Message des Evêques de l’Assemblée Episcopale Provinciale de Bukavu
A quand la paix à l’Est de la RD Congo ?
Message des Evêques de l’Assemblée
Episcopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB)
aux
Autorités politiques de notre pays
Introduction
Nous, archevêque et évêques de la
Province ecclésiastique de Bukavu, réunis en session ordinaire du 28 mai au 02
juin 2012, avons partagé durant quatre jour les joies et les peines, les
angoisses et espoirs des fidèles chrétiens de nos diocèses, de la population
de notre région en particulier et de tout notre pays en
général.
Parmi les objectifs de nos préoccupations, nous avons relevé
une convergence d’indices qui évoquent le spectre d’une guerre aux contenus et
aux mobiles encore cachés. Par le passé, ce sont des signes apparemment simples
au départ qui ont dégénéré en conflits généralisés. Il faut pouvoir anticiper
et prévenir. En effet, des conflits armés structurés sont de nouveau observés
dans le Nord et le Sud Kivu, sous des dénominations variées.
Ces hostilités entraînent des
déplacements massifs des populations à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Ces péripéties sont accompagnées d’une intensification sans précédent du
banditisme armé, qui se manifeste par le phénomène de coupeurs de route, de fleuve
et de lac, de sorte que s’installe une misère sordide.
1.
Faits récents.
Quelques faits et événements
significatifs d’actualité montrent en effet que la situation sociale,
sécuritaire et politique de notre pays pourrait encore déborder si les
autorités nationales et internationales n’y apportent pas l’attention requise.
·
La reprise des violences des groupes armés au
Nord Kivu, à la suite du mandat de la cour Pénale Internationale(CPI) pour
l’arrestation du Général Bosco NTAGANDA ;
·
La
recrudescence concomitante ça et là de crimes odieux attribués à des
bandes et à des individus armés ;
·
Des massacres des populations, des incendies d’habitations, et des déplacements
massifs des populations ;
·
Le réveil du mouvement Maï-Maï pour des raisons
mal connues ;
·
La mutinerie de soldats à Uvira, l’évasion de
militaires à Bukavu et la défection de troupes à Eringeti, dans le territoire
de Beni ;
·
Les récents évènements de Bunyakiri qui ont
entraîné la mort de dizaines de civils congolais et des blessures
de casques bleus ;
·
Les rancoeurs qui naissent chez les gens, dans
plusieurs localités de la RD Congo , à
cause de déguerpissements de familles entières sur ordre des pouvoirs publics pour
lotissements inadéquats, ou pour aliénation du patrimoine immobilier public, fait
par des fonctionnaires même de l’Etat ;
·
Beaucoup d’autres faits du même genre donnent
aux gens à penser que l’Etat n’existe guère ou en tout cas il ne remplit pas
comme il faut sa mission régalienne de protéger tous les citoyens, sans
discrimination en leur assurant la sécurité, la paix et la prospérité légitimes.
C’est dans ce climat que certain
s’improvisent seigneur de guerre. De la sorte, une résurgence aussi ample de
groupes armés pose de sérieuses questions de gouvernance locale, nationale,
régionale, et internationale. Il nous convient par conséquent de nous y arrêter
un instant.
2.
Différents
mobiles comme causes lointains de la guerre
Une guerre ravageuse se nourrit
des pullulements de violences telles que celles décrites ci- haut; elle s’enracine
dans des problèmes oubliés, avec des solutions biaisées comme celles des
réfugiés rwandais.
Les guerres s’abreuvent également
à la source des disfonctionnements sociétaires internes qui génèrent injustices,
iniquités, rancœurs et déclenchent le cercle infernal de la vengeance. Elles
sont entretenues par toutes sortes de convoitises qui, à l’intérieure du pays
ont des relais, et à l’étranger des tentacules.
Au-dedans comme au dehors, la
prédation pervertit l’homme et modifie profondément ses rapports : de
frère qu’il était pour le prochain, l’homme devient pour l’homme un loup, un
vautour, un prédateur. Les guerres en RD Congo ont, en effet, été et reste
souvent des guerres de prédation interne et externe dont les contours ont été
étudiés largement par différents panels qui ont établi des bilans macabres en
termes de million de Congolais sacrifiés. Mais aucune mesure de réparation n’a
été appliquée.
