Radio Tomisa et cohésion sociale
Voici le texte de ma conférence prononcée le 9 octobre à Kikwit à l'occasion des 25 ans de la radio catholique, Radio Tomisa.
25 ans de Radio Tomisa de Kikwit
Médias et cohésion sociale des peuples du Kwilu
Enseignement de l’Eglise et suggestions à Radio Tomisa
Plutôt que d’utiliser le terme « médias » ou mass-media, l’Eglise catholique préfère l’expression « communications sociales » ou, plus couramment « communications ». Ce synonyme s’est imposé au-delà de l’Eglise depuis le Concile Vatican II, depuis le Décret sur les moyens de communication sociale intitulé « Inter mirifica » promulgué par le pape Paul VI le 4 décembre 1963.
Pour parfaire le décret conciliaire Inter mirifica, l’instruction pastorale Communio et progressio du 23 mai 1971 est venue souligner le lien intrinsèque entre communication, communion et communauté. Le rapport entre les médias et la cohésion sociale des peuples apparaît ainsi comme une manière d’emphase voire comme une tautologie, une manière d’insister avec d’autres mots sur la même réalité. En effet, la communication est à concevoir par définition comme vouée à convoquer, à rassembler des personnes différentes voire des groupes de personnes, des peuples différents.
Que la radio diocésaine de Kikwit se donne le sobriquet de « Ngoma ya Kikwit », le « tam-tam de Kikwit », cela sous-entend bien le rôle de rassembleur qu’elle s’assigne. Il s’agit bien du tam-tam qui résonne pour convoquer et rassembler et faire communier le peuple, le maintenir sur la place du village et tout au long de la vie commune.
Je voudrais faire écho à ce tam-tam en indiquant d’abord, à grands traits, ce que je comprends de l’enseignement de l’Eglise sur le rôle des médias de masse. Je donnerai donc à entendre quelques textes. Je me permettrai ensuite d’interpeller notre radio jubilaire. Je suggérerai trois pistes pour vivre la cohésion sociale grâce et à partir de la radio diocésaine de Kikwit. J’épinglerai ainsi l’importance de la langue, de l’information et de l’ancrage local.
Ce sont là trois pistes… comme des pistes de danse, pour s’amuser, se divertir. Comme la danse qui émaille la célébration des vingt-cinq ans de Radio Tomisa. Mais la danse, comme un jeu, qui rassemble plusieurs personnes, a aussi la vertu de rassembler la personne en elle-même avant de l’ouvrir dans la communion à l’invisible et aux éléments de la nature : l’air, le sol, bref le ciel et la terre, tout l’environnement.
La communication, sous ses diverses modalités, verbale ou non-verbale, se révèle ainsi par principe comme cette rencontre de l’autre. La communication se répète, se prolonge. La rencontre dure. On forme la communauté, sous quelque forme. Et la cohésion est à ce prix.
L’enseignement de l’Eglise insiste ainsi sur la corrélation entre communication, communion et communauté. On peut retrouver la base d’une telle conception dans la première lettre de saint Jean, chapitre 1 versets 3-4 : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Et nous écrivons ces choses, afin que notre joie soit parfaite. »
La communication devient un témoignage de foi, de la vie de foi.
1. L’Eglise enseigne
L’histoire nous apprend que la radio catholique diocésaine de Kikwit est née en 1996 comme un moyen pour assurer la résilience des cœurs, des esprits et des corps après la crise sanitaire du virus Ebola. Aujourd’hui, le Saint-Père François reconnaît comme « vénérables » six religieuses de la congrégation des Sœurs des pauvres de Bergame. Avec cette reconnaissance de l’héroïsme de la charité, de six victimes d’Ebola, on peut comprendre, à distance, la gravité, le sérieux de la crise sociale d’il y a vingt-cinq ans. Les six religieuses martyrs de la charité sont le témoignage du souci de l’autre, de l’amour du prochain.
Mgr Edouard Mununu était donc bien inspiré pour penser que la communication devait figurer dans la panoplie des soins à apporter à Kikwit. Il s’agissait d’aider à la reconstruction de l’homme intégral. Cet homme avait besoin de guérir aussi dans sa relation aux autres, à lui-même voire à son environnement et à Dieu. La radio jouerait aussi ce rôle, à en croire aujourd’hui les objectifs affichés : évangélisation, information, formation et divertissement, promotion de la culture locale et du développement des masses, maintien de la cohésion des peuples.
