Marcher ou courir ?

Au cœur des jours et des nuits
Marcher ou courir ?

La voisine de rue qui me voit régulièrement sortir et qui me croise souvent dit que je marche comme un soldat. Elle ne pense pas au défilé militaire, moins encore au soldat en plein combat. Elle sous-entend tout simplement que j’ai toujours vive allure. Que mes pas sont toujours pressés.
Mais j’ignore, pour ma part, si l’armée a une quelconque consigne sur la démarche d’un bon militaire. Un soldat ne se pavane certes pas comme sur un podium pour un défilé de mode. Le soldat ne se dandine pas non plus comme un promeneur solitaire. J’imagine qu’à force d’entraînement, un militaire doit savoir poser un pied après l’autre de manière à signifier qu’il est déterminé à affronter l’ennemi et la vie en général. Un jeune soldat sans doute mieux qu’un vieux, mais le vieux soldat doit avoir gardé la démarche ferme. Toute sa vie. La voisine de rue me fait donc un compliment lorsqu’elle me dit que je marche comme un soldat. La vie m’attend, et j’y vais.

L’amie de longue date à qui je rapporte l’observation de ma voisine estime plutôt que je marche effectivement d’un pas accéléré, comme si j’avais toujours rendez-vous avec une autorité dont j’espère une récompense si j’arrive à temps. Arriver à temps, pourquoi pas ?
Et si ma voisine de rue fait si attention à ma démarche, c’est parce que les habitudes, chez nous, ne sont pas celles où l’on arrive à temps. Les invitations portent une heure d’avance sur l’heure où l’on espère vous voir. Et c’est justement cette mauvaise habitude qui fait que je ne m’empresse pas, parce que je sais que l’heure est fausse.
Pour ma part, j’arriverai toujours à l’heure indiquée sur l’invitation, même si je dois étonner les organisateurs des fêtes, rencontres et autres manifestations. Si j’arrive avant l’heure, je gagne, de toute façon. La vie est si courte qu’il vaut mieux n’avoir jamais à regretter d’avoir manqué le début d’un événement. Donc, il convient de marcher comme je marche.
Si ma voisine de rue m’avait rencontré dans une gare de train ou de métro, dans un pays européen, elle n’aurait peut-être jamais rien remarqué d’extraordinaire. A une minute près, vous pouvez rater votre bus, votre train, votre métro. Et si, en Afrique, nous sommes si fiers d’avoir tout le temps devant nous pour nous adonner avec loisir et plaisir à la vie, personne n’a le droit de nous l’interdire. Mais que personne ne nous entende alors l’envier d’avoir pris de l’avance sur notre société. De l’avance sur le chemin d’un certain bonheur derrière lequel nous ne cessons de courir.
Courir, c’est le vrai mot. Marcher comme un militaire, n’est-ce pas plus reposant, plus confortable que courir comme un joueur de football pendant les minutes de grâce de la récupération accordées par l’arbitre ? Même quand il a atteint un but, même quand son équipe a marqué des buts, le joueur de football ne s’arrêtera pas définitivement pour le match avant le coup de sifflet final.
Sur le chemin vers l’école primaire de mon village, j’aimais marcher en hâtant le pas sans courir au point de m’essouffler. Le maître attendait toujours pour punir ceux qui avaient pensé que la vie ou l’école était une promenade de santé. Marcher ou courir, alors, il faut savoir choisir.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu

jbmalenge@gmail.com



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