Ainsi, la guerre et la violence
détruisent tant de frères et sœurs. Elles enfoncent dans la misère. Elles
s’inscrivent dans la logique du péché individuel ou collectif qu’il faut guérir
par le cercle vertueux de la justice, de l’amour, de la vérité, de l’équité, de
la fraternité, autant de dons de Dieu à l’homme. Dans sa miséricorde, Il
accorde ses dons spirituels sans discrimination de nation, de race, de langue,
de culture et de religion. Pour cette guérison, nous n’avons cessez d’invoquer
la miséricorde de Dieu sur notre peuple et sur les peuples meurtris de par le
monde.
3.
Causes immédiates de la reprise des hostilités :
intérêts particuliers et prédation
Quand on examine certains mobiles avancés pour
reprendre les violences, on s’aperçoit
qu’ils s’apparentent à des prétextes
plutôt qu’aux vrais motifs qui nous semblent être :
·
Echapper à la justice pour les délits individuels commis quelque
part, dans le passé ;
·
Eviter l’intégration dans les forces armées ;
·
Maintenir le statu quo favorable à la prédation.
En attendant,
le pays continue à fonctionner en partie comme une espèce de réserve, un no man’s land, une jungle où des contrées entières sont
abandonnés à la merci de groupes d’intérêts, au détriment de populations locales
qui par ailleurs n’ont que déjà trop souffert de carence d’Etat, ou tout au
moins de sa faiblesse manifeste.
4.
Gestion calamiteuse des réfugiés rwandais par la
communauté internationale
En 1994, à la suite du génocide
rwandais, sous mandat de l’ONU, la
France , avec l’opération turquoise, a introduit chez nous des
millions de réfugiés, y compris des militaires et les milices armés ; le
HCR l’a relayé et les y a nourris durant deux ans pour les abandonner ensuite
dans nos forêts, sans plus d’identification administrative, ni dans leur pays
d’origine, ni au Congo, ni à l’ONU.
Il y a eu un temps où on a même
déclaré qu’il n’y avait plus un seul réfugié rwandais en RD Congo. Mais les
faits sont têtus, les réfugiés sont bien là ! Ils y sont sans statut
administratif. Ils ne sont, de ce point de vue, ni citoyens de leurs pays, ni
réfugiés des Nations Unies, ni réfugiés comme tels accueillis par la RD Congo.
Aucune administration officielle ne sait y mettre un nom à un visage ; et
l’on s’étonne qu’ils soient incontrôlables dans leur agir devenu encore plus
inhumain. Même les criminels, devant la cour, commencent par décliner leur identité
complète. Quelle serait la leur aujourd’hui, 18 ans après les événements de
1994.
C’est pourquoi il faut penser à
clarifier le statut administratif de ce groupe humain et qu’en cette matière
précise, l’Etat congolais assume ses responsabilités régaliennes, qu’il exige
une solution où ils soient sous contrôle, comme dans tous les autres pays du
monde.
Quant au statut pénal de ceux
d’entre eux, soupçonnés de génocide, qu’il soit conforme au principe général du
droit, selon lequel l’infraction est personnelle et individuelle, liée à un âge
légal.
Cependant, les jeunes gens qui
ont entre 18 et 25 ans ne sauraient être concernés par les péchés de leurs
pères. Comme le dit Ezéchiel : « Les
parents ont mangé les raisins verts, et ce sont les enfants qui en ont les
dents agacés » (Ez, 18, 2 ). La traque de ces gens devrait pouvoir
tenir compte de cette donne.
Par contre, si ces jeunes
commettent des crimes sur le territoire congolais, comme c’est souvent le cas,
malheureusement, les juridictions de la RD Congo ont le pouvoir et le devoir
d’en connaître, conformément au code pénal congolais.
5.
