Les Editions Baobab de Kinshasa au défi du numérique
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A Kinshasa, en République démocratique du Congo, à chaque
fois que je passe déposer à la Bibliothèque Nationale les huit exemplaires de
tout nouveau livre exigés lors de l’acquisition d’un numéro de dépôt légal, je
reçois presque invariablement le même compliment. Le personnel félicite les
structures de l’Eglise catholique. « Elles sont les seules qui publient
régulièrement des livres ». Parfois, on ajoute même que les milieux
ecclésiastiques ont le temps et le confort voulus pour s’adonner à la lecture
et à l’écriture.
Dans un pays de quelque quatre-vingt millions
d’habitants, nous sommes officiellement une quarantaine d’éditeurs catholiques,
de toutes tailles. Les Editions Baobab que je dirige appartiennent, à mon avis,
à la catégorie des moyennes, avec cinq ou six nouveautés par an. On a compris
que nous n’avons pas de grandes ambitions économiques !
Notre maison d’édition a été fondée en 1992 par les
Missionnaires oblats de Marie Immaculée. Nous publions notamment la Revue Africaine des Sciences de la Mission
et nous sommes officiellement un organe d’expression de l’Institut Africain des Sciences de la Mission et de l’Université De Mazenod, ex-Institut Supérieur Saint Eugène de Mazenod.
Je suis ici aux Journées internationales de
l’édition catholique surtout curieux, pour écouter et trouver la réponse à des
questions comme celles de savoir quelle mission assigner à l’édition catholique
et quels défis particuliers à relever face à la montée de nouveaux mouvements
religieux fort bavards et face surtout à la montée de la jeunesse avec ses
nouvelles manières de connaître et de comprendre favorisées par le numérique et
les médias sociaux. Le numérique ne serait-il pas la planche de salut pour
l’Afrique et les modestes maisons d’éditions comme la nôtre grâce à la
possibilité offerte de nous accrocher à des réseaux comme celui que représente
aujourd’hui les éditeurs catholiques du monde ?
1. L’Afrique
dans les périphéries et la fracture numérique ?
Je voudrais commencer par constater
que l’Afrique est visiblement peu représentée dans Ces Journées internationales
de l’édition catholique. Mais l’Afrique se situe-t-elle vraiment dans les
périphéries, aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation et des nouvelles
technologies de la communication ? Que peut-on ignorer aujourd’hui d’un
continent florissant en vocations religieuses et sacerdotales et qui connaît
surtout le nombre de croissance le plus important de catholiques, selon les
statistiques les plus officielles de l’Eglise publiée lors de la Journée
missionnaire mondiale ?
Dans l’opinion mondiale, l’Afrique est sans doute
victime des conséquences de la si bien nommée « fracture numérique ».
Mais jusqu’à quand cette fracture sera-t-elle entretenue pour oblitérer la
présence aux autres et à soi-même ? N’est-ce pas que dans l’Eglise
catholique, il n’y a pas de Nord, il n’y a pas de Sud, comme il n’y a
désormais, dans le Christ, ni Juif ni Grec ?
C’est grâce à l’impulsion de la foi que l’Eglise se
trouve, dans des pays comme le mien parfois protagoniste jusque dans la
promotion des moyens de communication sociale. Les milieux ruraux peuvent avoir
droit à la parole eux aussi et faire avancer ainsi la cohésion nationale,
combler la fracture entre les villes et les villages, et dans les villes comme
la capitale Kinshasa, rapprocher des quartiers qui ne pourraient pas autrement
bénéficier de certaines fournitures en eau et en électricité voire en téléphone
mobile. Les paroisses catholiques et les communautés ecclésiales vivantes de
base sont des lieux de la promotion culturelle, avec des bibliothèques, aussi
rudimentaires soient-elles, sans parler des écoles et des centres
d’alphabétisation.
Depuis quelques années, le continent africain est
bien enlacé par une fibre optique sous-marine. Des satellites arrosent aussi le
continent de tous les diapasons. Et les villages, autrefois construits
essentiellement à proximité de sources d’eau, trouvent aujourd’hui un nouveau
repère : la proximité du réseau de téléphonie mobile. Des fournisseurs se
déploient aussi, et l’on comprend bien de quoi il s’agit lorsque, ailleurs, on
se dispute sur la 4G ou la 5G.