L’on peut ajouter en filigrane l’idée de la paix, d’une certaine harmonie, qui ne bannit pas les divergences d’opinion ou de goût, par exemple. Le rassemblement autour du tam-tam suffit pour laisser entrevoir un progrès de la communauté et des personnes. Mais la communauté gagnée par la communication ne se forme que comme engagement à des valeurs.1
C’est l’enseignement de l’Eglise catholique sur la communication. Nous pouvons le reconnaître à travers deux documents de base : le décret conciliaire Inter mirifica de 1963 et l’instruction pastorale Communio et progressio de 1971.
Inter mirifica
Dès le préambule, Inter mirifica présente ainsi le sens de l’expression, du titre :
« Parmi les merveilleuses découvertes techniques qu’avec l’aide de Dieu, le génie de l’homme a tirées de la création, à notre époque surtout, l’Église accueille et suit avec une sollicitude toute maternelle celles qui, plus directement, touchent les facultés spirituelles de l’homme et offrent des possibilités élargies de communiquer très facilement des nouvelles de tout genre, des idées, des orientations. Or, parmi ces découvertes, il faut assigner une place singulière aux moyens qui, de par leur nature, sont aptes à atteindre et à influencer non seulement les individus, mais encore les masses comme telles, et jusqu’à l’humanité tout entière. Tel est le cas de la presse, du cinéma, de la radio, de la télévision et d’autres techniques de même nature. Aussi bien peut-on les appeler à juste titre : moyens de communication sociale. » (Inter mirifica, 1)
Le document date de 1963. Des moyens plus modernes comme l’internet ne sont, bien sûr, pas mentionnés. Mais les Pères conciliaires, les évêques réunis au Concile ont bien été conscients des limites du document. Ils en ont aussitôt prévu une suite :
« Afin que les principes et les règles du Concile sur les moyens de communication sociale soient tous appliqués, la commission du Saint-Siège dont il est question au paragraphe 19 publiera sur mandat spécial du Concile une instruction pastorale. La commission se fera aider par des experts de différents pays. » (Inter mirifica, 23).
Des experts furent donc mis à contribution. Le Concile Vatican II avait innové dans bien des domaines. Dans la communication aussi. Les médias sont considérés désormais comme des « dons de Dieu », contrairement à la méfiance vécue avant le Concile, et bien à juste titre.
Après l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles par l’Allemand Johannes Gutenberg en 1452-1455, qui imprima la Bible (de saint Jérôme) à 180 exemplaires, sa technologie profitera bien au moine augustin Martin Luther, père de la Réforme protestante. L’Eglise catholique ira plus tard jusqu’à dresser une liste, un index, de livres que les bons catholiques ne devaient pas lire, sous peine de se voir obligés d’aller à confesse.
Le cinéma a aussi posé des problèmes. On y voit bien surtout des scandales de mœurs sur l’écran comme dans la promiscuité de la salle. D’où la censure. Au début, il est interdit aux prêtres d’aller dans les salles. Aux Etats-Unis, par exemple, , La National Legion of Decency est fondée aux Etats-Unis en 1933 pour signaler jute aux fidèles les films à proscrire. En 1928 est née l’Organisation Catholique internationale du Cinéma (OCIC) devenue Signis en 2001 après fusion avec Unda, qui regroupait des professionnels catholiques de la radio et de la télévision.
Il est vrai que la radiodiffusion eut un début plus clément, favorable. La technologie fut bénie par le pape dès le berceau. L’encyclopédie Wikipedia renseigne :
« Au lendemain des accords du Latran réglant définitivement les rapports entre le Saint-Siège et l'Italie (1929), et créant l'État du Vatican, Pie XI confie à l'ingénieur Guglielmo Marconi le projet de construction d'une station radio à l'intérieur du nouvel État. La radio est inaugurée le 12 février 1931 : pour la première fois la voix du pape est entendue sur les ondes. »
Le regard optimiste du Concile Vatican II ne fut pas du tout une communion sans confession. Il fallait un sérieux examen. L’instruction pastorale Communio et Progressio en fit l’office en 1971.