Une multitude de groupes armés à l’Est de la RD Congo
Les violences d’anciens seigneurs
de guerre y changent constamment de
dénomination, mais les mobiles et les acteurs restent les mêmes, pour
l’essentiel, ils ont tout fait pour échapper aux essais de restructuration de
l’armée nationale après les dernières guerres, de 1996 et de 1998. Ces essais
de réforme se sont faits sur base de compromis politiques mal négociés.
En effet, lorsque dans un pays multiculturel
comme la RD Congo, l’autorité tolère trop longtemps que d’importantes unités
militaires soient constituées sur base de composition principalement tribale,
il en découle que d’autres groupes humains aient tendance, eux aussi, à se
constituer en une multitude de petits Etats. Il est important de rappeler que
la RD Congo compte près de 400 groupes linguistiques. Ainsi notre pays se
voit-il infesté d’une multitude de seigneurs de guerre. De ces milices actives
en 2009, la Conférence de Goma en a fait un inventaire assez large.
Aujourd’hui, beaucoup d’autres continuent à naître...
Dans tous les cas, au terme de la
présente crise, il est urgent de mettre fin à cet état de choses pour tous les
groupes armés, qu’ils soient d’origine nationale ou étrangère, sans quoi nous
assisterons à l’installation de l’instabilité.
La mission des forces de l’ordre,
de la police ou de l’armée est de protéger toute la Nation et tous les citoyens
et non pas un groupe particulier. Les forces de l’ordre sont républicaines ou
elles ne le sont pas. Il n’y a pas de compromis à faire entre brassage et
mixage. C’est une erreur du passé à corriger aussi rapidement que possible, et
il semble que le processus était justement en cours, que les groupes armés
actuels tentent de l’interrompre par leur présente agitation.
Pour tout dire, une armée
républicaine unifiée est essentielle à la vie d’une nation.
6.
Crédibilité de l’Etat
Il y a certes des avancées
visibles dans plusieurs secteurs de la bonne gouvernance : la monnaie est
stable, le paiement des salaires a commencé à se faire, la police et l’armée
sont progressivement équipées, certaines infrastructures sont réhabilitées ou
même bâties à nouveau frais, la lutte contre la corruption se met timidement en
route.
Le point faible de cette
dynamique reste, toutefois, la sécurité des personnes et de leurs biens. Devant
la fréquence des meurtres, des assassinats, des viols, des vols, du
disfonctionnement de l’appareil judiciaire, des arrestations et emprisonnements
arbitraires entretenus par des magistrats véreux qui remplissent nos prisons de
personnes souvent innocentes, en défaveur desquelles les sentences ne sont pas
prononcées, les gens sont impatients de voir l’Etat reprendre en mains sa
mission et ses responsabilités principales.
Cela fait que beaucoup de
Congolais s’interrogent sur la crédibilité de leur Etat et sur sa capacité à
accomplir sa mission régalienne en matière de protection civile. Les
hésitations et les ratées sont encore trop nombreuses pour que des initiatives
encore relativement limitées soient convaincantes : c’est le cas nous
semble-t-il en ce qui concerne le déguerpissement d’usurpateurs d’immeubles
publics illégalement acquis ou encore de constructeurs anarchiques.
Ainsi, par exemple, les citoyens
sont-ils choqués de voir l’Etat ordonner la démolition de maisons qu’il a
lui-même autorisé à bâtir par ses agents, ses préposés. Le phénomène est
interprété comme un usage disproportionné de la force contre le citoyen
ordinaire, d’une part, et de l’impunité vis-à-vis de ses propres
fonctionnaires, d’autre part.
Toutes ces situations
compromettent la crédibilité de l’Etat et poussent les gens à se rendre justice
si bien que les cas de lynchages deviennent fréquents. Pour y faire face, il
est urgent que les services publics redeviennent efficaces. L’usage de la force
relève du seul monopole de l’Etat, d’un Etat normal. C’est un langage que le
pouvoir devrait tenir clairement aux groupes armés, quels qu’ils soient et à
tout malfaiteur faisant usage de la force.
L’Etat doit condamner sévèrement
auteur, coauteur et complice de toute infraction contre la Société.
