"Non au blocage" : Message de la Conférence épiscopale
NON AU BLOCAGE !
Face aux tribulations du
moment: prenez courage, car le Christ a vaincu le monde (cf. Jn 16,33)
Message de l’Assemblée Plénière Extraordinaire
des Evêques Membres de la Conférence
Episcopale Nationale du Congo (CENCO)
1. Nous, Cardinal, Archevêques et Evêques, Membres de la
Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), réunis en Assemblée Plénière
Extraordinaire à Kinshasa, du 20 au 25 février 2017, nous sommes penchés sur la
situation socio-politique et sécuritaire qui prévaut actuellement en RD Congo.
2. Cette situation est préoccupante et prend de plus en plus
une allure très inquiétante au risque de plonger notre pays dans un désordre
incontrôlable. A cet égard, nous adressons au Peuple congolais un appel à un
sursaut patriotique et l’exhortons à ne pas perdre courage.
3. Nous saisissons cette occasion pour renouveler nos
condoléances chrétiennes à la famille biologique et politique de Monsieur
Etienne TSHISEKEDI WA MULUMBA, Président de l’Union pour la Démocratie et le
Progrès social, et du Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises
au changement. Nous souhaitons que ses obsèques soient dignes de son rang et
facteur de cohésion nationale.
I. Situation socio-politique et mission
de bons offices de la CENCO
4. Nous avions observé
avec beaucoup de préoccupation les
divergences au sein de la classe politique, ainsi que la recrudescence des tensions dans le pays qui
pourraient, si l’on n’y prenait garde, conduire la Nation à l’implosion et au
chaos. Cette crise est née de l’impasse
du processus électoral dont la régularité et la continuité ont été interrompues.
5. Dès le début de cette crise, la CENCO a exhorté les
filles et fils de la RD Congo à emprunter la voie du dialogue. En effet, sur
convocation de Son Excellence Monsieur Joseph KABILA, Président de la
République, un dialogue a eu lieu à la Cité de l’Union Africaine et a abouti à l’Accord politique du 18 octobre
2016. Malheureusement, cet Accord a souffert
d’un manque d’inclusivité. Encouragée
par le Chef de l’Etat, la CENCO a mené la mission de bons offices auprès des
signataires et des non- signataires dudit Accord en vue d’un large consensus
pour l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées.
6. C’est pourquoi, au Centre Interdiocésain de Kinshasa et
sous la médiation de la CENCO, des négociations politiques directes entre les
parties prenantes ont donné naissance à l’Accord politique global et inclusif du
Centre Interdiocésain, signé le 31 décembre 2016. Cet Accord historique de
la Saint-Sylvestre, salué avec un grand enthousiasme tant par toute la
population congolaise que par la Communauté internationale, est un compromis politique consensuel et inclusif, et s’avère l’unique feuille de route réaliste,
devant permettre à notre pays de sortir de la crise socio-politique.
7. Malheureusement, plus d’un mois et demi après la
signature de cet Accord, l’Arrangement
particulier destiné à assurer sa
mise en œuvre peine à se conclure. Outre le retard déplorable dans
l’exécution de certaines mesures de décrispation politique, il y a blocage sur les points de divergence
ci-après :
1° le mode de désignation du Premier
Ministre. A ce
propos, l’article III.3.3. de l’Accord stipule
que « Le Gouvernement de la République est dirigé par le Premier
Ministre présenté par l’Opposition politique non signataire de l’Accord du 18
octobre 2016/Rassemblement et nommé par le Président de la République
conformément à l’article 78 de la Constitution ».
Cependant, les parties prenantes ont convenu à l’article III.3.4. que « Les modalités pratiques de la mise en
œuvre des principes énoncés ci-dessus (dont le mode de désignation du
Premier Ministre) sont déterminées par un
arrangement particulier conclu entre les parties prenantes et faisant partie
intégrante du présent Accord ».
A la lumière de ces
deux articles, il ne se justifie nullement l’intransigeance de présenter un ou plusieurs noms en vue de la nomination
du Premier Ministre. Il y a nécessité
d’un dialogue franc, basé sur la bonne foi et la confiance mutuelle, entre la
Majorité présidentielle et le Rassemblement.
2° la répartition des
portefeuilles ministériels entre les composantes. Les uns exigent que
l’affectation des ministères soit connue avant la désignation du Premier
Ministre, d’autres l’envisagent à la formation du gouvernement. Ce serait
dommage que cette question puisse constituer un point de blocage, d’autant plus
que la recherche du bien commun va bien au-delà des intérêts privés.
