La démocratie comme un rêve
Au cœur des jours et des nuits
La démocratie comme un rêve
Mon voisin de droite n’arrêtait pas de crier.
Sauf son respect, je pourrais dire qu’il braillait ou grognait comme un porc
ligoté qui sait qu’on va l’abattre. Je n’osais rien lui dire. Je m’occupais
plutôt de moi-même. J’avais besoin de retenir mon souffle, de bien m’installer
dans l’avion. Après plusieurs jours d’attente, nous avions enfin pris place
dans le petit porteur. Chaque jour, on nous avait promis de partir, mais l’avion
n’arrivait pas. Et nous l’attendions. Comment quitter la localité
autrement ? Les routes n’existent presque plus dans cette partie de la
forêt équatoriale. Prendre la pirogue sur l’affluent du fleuve demanderait de
longs jours, sans oublier de nombreux risques aussi.
Nous ne pouvions pas trop nous plaindre
maintenant que le petit avion nous avait embarqués. Mais mon voisin de droite
n’avait tout simplement jamais vu de bien près un avion. C’est pour la toute
première fois de sa vie qu’il prenait l’air. Comme dans un beau rêve. Dans sa
vie de villageois, et depuis son enfance, mon voisin s’imaginait bien des
histoires vraisemblables et invraisemblables sur les avions. Il ne m’a rien
raconté, mais j’ai fini par le deviner.
La question du départ était là : Comment mon
voisin pouvait-il aussitôt se mettre à grogner, à brailler comme un homme
politique dans un débat télévisé ou comme un porc qu’on va saigner ? Il ne
s’agissait pourtant que de perturbations ordinaires d’un petit avion dans
l’air. Les turbulences sont normales dans un ciel orageux au-dessus de la forêt
équatoriale. La météo ne promettait pas beaucoup. Mon voisin n’en savait rien,
d’ailleurs. L’avion était de la marque de ceux qu’on ne devrait plus jamais
voir traverser le ciel d’un pays dont les habitants aiment trop la vie. Mais
nous vivons dans un pays, où les plus jolies demoiselles adorent les dessous de
la friperie. Notre avenir est dans le passé d’autrui. Notre avenir est de
seconde main. Nos avions aussi sont de seconde main.
Mon voisin ne savait sans doute plus distinguer
entre le rêve et la réalité, entre le cauchemar et le plaisir. Lorsque l’avion
a trouvé un certain équilibre, mon voisin a cessé de grogner comme un porc
qu’on va saigner. Il a commencé à chanter des psaumes. Et tout content, il m’a
posé une question : Les anges sont-ils près d’ici maintenant que nous avons
dépassé les nuages ? Dieu et ses anges sont encore loin d’ici, lui ai-je
répondu. Si nous mourons, nous pouvons les rencontrer, ai-je ajouté. Et mon
voisin s’est donc mis à prier de plus belle avec des psaumes, dans l’idée que
nous pourrions rencontrer Dieu à l’allure où le petit avion nous amenait.
Le voyage dans cet avion d’occasion, par-dessus
la forêt équatoriale, par un temps menaçant, ressemble au voyage de pays
africains vers le système social qui s’appelle la démocratie. Dans les années
quatre-vingt-dix, ils ont embarqué dans une histoire qui semble les dépasser.
On leur a raconté la belle histoire du multipartisme et des élections. Mais
l’histoire leur a été racontée entre le rêve et le demi-sommeil. Faute de se
réveiller, ils ne savent toujours pas où l’avion les amène. C’est pourquoi,
lors de débats, des politiciens crient, braillent ou grognent comme mon voisin,
comme des porcs que l’on mène à l’abattoir. Ils ont peur de l’inconnu et de
l’avenir.
Dans les années quatre-vingt-dix, beaucoup
d’Africains ont appris que la démocratie voulait dire le changement de chefs. On
a appris la caricature. Les journaux ont dessiné les chefs d’Etat. On s’est
bien moqué d’eux. On a déchiré leurs images. On les a piétinées. Et on a dansé
pour l’avènement de la démocratie. Tous les chefs d’Etat étaient suspects.
Beaucoup ont été renversés voire tués. Mais dans la réalité, bien des années
plus tard, rien n’a changé. Beaucoup de chefs sont revenus, plus forts, plus
dictateurs que jamais. Et les Africains ont continué à rêver. Ils entonnent aujourd’hui
des psaumes, invoquent Dieu et tous les féticheurs, dans l’illusion que la
démocratie et le bien-être promis tomberont sur eux comme un miracle du ciel ou
un tour de passe-passe.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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