Mais pour parvenir à de meilleurs
résultats, une réforme en profondeur de l’administration s’impose : que
dans les textes et dans les mœurs administratives les agents soient désormais tenus
pour responsables de leurs actes au civil et au pénal lorsqu’ils lèsent l’Etat
ou le privé.
Il faut également œuvrer à la
conversion de mentalités de la part de la population dans le sens de s’imprégner,
elle aussi, du sens du bien commun. Car, dans le phénomène de la corruption, le
corrupteur et le corrompu sont deux personnes en infraction.
7.
Des raisons d’espérer
Nous venons de traverser une
période difficile, celle des élections de 2011. Bien des observateurs
prévoyaient l’éclatement du pays ; nous avons maintenu l’unité. Nous
félicitons notre peuple pour ce sens patriotique.
Un nouveau Gouvernement vient
d’être mis en place. Il a fait l’objet d’un certain consensus national.
Puissions-nous lui donner des chances de réussir et de faire avancer le pays.
Il est souhaitable qu’à son tour, il reste à l’écoute de la population et mette
en route les amendements souhaités dans l’administration, les réformes du
secteur de sécurité, la politique étrangère et le développement durable du
pays.
Les FARDC sont actuellement
engagées au front. Nous saluons leur courage et leur détermination. Nous
espérons que leur contribution nous ramènera la paix tant attendue à l’Est de
la RD Congo.
L’Organisation des Nations Unies
ainsi que des pays amis manifestent leur volonté d’appuyer la réforme et
l’efficacité de nos forces de sécurité, d’en renforcer les capacités et
d’accompagner le Gouvernement au cours de ce nouveau quinquennat Toutes ces
synergies mises ensemble produiront de bons fruits, espérons-nous.
Conclusion
Au terme de cette lecture rapide
des événements actuels, nous exprimons une fois de plus notre attachement à
l’unité, l’intégrité et la souveraineté de notre pays, nous exhortons notre
classe politique et nos populations à persévérer dans ce sens.
Nous avons besoin de conjuguer
nos efforts pour ne pas voir notre pays voler en éclat sous l’effet de forces
centrifuges qui comptent beaucoup de prédateurs à l’intérieur comme à
l’extérieur.
Nous exhortons les autorités
congolaises à mettre tout en œuvre pour que le 30 juin 2012 sur l’ensemble du
territoire national, les citoyens célèbrent dans la dignité et la paix le 52
ème anniversaire de l’indépendance.
Nous saluons les efforts fournis
dans le sens de la bonne gouvernance, nous souhaitons voir respecté le
calendrier électoral. Nous exhortons les autorités politiques de notre pays à
rester vigilants vis-à-vis des forces centrifuges, internes ou externes, qui
sont portées à balkaniser notre pays, la RD Congo.
A la fin de ce mois de mai,
consacré à la dévotion mariale, nous implorons Notre Dame de la paix, pour
qu’elle nous obtienne une paix durable dans notre pays. A cette intention nous
unissons nos prières à celles de frères et sœurs qui, de par le monde,
souffrent des mêmes maux.
Que les efforts entrepris pour
ramener la paix portent des fruits en abondance, afin que soit toujours plus
vive et plus féconde l’unité de notre pays, la RD Congo, l’unité de l’Afrique
et celle du genre humain. Alors nous pourrons chanter ensemble, avec le
psalmiste : « Qu’il est
bon, qu’il est doux pour des frères
d’habiter ensemble » Ps, 33, 2).
Fait à Bukavu, le 31
mai 2012 en la fête de la Visitation
Les Evêques de
l’Assemblée Episcopale Provinciale de Bukavu
+ François Xavier MAROY RUSENGO, évêque de Bukavu, Administrateur
Apostolique d’Uvira et Président de l’ASSEPB ;
+ Théophile KABOY RUBONEKA, évêque de Goma ;
+ Melchisédech SIKULI PALUKU, évêque de BUTEMBO BENI et
Administrateur Apostolique de KASONGO ;
+ Willy NGUMBI NGENGELE, évêque de Kindu.
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