8. Au regard de ce blocage, nous constatons que la longue
attente du Peuple congolais qui tient à l’alternance
démocratique pacifique se manifeste
par l’impatience et la montée de tension même à l’égard de la CENCO qui pourtant n’assure que
la médiation. A cela s’ajoutent des menaces voire des violences récurrentes,
fruit des manipulations dirigées contre l’Eglise catholique pour des raisons
inavouées.
9. C’est ici pour
nous l’occasion de fixer l’opinion sur la mission de bons offices de la CENCO qui
consiste à offrir aux Acteurs politiques et sociaux un cadre propice aux
concertations et à les exhorter à trouver un consensus en privilégiant les
intérêts de la population et le bien supérieur de la République. La CENCO ne
jouant que le rôle de médiation, on ne
peut lui attribuer la responsabilité du blocage. Toutefois, fidèle à sa mission
prophétique, la CENCO est décidée à accompagner le Peuple congolais dans la
mise en œuvre de l’Accord de la Saint-Sylvestre.
II. Situation sécuritaire, condamnation
et compassion
10. Nous sommes profondément peinés de constater la
multiplication de foyers d’insécurité et de violences qui se généralisent sur
la quasi-totalité du territoire national et donnent à penser à un plan de balkanisation de la RD Congo.
Les provinces ci-après sont particulièrement touchées par cette insécurité croissante:
1° Le Nord-Kivu est affligé par des massacres à répétition des
populations attribués aux présumés rebelles ADF/ NALU en Territoire de
Beni (Oicha) et par des attaques meurtrières des groupes ethniques en
Territoire de Lubero et de Rutshuru. Ces jours-ci la Province vit dans l’inquiétude
du retour du M23.
2° Le Tanganyika est marqué par des affrontements sanglants
entre les Bantu et les Batwa, le déplacement forcé des populations et l’abandon
de leurs terres.
3° Le Kasaï, le Kasaï-Central et le Kasaï-Oriental sont
ébranlés par les incursions répétées des milices se réclamant du Chef Kamwina
Nsapu et semant la panique, la désolation, etc.
4° Le Kongo-Central est touché par le phénomène
mystico-politique Bundu dia Mayala qui
est à la base des affrontements meurtriers.
5° La Capitale Kinshasa est secouée par des actes de
vandalisme et par des tueries lors des manifestations.
11. Dans ces
provinces nous déplorons des milliers de morts, l’instrumentalisation des
mineurs doublement victimes de leur enrôlement par les milices et de la
répression des forces de l’ordre ; l’interruption de la scolarisation, le
manque d’assistance humanitaire, le risque imminent de famine. Nous relevons
également d’importants dégâts matériels. En témoignent la destruction des symboles de l’Etat,
des écoles, des hôpitaux, des paroisses, des maisons religieuses et tout
récemment le saccage du Grand Séminaire de Malole à Kananga et des églises paroissiales :
Saint-Dominique à Kinshasa-Limete, Saint-Kizito et Saint-Martin à Lubumbashi,
Bon Pasteur à Boma, Sainte Marie de Lukalaba à Mbujimayi et au Diocèse de
Luiza : Saint-Matthias à Mubinza, Saint-Jean à Yangala, Sainte-Thérèse à
Dibandisha et Saint-Boniface à Ngwema. C’est
une véritable tragédie ! Est-ce un hasard que tout cela survienne en cette période
préélectorale ? Nous redoutons une planification en vue de retarder ou
d’empêcher la tenue des élections.
12. Cette insécurité est due à plusieurs facteurs dont le déficit dans la gestion administrative de
l’Etat, l’impunité favorisant le laisser-aller, la politisation et
l’instrumentalisation du pouvoir coutumier et la porosité des frontières de
notre pays. Elle est également consécutive à des manipulations des populations
sur fond des clivages identitaires ou politiques.
13. Face à cette situation, là où les services de l’ordre
sont inactifs ou absents, des individus ou groupes d’individus s’organisent en milices ou en des groupes
d’auto-défense communautaire, constitués parfois de mineurs voire d’enfants qui
engendrent d’autres violences. En voulant rétablir et maintenir l’ordre public,
l’intervention de la Police nationale et
de l’Armée est, malheureusement en certains cas, sans retenue et
disproportionnée.