L’Afrique n’est peut-être plus dans les périphéries.
Le transfert d’argent par téléphonie mobile est né en 2007 pour le Kenya et la
Tanzanie. Aujourd’hui, les milieux ruraux plus que les villes ont déjà accès à
des banques MPesa. En République démocratique du Congo, la « bancarisation
des salaires » des fonctionnaires de l’Etat est l’un des motifs d’orgueil
des derniers gouvernants. Et la Caritas-Congo aura été un chaînon important
dans le maillon !
Si la fracture numérique persiste, elle réside d’abord
dans les mentalités et les comportements, considérant le monde et l’Eglise
catholique comme fatalement divisés entre les riches et les pauvres.
Je voudrais entendre les éditeurs catholiques dire
comment faire pour relever le défi de l’universalité en travaillant ensemble
pour faire répandre le message du Christ ressuscité : « Allez dans le
monde entier. Proclamez la Bonne nouvelle. » (Marc 15,16). Il faut
retrouver nos racines missionnaires et les sources de l’édition catholique.
2.
Retrouver les sources missionnaires de
l’édition catholique
Dans mon pays, l’Eglise catholique a joué un rôle majeur
dans l’éveil des peuples à l’intelligence de l’Ecriture au double sens du mot. L’Eglise
a évangélisé en même temps qu’elle alphabétisait et scolarisait. Sous la
colonisation, le roi des Belges Léopold II avait accordé à l’Eglise catholique le
privilège voire le monopole d’organiser l’enseignement, avec toutes les
facilités nécessaires. On a appris à lire et à écrire.
Sur le passé glorieux de l’édition, j’en veux pour
seul exemple le cas du célèbre livre La
Philosophie bantu du missionnaire franciscain belge Placide Tempels. La
controverse autour de ce « petit livre » a fait produire livres et
articles constituant ce qui s’appelle aujourd’hui la « philosophie
africaine contemporaine ».
Or, ce « petit livre » parut en 1945, en
néerlandais, aux éditions Lovania, non à Bruxelles ni à Léopoldville
(Kinshasa), la capitale, mais à Elisabethville aujourd’hui Lubumbashi situé
dans l’extrême-sud du vaste pays. A combien d’exemplaires ce livre avait-il été
tiré avant les traductions et l’édition de Présence Africaine à Paris ? Certes,
des intellectuels comme le Français Jean-Paul Sartre s’en sont emparés. Mais l’Université
ne vit le jour au Congo –Belge qu’en 1954. La philosophie ne pouvait alors
avoir été étudiée (et en latin) que par les futurs prêtres, dans les
séminaires. Nous, les petits éditeurs d’aujourd’hui, nous n’avons pas de
complexe à nous faire…
Aujourd’hui, le nombre des élèves et étudiants dans
les écoles et universités augmente, mais on déplore la baisse du niveau de la
qualité de l’enseignement. On explique le phénomène par le manque de… lecture.
Les livres manquent. On dit surtout que c’est l’amour du livre qui manque au
profit de l’amour et de la pratique du numérique et notamment des smartphones
vendus à des prix de plus en plus bas. Nous voilà donc en face d’une génération
qui ne lit pas. On dit que c’est le temps d’une jeunesse qui ne saura bientôt
ni lire ni écrire. On dit aussi que c’est le temps des « Eglises de
réveil ». On impute à ces nouvelles Eglises, les sectes religieuses, cette
désaffection pour le livre.
3.
Le temps des « Eglises de
réveil » et du télévangélisme
La nouvelle génération est séduite par lesdites
« Eglises de réveil ». Ces Eglises s’appuient sur la
« modulation », pour parler en audiovisuel. Elles excellent dans le
chant et la danse. Et elles semblent rejoindre ainsi le tréfonds de l’âme de la
jeunesse. On évoque l’oralité qui serait caractéristique des cultures
africaines. Les différentes Eglises de réveil l’ont compris. Si elles relèvent
bien de la tradition des Religions du Livre, et même plus particulièrement de
la tendance protestante attachée à la « seule Ecriture », elles
embrasent l’Afrique et la RDC par le chant et la danse. Et là-dessus, sauf pour
le mouvement du renouveau charismatique, l’Eglise catholique est battue à
plate-couture. En RDC, en tout cas, des pasteurs des nouvelles Eglises nous
épatent. Sur leurs télévisions, ils savent vendre leurs chansons et des
miracles. Ils nous devancent dans le marketing commercial. Nous ne les
dépassons que pour l’engagement sociopolitique.