Communio et progressio
L’instruction pastorale Communio et progressio touche franchement le thème des « médias et cohésion sociale des peuples ». Au numéro 6, il est écrit :
Bien que s'adressant à chacun, ces moyens atteignent et affectent l'ensemble de la société humaine. 9 A une foule d'hommes ils apportent rapidement une image de la vie du monde d'aujourd'hui, dont ils révèlent dans leur diversité l'opinion et la mentalité. Ils sont indispensables pour connaître les relations profondes et complexes, ainsi que les activités de notre société.
Mais il ne s’agit pas seulement de connaître ni de faire connaître. L’instruction pastorale dit d’emblée :
La technique de ces moyens progresse de façon continue et accélérée, en sorte qu'ils sont de jour en jour plus facilement accessibles à un nombre croissant d'hommes. Les comportements et les mentalités se trouvent ainsi toujours plus profondément influencés par ces moyens de communication de masse (ou "media").
C’est sur cette capacité des médias, sur cette influence qu’il faut miser pour penser bâtir une société nouvelle, un pays nouveau, une Eglise nouvelle.
8. De sa nature même, la communication sociale tend à réaliser des échanges entre les hommes. Ils découvriront ainsi un sens plus approfondi à la vie communautaire. De la sorte, l'homme concourt au "dessein de Dieu dans l'Histoire", conduit qu'il est par la main de Dieu.
Selon la foi chrétienne, l'union entre les hommes, en tant que fin principale de toute communication, trouve son origine, et déjà sa préfiguration, dans le mystère fondamental de l'éternelle société de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui vivent une seule vie divine.
9. Certes, les moyens de communication contribuent grandement à l'union entre les hommes. Mais, s'il y a erreur ou ignorance, si la bonne volonté fait défaut, leur usage peut produire un effet opposé à la compréhension mutuelle et le dissentiment. Il peut en résulter de graves conséquences, par exemple : la négation ou l'altération des valeurs essentielles de la vie humaine. L'esprit chrétien conclut de ces dépravations qu'il faut en libérer l'homme et l'arracher au péché, introduit dans l'histoire du genre humain lors de la chute originelle.
Voilà donc que la tâche est aussi de porter un regard sur les médias. Il faut guérir les médias, il faut les prévenir contre la dépravation. Il faut une éthique et une déontologie. Le Saint-Père François nous aide dans ce regard critique à porter sur les médias en vue de bâtir la communauté par la communication.
Fratelli tutti
La dernière encyclique du pape François Fratelli tutti, publiée le 3 octobre 2020, « sur la fraternité et l’amitié sociale » peut être lue comme une prophylaxie, une prévention contre des maladies de la communication, parce que l’encyclique porte sur la communion, la relation fraternelle mais aussi sur la relation de la personne avec elle-même, avec la création et avec Dieu.
Lisons les numéros 42 et 46 sous le sous-titre : « L’illusion de la communication »
Au numéro 42, le pape François écrit :
Paradoxalement, alors que s’accroissent des attitudes de repli sur soi et d’intolérance qui nous amènent à nous fermer aux autres, les distances se raccourcissent ou disparaissent au point que le droit à la vie privée n’existe plus. Tout devient une sorte de spectacle qui peut être espionné, surveillé et la vie est soumise à un contrôle constant. Dans la communication numérique, on veut tout montrer et chaque personne devient l’objet de regards qui fouinent, déshabillent et divulguent, souvent de manière anonyme. Le respect de l’autre a volé en éclats, et ainsi, en même temps que je le déplace, l’ignore et le tiens à distance, je peux sans aucune pudeur envahir sa vie de bout en bout.
Le pape François alerte ainsi sur les dérapages si faciles dans l’ère des réseaux sociaux et autres déclinaisons de la communication numérique. Ces dérapages, même les chrétiens y tombent. Nous ne sommes pas que de beaux donneurs de leçons. Ecoutons le pape au numéro 46 de Fratelli tutti :
46. Il faut reconnaître que les fanatismes qui conduisent à détruire les autres sont également le fait de personnes religieuses, sans exclure les chrétiens, qui « peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur Internet et à travers les différents forums ou espaces d’échange digital. Même dans des milieux catholiques, on peut dépasser les limites, on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie, et toute éthique ainsi que tout respect de la renommée d’autrui semblent évacués ».[48] Qu’apporte-t-on ainsi à la fraternité que le Père commun nous propose ?