14. Nous dénonçons et
condamnons fermement toute violence d’où qu’elle vienne. La vie humaine est sacrée et inviolable. Elle doit être protégée et respectée
à tout prix. Nous condamnons particulièrement les attaques orchestrées
contre les ecclésiastiques et les infrastructures de l’Eglise catholique.
15. Nous exprimons notre compassion et notre proximité spirituelle
à toutes les victimes. Nous prions pour ceux et celles qui ont perdu la vie et
implorons sur eux la miséricorde divine pour qu’ils reposent en paix.
III. Recommandations
16. Face aux tribulations du moment et pour plus de justice
et de paix, nous disons « non au
blocage de l’application intégrale et rapide de l’Accord du 31 décembre 2016 ».
Aussi en appelons-nous vivement :
1° Au Président de la République, en sa
qualité de garant de la Nation:
- de s’impliquer davantage
dans la mise en œuvre de l’Accord de la Saint-Sylvestre particulièrement dans
le processus de nomination du Premier Ministre chargé de former le Gouvernement
ayant pour priorité l’organisation des élections ;
- de veiller à garantir la sécurité sur toute l’étendue du
territoire national et l’intégrité du pays.
2° A la Majorité présidentielle, à
l’Opposition et à la Société civile :
- d’être sensibles au cri de détresse du Peuple congolais qui
attend impatiemment l’application de l’Accord du 31 décembre 2016 ;
- de ne pas bloquer l’application de cet Accord par des
manœuvres dilatoires et par des intransigeances irréalistes ;
- d’aplanir sans délai les points de divergence quant à
l’Arrangement particulier afin de parachever les négociations en cours.
3° A la CENI :
- de bien organiser les élections dans le délai
convenu ;
- de collaborer étroitement avec les Institutions de la
République, des Nations Unies et de la Communauté internationale quant à
l’organisation des élections.
4° A la Police Nationale Congolaise
(PNC) et aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC):
- de veiller efficacement à l’intégrité du territoire
national, à la protection des personnes et de leurs biens ;
- d’accomplir leur tâche avec honorabilité et
professionnalisme en évitant les tracasseries et l’usage disproportionné de la
force.
5° Aux Médias : de contribuer à la cohésion nationale
en informant objectivement et correctement l’opinion et en évitant d’alimenter
des polémiques.
6° Aux Fidèles
catholiques :
- d’intensifier la prière pour la Patrie ;
- de veiller à la protection du patrimoine de
l’Eglise ;
- de ne pas céder aux provocations, au découragement et à la
peur.
7° A la Population congolaise et
en particulier aux Jeunes:
- de s’approprier l’Accord de la Saint-Sylvestre, notamment
en participant aux sessions de vulgarisation ;
- de rester debout et d’exiger, en tant que souverain
primaire, des Acteurs politiques le strict respect de l’Accord politique,
notamment la tenue des élections dans le
délai ;
- de se faire enrôler massivement en vue de doter notre pays
des dirigeants responsables ;
- de faire preuve d’esprit critique et de responsabilité
dans l’usage des réseaux sociaux (facebook, immo, twitter, viber, whatsapp, etc).
8° A la Communauté internationale et en
particulier à la MONUSCO:
- de soutenir le processus électoral en cours et d’accompagner
le Peuple congolais dans la recherche du consensus entre les Acteurs politiques
et sociaux afin de trouver une issue pacifique à la crise actuelle aux
conséquences imprévisibles ;
- d’assurer davantage l’appui aux FARDC et à la PNC pour la protection
des personnes et des populations en danger, en particulier dans les provinces
touchées par l’insécurité.
Conclusion
17. « Rien n’est
impossible à Dieu» (Lc 1,37). Au terme de ce message, en communion
avec le Pape François qui ne cesse de prier pour notre pays, nous convions tous
les fidèles chrétiens ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté à la prière confiante pour la paix et à poser,
en faveur des nécessiteux, des gestes de miséricorde pendant cette période préélectorale.
A cet effet, le 26 mars 2017, au 4ème
Dimanche de Carême, nous célébrerons la
Sainte Eucharistie dans nos diocèses respectifs. Par l’intercession
maternelle de la Sainte Vierge Marie, Notre-Dame de l’Espérance, que le
Seigneur jette un regard de paix et de miséricorde sur la RD Congo et sur son
peuple.
Kinshasa,
le 22 février 2017
En
la Fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre
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