Les Editions Baobab de Kinshasa au défi du numérique


Photo de Vaticannews en italien : https://www.vaticannews.va/it/vaticano/news/2019-06/editoria-cattolica-digitale-abeltino-google-qualita.html#play
A la première Journée de l'édition catholique, organisée à Rome du 26 au 29 juin par le Dicastère pour la communication du Saint-Siège, le directeur des Editions Baobab a présenté, le jeudi 27 juin, l'expérience de l'Afrique et de la RDC. Voici le texte prononcé par le père Jean-Baptiste Malenge.




A Kinshasa, en République démocratique du Congo, à chaque fois que je passe déposer à la Bibliothèque Nationale les huit exemplaires de tout nouveau livre exigés lors de l’acquisition d’un numéro de dépôt légal, je reçois presque invariablement le même compliment. Le personnel félicite les structures de l’Eglise catholique. « Elles sont les seules qui publient régulièrement des livres ». Parfois, on ajoute même que les milieux ecclésiastiques ont le temps et le confort voulus pour s’adonner à la lecture et à l’écriture.
Dans un pays de quelque quatre-vingt millions d’habitants, nous sommes officiellement une quarantaine d’éditeurs catholiques, de toutes tailles. Les Editions Baobab que je dirige appartiennent, à mon avis, à la catégorie des moyennes, avec cinq ou six nouveautés par an. On a compris que nous n’avons pas de grandes ambitions économiques !
Notre maison d’édition a été fondée en 1992 par les Missionnaires oblats de Marie Immaculée. Nous publions notamment la Revue Africaine des Sciences de la Mission et nous sommes officiellement un organe d’expression de l’Institut Africain des Sciences de la Mission et de l’Université De Mazenod, ex-Institut Supérieur Saint Eugène de Mazenod.
Je suis ici aux Journées internationales de l’édition catholique surtout curieux, pour écouter et trouver la réponse à des questions comme celles de savoir quelle mission assigner à l’édition catholique et quels défis particuliers à relever face à la montée de nouveaux mouvements religieux fort bavards et face surtout à la montée de la jeunesse avec ses nouvelles manières de connaître et de comprendre favorisées par le numérique et les médias sociaux. Le numérique ne serait-il pas la planche de salut pour l’Afrique et les modestes maisons d’éditions comme la nôtre grâce à la possibilité offerte de nous accrocher à des réseaux comme celui que représente aujourd’hui les éditeurs catholiques du monde ?




1.     L’Afrique dans les périphéries et la fracture numérique ?
Je voudrais commencer par constater que l’Afrique est visiblement peu représentée dans Ces Journées internationales de l’édition catholique. Mais l’Afrique se situe-t-elle vraiment dans les périphéries, aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation et des nouvelles technologies de la communication ? Que peut-on ignorer aujourd’hui d’un continent florissant en vocations religieuses et sacerdotales et qui connaît surtout le nombre de croissance le plus important de catholiques, selon les statistiques les plus officielles de l’Eglise publiée lors de la Journée missionnaire mondiale ?
Dans l’opinion mondiale, l’Afrique est sans doute victime des conséquences de la si bien nommée « fracture numérique ». Mais jusqu’à quand cette fracture sera-t-elle entretenue pour oblitérer la présence aux autres et à soi-même ? N’est-ce pas que dans l’Eglise catholique, il n’y a pas de Nord, il n’y a pas de Sud, comme il n’y a désormais, dans le Christ, ni Juif ni Grec ?
C’est grâce à l’impulsion de la foi que l’Eglise se trouve, dans des pays comme le mien parfois protagoniste jusque dans la promotion des moyens de communication sociale. Les milieux ruraux peuvent avoir droit à la parole eux aussi et faire avancer ainsi la cohésion nationale, combler la fracture entre les villes et les villages, et dans les villes comme la capitale Kinshasa, rapprocher des quartiers qui ne pourraient pas autrement bénéficier de certaines fournitures en eau et en électricité voire en téléphone mobile. Les paroisses catholiques et les communautés ecclésiales vivantes de base sont des lieux de la promotion culturelle, avec des bibliothèques, aussi rudimentaires soient-elles, sans parler des écoles et des centres d’alphabétisation.
Depuis quelques années, le continent africain est bien enlacé par une fibre optique sous-marine. Des satellites arrosent aussi le continent de tous les diapasons. Et les villages, autrefois construits essentiellement à proximité de sources d’eau, trouvent aujourd’hui un nouveau repère : la proximité du réseau de téléphonie mobile. Des fournisseurs se déploient aussi, et l’on comprend bien de quoi il s’agit lorsque, ailleurs, on se dispute sur la 4G ou la 5G.
L’Afrique n’est peut-être plus dans les périphéries. Le transfert d’argent par téléphonie mobile est né en 2007 pour le Kenya et la Tanzanie. Aujourd’hui, les milieux ruraux plus que les villes ont déjà accès à des banques MPesa. En République démocratique du Congo, la « bancarisation des salaires » des fonctionnaires de l’Etat est l’un des motifs d’orgueil des derniers gouvernants. Et la Caritas-Congo aura été un chaînon important dans le maillon !
Si la fracture numérique persiste, elle réside d’abord dans les mentalités et les comportements, considérant le monde et l’Eglise catholique comme fatalement divisés entre les riches et les pauvres.
Je voudrais entendre les éditeurs catholiques dire comment faire pour relever le défi de l’universalité en travaillant ensemble pour faire répandre le message du Christ ressuscité : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne nouvelle. » (Marc 15,16). Il faut retrouver nos racines missionnaires et les sources de l’édition catholique.