Je signalerai en conclusion ce qui peut être retenu comme un dérapage de Radio Tomisa sur ce chapitre de la violence. Mais j’en viens d’abord aux trois suggestions que j’ai pensées à l’occasion de ce jubilé qui s’offre comme moment de réjouissance mais aussi de réflexion.
2. Trois suggestions à Radio Tomisa
La cohésion sociale par la radio diocésaine de Kikwit peut naître de l’effort et du soin apporté à la langue commune du Kwilu, le kikongo ya leta. Cette langue est venue dans le sillage de la colonisation pour rassembler dans une même communauté les diverses tribus et langues de la région. Entre les Mbala, Yansi, Bunda, Kwese, Suku, Pende, Dinga, et tous les autres, il y a le kikongo pour se faire entendre, se faire connaître et reconnaître, aimer et se faire aimer, bref pour cohabiter comme un seul peuple.
Qu’on se rappelle que Radio Tomisa est née dans la foulée de la pandémie d’Ebola. L’évêque Edouard Mununu voulait un moyen pour éduquer à l’hygiène, notamment. Car Ebola est une maladie des mains sales. Les mesures barrières que l’on nous enseigne aujourd’hui contre le coronavirus nous le rappellent. Qui nous le rappelle et en quelle langue pour le comprendre ?
Il y a, aujourd’hui, les réseaux sociaux qui désinforment plus qu’ils n’informent sur la connaissance utile face au comportement adéquat concernant la maladie ou la vaccination. Mais même lorsqu’il y a effort d’information adéquate, d’éducation pour la santé publique, on bute souvent sur une mauvaise communication. Lorsque, par exemple, les mots essentiels sont sujets à contresens parce qu’ils sont dits en français alors que l’on prétend communiquer en kikongo ou en lingala.
Aux oreilles d’un hôte de passage à Kikwit, le problème de la langue doit être pris au sérieux, dans la rue comme sur les radios. La radio est un art, et l’art est difficile. Tout artiste ou même tout artisan doit chercher à maîtriser son outil. Et la langue est l’outil pour la radio.
La cohésion sociale se nouera bien sûr autour des réalités que nous évoquons, ce dont nous parlons, lorsque nous nous sommes assurés un contact, un canal pour nous relier, mais il faut aussi une langue, un langage, un code commun entre le destinateur et le destinataire, entre l’émetteur et le récepteur, pour ne suivre que le schéma de la communication selon Roman Jakobson.
Je me souviens qu’un jour, en 1996, monsieur l’abbé Evariste Pini-Pini est venu discuter avec moi du programme de la radio catholique à naître, Radio Tomisa. J’avais 14 ans de radio. Pini-Pini m’apprit que la radio avait choisi de n’émettre qu’en langue kikongo. Moi, qui connais Kikwit, je me suis demandé s’il ne fallait pas donner à l’unique radio de Kikwit, ville réputée intellectuelle, l’occasion d’étaler aussi le bon français et en apprendre ainsi à des jeunes à qui les écoles, du primaire au secondaire, enseignaient la langue française. Pourtant, Pini-Pini insistait. Et il avait raison. Parce que la radio ne se voulait pas une radio scolaire. Elle visait la plus large audience, comme radio communautaire, radio de proximité.
Et Kikwit parlait kikongo. Il est vrai qu’aujourd’hui, Kikwit semble parler de moins en moins le kikongo. Des espaces sont carrément lingalaphones. C’est d’ailleurs le cas dans tout l’espace kikongophone. Dans la province du Kongo-central, la situation est même pire.
Depuis l’asphaltage de la Route Nationale numéro 1, la capitale Kinshasa, avec sa langue, s’est rapprochée davantage de Kikwit. Les commerçants et autres voyageurs venant de Tshikapa et du Kasai se débrouillent en lingala. Les Eglises de réveil, dans les quartiers de Kikwit, ont ainsi des pasteurs qui prêchent en français avec des traducteurs en lingala. Sur les radios de Kikwit, les pasteurs parlent en lingala comme le faisaient déjà lesdits chroniqueurs de musique avec leurs invités musiciens. Et tous les autres animateurs semblent les suivre, imiter, lorsque, notamment, des auditeurs appellent au téléphone. Il y a une génération, on aurait pensé que le lingala était réservé à l’armée et à la musique kinoise !
Dans la province du Kwilu, les jeunes véhiculent volontiers le lingala tout comme certains prêtres qui trouvent les chants, semble-t-il, plus beaux en lingala qu’en kikongo.