Il reste que l’évangile lui-même doit être connu, de
sorte à conduire à l’adhésion à la personne de Jésus-Christ. L’édition du livre
catholique est toujours attendue : il faut des livres de catéchèse, des
livrets des chants liturgiques et des carnets de prières quotidiennes… Tous les
villages de la RDC n’en ont pas toujours. Toutes les écoles n’ont pas de
manuels non plus.
Comme le Saint-Père l’a relevé dans le dernier appel
aux jeunes, les jeunes africains et congolais, des villes ou des villages, sont
aussi occupés ou « distraits » par les réseaux sociaux. Il faut les
aider. Il leur faut des livres pour apprendre à lire. Mais les écoles n’ont pas
de livres ni de bibliothèques. Les enseignants non plus. Les bibliothèques
n’existent pas. Les librairies moins encore. Les éditeurs catholiques devraient
y penser pour aller aux périphéries du monde. Mais les éditeurs catholiques le
peuvent-ils ?
L’édition locale à Kinshasa bute sur bien des
difficultés économiques. Voilà pourquoi la perspective du numérique est bien
une planche de salut pour nous.
4.
Le temps du numérique et des réseaux
J’ai dit que les Editions Baobab sont une maison
modeste. Elle serait plus petite encore sans le numérique.
Par les réseaux sociaux, nous avons la possibilité
de nous faire connaître et d’annoncer nos nouveautés. Mais le numérique nous
facilite surtout l’impression depuis trois ans que nous avons découvert cette
merveille technologique. Nous réalisons de petites quantités, renouvelées à la
demande.
Les imprimeries de Kinshasa font parfois du beau
travail, mais les dernières années, avec l’ère des Eglises de réveil et des
smartphones, nous n’avons pas été toujours capables de diffuser les 1000 voire
500 exemplaires d’un livre. Nous pouvons désormais faire imprimer en Italie de
faibles quantités. Et nous avons ainsi fait découvrir plusieurs nouveaux
auteurs. L’avenir de l’édition catholique et de l’édition en général réside
pour nous dans cette trouvaille technologique.
L’Eglise catholique sera peut-être aussi pionnière comme
toujours dans cette nouvelle ère. A la Bibliothèque Nationale de Kinshasa, on
me le rappellera encore.
Mais l’ère du numérique, c’est aussi l’ère des
réseaux. Et nous nous mettons à rêver. Pourquoi ne pas diffuser dans un réseau
catholique ? Puissent les présentes Journées de l’édition catholique nous
en donner l’élan.
Conclusion
Permettez-moi de conclure avec deux impressions. Il
y a trente ans, parti de Belgique où j’étudiais, je suis entré pour la première
fois dans une librairie à Oxford en Angleterre. Et j’ai prié pour que jamais un
livre que je publierais ne se retrouve dans ce labyrinthe. La librairie était
énorme, et jamais un petit livre de mon cru n’y serait visible.
Aujourd’hui, Dieu merci, si un livre paru dans la
petite maison des Editions Baobab de Kinshasa n’est pas exposé sur le
présentoir des nouveautés et des succès, il peut être tout de même repérable
grâce à l’internet, sur « google livres », par exemple.
La deuxième impression est celle que j’éprouve à
chaque séjour ici à Rome. Je fréquente la librairie de la gare de Termini. Mon
italien est imparfait, mais j’aime y toucher les livres, regarder les
couvertures, le papier, les formats, la police des caractères, les titres en
toutes les langues et dans bien des domaines. J’observe des voyageurs pressés mais
qui passent feuilleter des livres, acheter, et même lire. Et je me dis que même
dans ce monde occidental doté du numérique, le livre-papier a un bel avenir. Le
livre est un bel objet culturel. L’Afrique n’a pas à se faire de complexe en
recourant au livre-papier ou au numérique.
A Termini et ailleurs, je cherche souvent le livre
catholique. L’Eglise existe, la foi catholique existe. Le pape existe. Les
catholiques existent. Le Christ est vivant. Des livres me le montrent… Que les
éditeurs catholiques du monde entier me le rappellent !
P. Jean-Baptiste
Malenge, o.m.i.
Université
De Mazenod
Kinshasa,
R D Congo
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