2.     Retrouver les sources missionnaires de l’édition catholique
Dans mon pays, l’Eglise catholique a joué un rôle majeur dans l’éveil des peuples à l’intelligence de l’Ecriture au double sens du mot. L’Eglise a évangélisé en même temps qu’elle alphabétisait et scolarisait. Sous la colonisation, le roi des Belges Léopold II avait accordé à l’Eglise catholique le privilège voire le monopole d’organiser l’enseignement, avec toutes les facilités nécessaires. On a appris à lire et à écrire.
Sur le passé glorieux de l’édition, j’en veux pour seul exemple le cas du célèbre livre La Philosophie bantu du missionnaire franciscain belge Placide Tempels. La controverse autour de ce « petit livre » a fait produire livres et articles constituant ce qui s’appelle aujourd’hui la « philosophie africaine contemporaine ».
Or, ce « petit livre » parut en 1945, en néerlandais, aux éditions Lovania, non à Bruxelles ni à Léopoldville (Kinshasa), la capitale, mais à Elisabethville aujourd’hui Lubumbashi situé dans l’extrême-sud du vaste pays. A combien d’exemplaires ce livre avait-il été tiré avant les traductions et l’édition de Présence Africaine à Paris ? Certes, des intellectuels comme le Français Jean-Paul Sartre s’en sont emparés. Mais l’Université ne vit le jour au Congo –Belge qu’en 1954. La philosophie ne pouvait alors avoir été étudiée (et en latin) que par les futurs prêtres, dans les séminaires. Nous, les petits éditeurs d’aujourd’hui, nous n’avons pas de complexe à nous faire…
Aujourd’hui, le nombre des élèves et étudiants dans les écoles et universités augmente, mais on déplore la baisse du niveau de la qualité de l’enseignement. On explique le phénomène par le manque de… lecture. Les livres manquent. On dit surtout que c’est l’amour du livre qui manque au profit de l’amour et de la pratique du numérique et notamment des smartphones vendus à des prix de plus en plus bas. Nous voilà donc en face d’une génération qui ne lit pas. On dit que c’est le temps d’une jeunesse qui ne saura bientôt ni lire ni écrire. On dit aussi que c’est le temps des « Eglises de réveil ». On impute à ces nouvelles Eglises, les sectes religieuses, cette désaffection pour le livre.