Il reste à espérer que sous la poussée du lingala, nos villages ne perdront pas bientôt leur kikongo, leur kimbala, kiyansi, kibunda, kipende, kisuku, kikweso et toutes nos autres langues.
Voilà des observations bien empiriques d’un hôte de passage à Kikwit. Des spécialistes renseignent plutôt que la situation est générale et préoccupante en Afrique. Les langues sont menacées. Parmi les causes, on évoque la crise scolaire. Des professionnels du langage ont une maîtrise douteuse de la langue, et peu font attention à leur façon de lire et d’écrire. Les études littéraires ne récoltent plus aucun prestige ni au secondaire ni au supérieur.
Il reste que dans le Kwilu, Radio Tomisa a imposé un style que les nouvelles radios de Kikwit et de la région imitent jusqu’à la caricature. Sur nos radios, on lit intégralement les communiqués de l’en-tête à la signature. notamment avec cette façon de lire les communiqués. Nos radios portent aussi des limites dont le peu d’attention ou la négligence vis-à-vis de la langue kikongo.
J’aurais personnellement voulu en discuter avec Evariste Pini-Pini. Je lui parlerais de Jean Malenge et de sa femme Alphonse Mayiji de Kanzombi, décédés en 2020 et en 2019. Ils pouvaient manquer à manger, mais il leur fallait toujours de quoi acheter des piles pour suivre Radio Tomisa. Alphonsine Mayiji était une vraie analphabète, son mari lisait assez bien le kikongo. Je ne me représente pas bien ce qu’ils comprenaient lorsque les journalistes et animateurs de Radio Tomisa utilisent une langue proche à la fois du kikongo et du français.
La langue est menacée partout par les médias sociaux. Nous sommes dans l’ère de la vitesse, de la viralité. Les nouvelles vont si vite. Facebook, Whatsapp, Twitter et les autres ne favorisent pas le soin patient à apporter à la correction de la langue. Les médias sociaux posent surtout à Radio Tomisa la question de la place de l’information.
S’investir dans l’information
Je ne connais pas la page Facebook de Radio Tomisa ni son blog, encore moins son application pour smartphone. La province du Kwilu est apparemment bien faible dans le taux de pénétration de l’internet. Mais ce que Radio Tomisa partage avec la plupart des radios locales du pays, c’est la difficulté à organiser une rédaction ou simplement à se doter d’un service de nouvelles. Beaucoup se contentent de relayer, sans autorisation, des radios disponibles sur le réseau de Canal + comme Top Congo, Radio Okapi ou Radio France Internationale.
Avec son jubilé d’argent, Radio Tomisa se mettra sans doute au diapason pour renforcer ses capacités dans la production de l’information. Il est vrai qu’à Kikwit, la concurrence n’excelle pas non plus dans l’information. A Kikwit, une édition du journal parlé en soirée rediffusée dans la matinée semble suffisante. Les auditeurs s’y habituent de sorte à demander même, m’a-t-on dit, des nouvelles de Kinshasa et d’ailleurs. Priorité semble donc être donnée aux gratuits et peut-être non négociés des médias étrangers.
Avec son jubilé d’argent, Radio Tomisa pourrait donc aussi prendre la tête des médias de Kikwit dans l’information. Pourquoi l’information ? Ecoutons le concile Vatican II parler du droit à l’information.
La première question concerne l’information, c’est-à-dire la collecte et la diffusion de nouvelles. Avec le progrès de la société moderne et les liens d’interdépendance de plus en plus étroits entre ses membres, l’information s’avère hautement utile et même, la plupart du temps, indispensable : c’est une évidence. La diffusion publique et en temps voulu de faits et d’événements permet à chaque homme d’en avoir une connaissance exhaustive et permanente. Par là même, chacun pour sa part peut concourir efficacement au bien commun et tous ensemble peuvent contribuer plus aisément à la prospérité et au progrès de toute la société. Aussi bien trouve-t-on inhérent à la société humaine le droit à l’information sur les sujets qui intéressent les hommes, soit en tant qu’individus, soit en tant que membres d’une société, selon la situation de chacun. Cependant le bon exercice de ce droit requiert que la communication soit, quant à l’objet, toujours véridique et – dans le respect des exigences de la justice et de la charité – complète ; qu’elle soit, quant au mode, honnête et convenable, c’est-à-dire que, dans l’acquisition et dans la diffusion des nouvelles, elle observe absolument les lois morales, les droits et la dignité de l’homme. Car toute connaissance n’est pas profitable ; « par contre la charité édifie » (1 Co 8, 1). (Inter mirifica, 5)
C’est l’information plus que tout autre programme qui aidera à la cohésion sociale des peuples. L’information permet la connaissance mutuelle, qui amènera à la reconnaissance des autres dans la justice et l’égalité. L’information, c’est ce qui manque aux Congolais de différentes provinces, dans notre vaste pays. Nous nous ignorons et nous pouvons difficilement nous aimer. Le patriotisme fait problème à ce titre.
