Prière et souffrance
Au cœur des jours et des nuits
Prière
et souffrance
Mon voisin de droite a refusé de se mettre à genou pendant le long
chant de la litanie des saints. « Nous allons souffrir », a-t-il
chuchoté dès le départ, aussitôt que le diacre avait invité l’assemblée à s’agenouiller
pendant que s’étendrait sur un pagne la religieuse qui allait prononcer ses
vœux perpétuels de chasteté, pauvreté et obéissance. La religieuse resterait
ainsi prostrée pour dire que si elle doit vivre la chasteté, la pauvreté et
l’obéissance jusqu’à la fin de sa vie, c’est grâce à Dieu et pas à sa propre
force ni sa bonne volonté.
La liturgie catholique le prévoit ainsi. Les non-catholiques s’en
étonnent. On invoque les saints, on se joint à la foule immense des apôtres,
des martyrs, des pasteurs, papes et évêques, des saints et des saintes, des
jeunes et des vieux, de tous ceux que nous appelons des « amis de
Dieu ». On communie avec eux dans la même foi et on leur demande de bien
vouloir porter dans la prière celle qui va émettre ses vœux perpétuels. Le
chant de la litanie des saints précède immédiatement le moment précis et très grave
où la religieuse s’engage à haute voix devant Dieu et devant les hommes, les
vivants et les morts, les saints du ciel. En général, le moment de la litanie
des saints impose bien un calme dans l’église, contre les applaudissements et
autres bruits inconsidérés.
Une litanie est longue par définition, on la ressent comme plus longue
encore si l’on s’est agenouillé comme la liturgie le prévoit pour ceux qui ne
sont pas handicapés par la maladie ou par le grand âge. « Nous allons
souffrir », avait chuchoté mon voisin de droite. Il avait raison. Il le
sait par habitude. Il faut donc choisir si l’on accepte de souffrir ou pas. Mon
voisin a refusé de poser ses genoux contre le pavement. La moitié de
l’assemblée a fait comme lui. Certains sont restés assis, d’autres se tenaient
debout. Le vieux prêtre qui présidait la messe et une bonne partie de
l’assemblée se sont agenouillés. Moi aussi. Nous avons accepté de souffrir.
Ce qui me fit le plus souffrir, ce fut la chorale. Pour bien chanter, les
membres de la chorale se tiennent debout pour ainsi dégager la poitrine et
mieux faire sortir la voix, semble-t-il. Mais la chorale tirait en longueur la
litanie, avec un rythme lent, et parfois en répétant certains couplets, en
reprenant certains noms de la longue liste des saints.
Ma souffrance, je la ressentais donc sans fin. Sous mon pantalon, il me
semblait que la peau des genoux s’était écorchée. J’aurais préféré le sable de
la chapelle de mon village au carrelage de la belle église de la ville.
J’ignore si j’ai vraiment pensé à un quelconque saint de la litanie. Sous la
douleur de mes genoux et de mes reins, je transpirais, mais je n’osais pas
m’essuyer le visage, de peur de tout aggraver par le moindre mouvement.
Pourquoi ne pouvais-je suivre mon voisin de droite pour désobéir et me
tenir debout plutôt que de suivre le prêtre qui s’était agenouillé ? C’est
par respect pour la liturgie de l’Eglise. La liturgie n’appartient à personne.
Ni le plaisir ni la souffrance d’un membre de l’assemblée ne doit décider de
garder tel geste ou de supprimer telle rubrique.
Je veux bien si s’agenouiller signifie adorer Dieu et respecter les
choses sacrées et s’humilier soi-même. Mais le monde refuse de souffrir. En
général, le monde refuse toute pénitence, toute souffrance. Saint Paul pourrait
dire que nous sommes, aujourd’hui, des ennemis de la croix. Le chemin de croix
nous fait souffrir, vraiment. Jusqu’à l’humiliation. Mais ce scandale de la
croix, de la souffrance, c’est lui qui nous sauve. Aujourd’hui et demain comme
hier. Prier et souffrir, pourquoi pas ?
Jean-Baptiste MALENGE
Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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