Modernité inachevée
Au
cœur des jours et des nuits
Modernité inachevée
Dans les villages de la nouvelle province née
du redécoupage du territoire national, la pauvreté est visible à l’œil nu. Je
veux dire : la pauvreté, vous la touchez du doigt, elle vous saute aux
yeux, au simple regard que vous jetez à gauche ou à droite, devant ou derrière
vous. Ces villages refusent le développement, doit-on se dire. Et avec raison,
malheureusement.
On se dit qu’il fallait bien ce redécoupage
pour que ceux qui voyaient de loin voient de près les trous à combler et les
projets à achever. Il en est ainsi dans les villages de cette nouvelle province
comme sur l’ensemble du territoire national. D’ailleurs, bien des pays
d’Afrique se ressembleraient par quelque côté, malgré les belles images de la
modernité des villes et des capitales. La pauvreté est notre maison commune.
Mais dans ce village aux cases cachées dans les
champs de maïs, le temps doit s’être bloqué à un moment donné de l’histoire
générale du pays. Peut-être qu’ici, le retard constaté par tous faisait vraiment
honte. Et peut-être qu’un chef, un jour, avait pris une loi implacable qui doit
avoir décidé de faire comme si l’on refusait le développement.
Malheureusement !
Et si l'Afrique refusait le
développement ? Sous ce titre, la Franco-Sénégalaise d’origine
camerounaise Axelle Kabou s’est posé la question dans un livre retentissant
paru en 1991. Je me suis obligé à reposer la question dans les mêmes termes
lorsque le chauffeur qui m’emmenait sur une route trouée de partout m’a
renseigné sur une construction étrange, digne de la capitale.
Sur notre droite se dressaient trois longs
bâtiments inachevés. Il ne manquait, en tout cas, que des portes et des
fenêtres. Il aurait donc suffi d’un menuisier pour parachever l’œuvre
apparemment réalisée par des professionnels. Ils seraient venus de la ville
pour planter la modernité au bord de la route afin que les passants admirent la
générosité du bienfaiteur, fils du village, riche professeur d’université et
avocat célèbre.
Il a décidé d’honorer le village de manière si
éclatante que tous les autres que lui, plus âgés ou plus jeunes, devraient
avoir honte. Ils n’ont jamais construit de maison digne de ce nom que pour leur
propre père. Mais le digne fils du village avait décidé d’offrir ce bijou pour l’école
primaire du village. Il a fait ses premières classes dans des huttes. Il avait
décidé d’élever, sur le même lieu, ces beaux bâtiments modernes. Les enfants
qui auraient entendu parler de lui mettraient leur fierté à ressembler un jour
à l’aîné du village en marchant sur ses pas jusqu’à l’université.
Mais le moment était mal choisi pour le célèbre
et digne fils du village. Le temps approchait des élections locales et législatives
nationales et donc le temps de la propagande politique. Et la mentalité semée
dans le village et le pays sentaient la politique partout. Et la politique
n’était pas autre chose qu’une vaste manipulation impardonnable.
Voilà donc pourquoi le célèbre avocat, candidat
aux élections législatives nationales, n’a pas été autorisé à passer une seule
nuit dans son village natal. Parce que son parti politique n’était pas le parti
politique du village et de la tribu. Des cris et des huées demandaient au
candidat de déterrer jusqu’aux fondations de son école s’il n’adhérait pas au
parti politique de la tribu et du village.
Voilà pourquoi l’herbe s’est emparée de ces
beaux bâtiments de la modernité inachevée.
Jean-Baptiste
MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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