Et pourtant, la communication numérique devrait favoriser plus facilement la collecte et la diffusion de l’information. Avec le téléphone, les paroisses du vaste diocèse de Kikwit peuvent se relier facilement, mieux que la phonie d’antan. Le téléphone permet même l’internet dont la vitesse peut aider mieux encore. La diversité des peuples apparaître plus nettement et nous pourrons faire reculer le chauvinisme, l’ethnocentrisme.
Il faudra bien faire attention pour éviter un écueil fréquent du politique. L’information politique a sa valeur, mais les faits sociaux qui fédèrent ne relèvent pas toujours du politique. L’intolérance semble plutôt caractériser la pratique de la politique avec l’inscription des partis politiques !
Si Radio Tomisa choisit de donner l’information le plus régulièrement possible et le plus rapidement, il lui faut se renouveler sur bien des plans. Pourquoi, par exemple, Radio Tomisa ne relaie-t-elle pas la radio du pape, Radio Vatican, qui permet un regard chrétien sur l’actualité nationale, africaine et internationale ?
Je n’aborderai pas des questions que j’ignore ou qui me dépassent. Je signale simplement la dernière question majeure à mes yeux : l’ancrage dans le local.
Privilégier le local
Radio Tomisa se veut une radio communautaire, une radio de proximité. Toute radio doit être une radio proche des auditeurs, dans la langue mais aussi dans les réalités vécues et à vivre.
Nous autres, qui avons grandi sous le mobutisme, nous avons appris à revendiquer l’authenticité et à rejeter l’aliénation. L’homme zaïrois devait être fier de ses origines, de sa culture, de sa peau, etc.
La politique du recours à l’authenticité posait le problème philosophique de la relation entre l’universel et le particulier, entre le global et le local, selon la terminologie du pape François dans l’encyclique « Fratelli tutti ».
Au fil du temps, le recours à l’authenticité s’est remodelé. Plutôt que de nous enfermer dans notre identité, nous avions compris que cette identité se raffermit au contact d’une ouverture bien comprise vers l’autre qui puisse nous enrichir. L’universel et le particulier se vivent donc dans une tension féconde.
Le pape François écrit qu’ « il faut prêter attention à la dimension globale pour ne pas tomber dans une mesquinerie quotidienne. En même temps, il ne faut pas perdre de vue ce qui est local, ce qui nous fait marcher les pieds sur terre. » (Fratelli tutti, 142).
Dans Fratelli tutti, le pape écrit :
53. On oublie qu’« il n’y a pas pire aliénation que de faire l’expérience de ne pas avoir de racines, de n’appartenir à personne. Une terre sera féconde, un peuple portera des fruits et sera en mesure de générer l’avenir uniquement dans la mesure où il donne vie à des relations d’appartenance entre ses membres, dans la mesure où il crée des liens d’intégration entre les générations et les diverses communautés qui le composent ; et également dans la mesure où il rompt les spirales qui embrouillent les sens, en nous éloignant toujours les uns des autres ».
Les radios de Kikwit et du Kwilu posent au concret cette question : N’est-ce pas que les sujets des journaux parlés réservent la majeure partie de leur temps à l’actualité nationale ou internationale facile à trouver plutôt que d’aller dans les villages et les quartiers à la recherche de l’information locale ?
Il y a certes la question des finances, des ressources matérielles et financières, mais la question des ressources humaines est encore plus exigeante. Dans quelle mesure les journalistes et animateurs n’ont-ils pas plutôt le cœur tourné d’abord vers l’extérieur ? Dans quelle mesure les auditeurs ne sont-ils pas justement habitués à cette extraversion, à ce regard extérieur de sorte à penser qu’il faut vivre à Kikwit dans le désir de s’évader un jour, ne serait-ce que lors d’un petit voyage dans le bus vers la capitale Kinshasa ?