3.     Le temps des « Eglises de réveil » et du télévangélisme
La nouvelle génération est séduite par lesdites « Eglises de réveil ». Ces Eglises s’appuient sur la « modulation », pour parler en audiovisuel. Elles excellent dans le chant et la danse. Et elles semblent rejoindre ainsi le tréfonds de l’âme de la jeunesse. On évoque l’oralité qui serait caractéristique des cultures africaines. Les différentes Eglises de réveil l’ont compris. Si elles relèvent bien de la tradition des Religions du Livre, et même plus particulièrement de la tendance protestante attachée à la « seule Ecriture », elles embrasent l’Afrique et la RDC par le chant et la danse. Et là-dessus, sauf pour le mouvement du renouveau charismatique, l’Eglise catholique est battue à plate-couture. En RDC, en tout cas, des pasteurs des nouvelles Eglises nous épatent. Sur leurs télévisions, ils savent vendre leurs chansons et des miracles. Ils nous devancent dans le marketing commercial. Nous ne les dépassons que pour l’engagement sociopolitique.
Il reste que l’évangile lui-même doit être connu, de sorte à conduire à l’adhésion à la personne de Jésus-Christ. L’édition du livre catholique est toujours attendue : il faut des livres de catéchèse, des livrets des chants liturgiques et des carnets de prières quotidiennes… Tous les villages de la RDC n’en ont pas toujours. Toutes les écoles n’ont pas de manuels non plus.
Comme le Saint-Père l’a relevé dans le dernier appel aux jeunes, les jeunes africains et congolais, des villes ou des villages, sont aussi occupés ou « distraits » par les réseaux sociaux. Il faut les aider. Il leur faut des livres pour apprendre à lire. Mais les écoles n’ont pas de livres ni de bibliothèques. Les enseignants non plus. Les bibliothèques n’existent pas. Les librairies moins encore. Les éditeurs catholiques devraient y penser pour aller aux périphéries du monde. Mais les éditeurs catholiques le peuvent-ils ?
L’édition locale à Kinshasa bute sur bien des difficultés économiques. Voilà pourquoi la perspective du numérique est bien une planche de salut pour nous.
4.     Le temps du numérique et des réseaux
J’ai dit que les Editions Baobab sont une maison modeste. Elle serait plus petite encore sans le numérique.
Par les réseaux sociaux, nous avons la possibilité de nous faire connaître et d’annoncer nos nouveautés. Mais le numérique nous facilite surtout l’impression depuis trois ans que nous avons découvert cette merveille technologique. Nous réalisons de petites quantités, renouvelées à la demande.
Les imprimeries de Kinshasa font parfois du beau travail, mais les dernières années, avec l’ère des Eglises de réveil et des smartphones, nous n’avons pas été toujours capables de diffuser les 1000 voire 500 exemplaires d’un livre. Nous pouvons désormais faire imprimer en Italie de faibles quantités. Et nous avons ainsi fait découvrir plusieurs nouveaux auteurs. L’avenir de l’édition catholique et de l’édition en général réside pour nous dans cette trouvaille technologique.
L’Eglise catholique sera peut-être aussi pionnière comme toujours dans cette nouvelle ère. A la Bibliothèque Nationale de Kinshasa, on me le rappellera encore.
Mais l’ère du numérique, c’est aussi l’ère des réseaux. Et nous nous mettons à rêver. Pourquoi ne pas diffuser dans un réseau catholique ? Puissent les présentes Journées de l’édition catholique nous en donner l’élan.
Conclusion
Permettez-moi de conclure avec deux impressions. Il y a trente ans, parti de Belgique où j’étudiais, je suis entré pour la première fois dans une librairie à Oxford en Angleterre. Et j’ai prié pour que jamais un livre que je publierais ne se retrouve dans ce labyrinthe. La librairie était énorme, et jamais un petit livre de mon cru n’y serait visible.
Aujourd’hui, Dieu merci, si un livre paru dans la petite maison des Editions Baobab de Kinshasa n’est pas exposé sur le présentoir des nouveautés et des succès, il peut être tout de même repérable grâce à l’internet, sur « google livres », par exemple.
La deuxième impression est celle que j’éprouve à chaque séjour ici à Rome. Je fréquente la librairie de la gare de Termini. Mon italien est imparfait, mais j’aime y toucher les livres, regarder les couvertures, le papier, les formats, la police des caractères, les titres en toutes les langues et dans bien des domaines. J’observe des voyageurs pressés mais qui passent feuilleter des livres, acheter, et même lire. Et je me dis que même dans ce monde occidental doté du numérique, le livre-papier a un bel avenir. Le livre est un bel objet culturel. L’Afrique n’a pas à se faire de complexe en recourant au livre-papier ou au numérique.
A Termini et ailleurs, je cherche souvent le livre catholique. L’Eglise existe, la foi catholique existe. Le pape existe. Les catholiques existent. Le Christ est vivant. Des livres me le montrent… Que les éditeurs catholiques du monde entier me le rappellent !

P. Jean-Baptiste Malenge, o.m.i.
Université De Mazenod
Kinshasa, R D Congo
jbmalenge@gmail.com






Avec les traductrices

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