de recommander un quelconque examen de conscience.

Nicaise Kibel Bel n’étale pas de vie privée ici. Mais il décrit, dans une allure de la psychosociologie, ce qui arrive lorsque des individus manquent de prendre du relief vis-à-vis de leur moi. L’égoïsme et le cynisme peuvent toujours entamer jusqu’aux bonnes consciences. Kibel Bel est arrivé comme journaliste dans la rébellion de l’est du pays, il y a vécu à son cœur défendant, il a vu et il dit savoir. Ce qu’il partage ici, c’est cette intelligence susceptible d’aider à porter au jour  le « passé douloureux » que beaucoup n’auront de cesse de vouloir occulter alors même que le cauchemar les hante encore. Or, persister à vouloir cacher ce passé, c’est tenter de falsifier l’histoire, les faits et les événements, et c’est oser défier l’avenir, qui appartient à Dieu. Et pour un peuple, feindre d’oublier un passé récent, c’est la meilleure manière de boucher l’horizon vers lequel devraient tendre les énergies qui mobilisent pour un présent et un futur toujours « plus beaux qu’avant ».

Et c’est justement un tel mensonge qui a caractérisé l’entreprise meurtrière que fut « la guerre de l’Est ». Faut-il vraiment en parler au passé ? Ne faut-il pas la raconter au présent, prenant pour seul avantage sur le temps le fait d’avoir duré dans l’impasse et de voir revenir les mêmes événements et les mêmes personnages portés par les mêmes logiques ?

La méditation proposée ici par Kibel Bel aurait pu remonter jusqu’à l’époque coloniale voire au temps de l’esclavage, pour dénoncer partout la même inconscience de « marionnettes ». Le journaliste n’a pas peu de mérite de ne remonter qu’à la deuxième « guerre de l’Est ». Celle dont il a été témoin oculaire. Il a vécu ce qu’il raconte. Ce que le journal Les coulisses a raconté au fil des jours et des nuits. Voilà un témoin sûr, de première main. Il peut se tromper. Il peut avoir mal vu. Personne n’a le droit de lui renier le droit de témoigner. A l’histoire de restituer la vérité s’il en existe une plus dure et incontestable. Le regard de Kibel Bel articule un zoom et un gros plan sur quelques années et quelques personnages. Il n’est pas question de prétendre à un échantillon de statistique. C’est plutôt l’intérêt humain des faits et événements qui impose de considérer ces quelques moments de l’histoire du pays pour en mesurer le poids et la signification.  Relire les détails de cette guerre renseigne bien sur l’inconscience de Congolais à hypothéquer l’indépendance de leur pays.

Le but inavoué de ce livre est sans doute d’imprimer une nouvelle allure à l’avenir de l’humanité. Celui-ci dépend moins de facteurs aléatoires que des actes posés par des humains. Ces actes sont conscients ou inconscients. Ils sont toujours à assumer, tôt ou tard. Les marionnettes sont certainement ceux qui se complaisent à multiplier des actes inconscients. Le monde peut brûler sous leurs yeux et leurs mains, ils n’hésiteront pas à récidiver. Les actes sont inconscients dans la mesure où leurs auteurs refusent toujours d’en assumer les conséquences avérées. Et c’est pour réduire au minimum de tels actes préjudiciables à la communauté que le journaliste Kibel Bel tire la sonnette d’alarme en éclairant l’histoire récente.  Il témoigne. Rien de plus simple et rien de plus cohérent pour l’histoire des peuples. Il en a vu prendre les armes qu’il revoit se comporter en victimes ou en vainqueurs incontestés. Le journaliste ne les envie pas. De la guerre, il sait mieux que les seigneurs de guerre pour les avoir dépassés en sagesse. La non-violence n’est pas faiblesse : elle est plus exigeante que toute violence.

Un acte de générosité est ainsi posé par le fait de ce témoignage. Il y a trop longtemps que la RDC attend d’exorciser ses mauvais souvenirs. Mais l’histoire n’a presque jamais présenté de coupables prêts à assumer. Jusqu’au bout de leur inconscience, les « marionnettes » attendent la reconnaissance de la patrie et de l’humanité, alors même que la morale aurait voulu qu’ils s’accusent et implorent le pardon. Mais il y a des mots comme celui du pardon qui disparaissent dans la fureur des armes et bien longtemps après.

Les uns et les autres devraient au moins être reconnaissants à l’auteur de ce livre. Il permet de franchir les lignes qui divisent. Sans les effacer, il remet à la conscience de tous le souvenir de quelques errements dont il faudrait se départir. Qui entendra ce son ?

La question de l’indépendance continue d’autant à se poser, à solliciter la part des intellectuels.  La manipulation étrangère n’est pas une simple vue de l’esprit. Le complot n’est pas exclu qui vise la balkanisation du pays pour une meilleure exploitation de ses richesses naturelles. Mais il reste que le complot a besoin de mouchards, de traitres, de marionnettes. Ils ne sont pas moins coupables de ne pas être ce qu’ils prétendent : des citoyens responsables, serviteurs de la patrie, de leurs frères et sœurs.

Faut-il désespérer au vu des mêmes errements à longueur de jours ? Sans le vouloir, Nicaise Kibel Bel esquisse des lignes d’espérance. Partant du passé, de la mémoire de journaliste, il aura révélé, en contrepoint, les silhouettes qui sont autant d’ombres maléfiques à éviter. L’épervier prédateur se trahit par son ombre. Jusqu’à quand les marionnettes domineront-elles l’espace sociopolitique d’Afrique ? Ce livre de Kibel Bel est un vœu pour voir naître une aube plus radieuse. Que la génération nouvelle l’entende…

Jean-Baptiste Malenge Kalunzu, o.m.i.

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