Et dans quelle mesure et avec quelle conscience et quel courage alors les médias travaillent-ils pour inverser la tendance, pour donner à penser que l’herbe n’est pas toujours plus verte de l’autre côté de la montagne et qu’il nous faut regarder vers le sol d’où peut germer et fleurir aussi la vie en abondance ? Nous alons d’autant apercevoir et éviter les ravins qui se creusent sous nos pas et sous nos yeux. Nous pourrons nous mettre ensemble, nous en rendre compte pour les éviter ou, à tout le moins, les attaquer suffisamment à temps, par l’effort de tous.
La cohésion sociale proviendra grâce aux médias si les médias sont réellement des instruments de l’enracinement dans le quotidien de la vie et non des instruments d’aliénation et d’évasion. Et c’est ainsi qu’à partir du particulier, du local, nous comprendrons mieux et nous atteindrons l’humain dans sa dimension universelle.
Ecoutons une dernière fois le pape François :
« Il y a une fausse ouverture à l’universel procédant de la superficialité vide de celui qui n’est pas capable de pénétrer à fond les réalités de sa patrie, ou bien de celui qui nourrit un ressentiment qu’il n’a pas surmonté envers son peuple » (Fratelli tutti, 145).
Le pape nous donne ainsi une leçon de patriotisme ! Il y a bel et bien à se demander, par exemple, pourquoi un neveu à moi âgé d’une dizaine d’années est à bon droit fanatique de l’équipe de Barcelone mais il est incapable de me citer une seule équipe de Kikwit. A son âge, je connaissais les meilleurs joueurs de Kikwit avant ceux de Kinshasa. Il est vrai qu’il y a cinquante ans, la télévision n’existait pas à Kikwit. Mon neveu regarde Barcelone, Manchester, Liverpool et toutes les stars de la Coupe d’Europe. Mais si, par la faute des médias, son cœur ne vibre que pour l’étranger, je craindrai beaucoup pour son patriotisme…
Depuis vingt-cinq ans, la radio diocésaine de Kikwit a montré le chemin de la résilience, du salut, pour prendre en charge les joies et les peines du peuple de Dieu, de l’Eglise et du monde. L’engouement observé pendant ces jours de célébration du jubilé d’argent témoigne sans doute de la reconnaissance méritée. Radio Tomisa grandit et s’affermit comme adulte. Il m’a semblé nécessaire de rappeler quelques lignes de l’enseignement de l’Eglise en matière de la communication sociale. Il m’a semblé aussi opportun d’attirer l’attention sur l’instrument par excellence de la radio, la langue. Je n’ai fait que souligner le caractère de l’ancrage dans le local pour une radio communautaire, une radio de proximité.
Je termine par un petit détail. Il y a quelques années, j’ai placé Radio Tomisa sur googlemaps afin de lui assurer une visibilité sur internet. Avant-hier, j’ai ajouté quelques photos du jubilé. Et je me suis intéressé à lire des avis d’internautes. Voici ce que j’ai trouvé :
david kabemba
il y a 3 ans
bonjour je suis david depuis kinshasa j'ai été une foi à kikwit et avec ma petite radio suivant une émission des 2 mrs parlant kikongo et qui passe chaque 09h du matin sur votre radio...ils traitent les lubas comme des moins que rien et sans retenue...malheure au congo.
Cet avis de David Kalema soulève bien des inquiétudes. Ce n’est qu’un avis, sans doute, à pondérer par une discussion, un débat. De toute façon, voilà une interpellation. La responsabilité des journalistes et animateurs est engagée. L’éthique et la déontologie prévaudront pour honorer la radio catholique.
Pour vivre la cohésion à Kikwit et dans la province du Kwilu, Radio Tomisa aidera les peuples à cohabiter aujourd’hui. Hier, des migrations ont emmené des peuples d’Angola ou de la côte ouest-africaine. Aujourd’hui, de nouveaux peuples viennent du nord ou du sud, de l’est ou de l’ouest. Demain, ces peuples deviendront des autochtones au même titre que tant d’autres. La mission prophétique de la radio catholique de Kikwit sera ainsi de rassembler les peuples venus de partout, sans discrimination de dates d’arrivée.
Kikwit, 9 octobre 2021
Jean-Baptiste Malenge
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