Au coeur des jours et des nuits : "Dans les bras de sa mère"

 

Extrait du livre Au coeur des jours et des nuits, Baobab, Kinshasa, 2019.

La jeune maman tentait de faire taire son bébé. Il pleurait. Il faisait du bruit dans le taxi commun. Et les bonnes manières demandent que l’on ne dérange pas les voisins. La jeune mère se gênait, certainement. Mais comment faire taire un enfant surexcité sans le surexciter davantage ? Les mamans le savent. Comme elles savent beaucoup d’autres gestes essentiels à la vie que Dieu nous donne par elles. Les jeunes mamans l’apprennent, sans aller à l’école.

Et qu’a fait la jeune mère dans le taxi commun ? Elle a tiré un bonbon de son sac à main. Elle a enlevé l’enveloppe. Et à ma grande surprise : la jeune mère a porté le bonbon dans sa bouche à elle. Elle s’est mise à sucer. Et j’ai détourné mon regard littéralement dégoûté. Je me suis dit : voilà, elle est si jeune, et elle s’est hâtée pour avoir un bébé dont elle ne sait même pas s’occuper. Elle s’occupe d’abord d’elle-même comme toutes les demoiselles de son âge : elles ne pensent qu’à elles-mêmes. Egoïstes. Egocentriques.

Mais le temps que j’y pense, j’ai de nouveau porté mon regard vers la jeune mère et son bébé. A ma grande surprise : la jeune maman m’a désillusionné. Elle porta le bonbon dans la bouche du bébé. Le bébé se mit à sucer goulument. Et le silence revint dans le taxi commun.

J’avoue que j’ai alors pensé à ma propre mère. Et au bébé que j’ai été. Je n’ai pas de souvenir de ce passé lointain, mais j’ai aussitôt ressenti comme une caresse de ma maman sur l’enfant que j’ai été et qui avait besoin de sa mère.

La jeune femme et son bonbon m’ont rappelé une autre dame. Dans une église en Asie, j’ai vu une jeune dame tenir par la main une fillette. La dame est allée communier pendant la messe. Le prêtre avait déposé l’hostie sur la main gauche de la femme. Et mes yeux n’ont pas cru ce que j’ai vu ensuite : la maman a prélevé une miette de l’hostie et elle l’a déposée sur la langue de la fillette. L’enfant n’avait pas l’âge de la première communion. Le prêtre a vu, mais il n’a rien dit, rien fait. Et d’ailleurs, d’autres femmes ont fait de même avec leurs enfants.

Je pense encore à la maman de l’église d’Asie. Si le corps du Christ est si vital pour elle, comment pourrait-elle ne pas penser le partager avec sa fillette ? Une mère qui mange quand ses enfants ont faim n’existe nulle part dans le monde.

Je n’ai pas la chance de me mettre dans la peau d’une mère. La femme du taxi et la femme de l’église m’ont fait penser à Jésus de Nazareth et à sa mère Marie. J’ai vu dans la Basilique Saint Pierre de Rome la statue en marbre dite la Pietà sculptée par l’artiste Michelangelo au quinzième siècle. C’est Jésus de Nazareth qui est porté dans les bras de sa mère Marie. Ce Jésus, cet homme célibataire, et qui meurt, dans la trentaine, est remis dans les bras de sa tendre mère avant son enterrement.

Tendre mère aussi que celle qui a porté son fils de la quarantaine d’années cloué sur un lit d’hôpital à Kinshasa. Depuis une dizaine d’années, elle n’avait pas vu son fils. La mère était fâchée contre le fils et le fils était fâché contre la mère. Les haines dans les familles sont les plus coriaces, a dit récemment le pape François.

Sentant venir la mort, le fils demanda à voir sa mère. La mère se présenta. Ce fut la réconciliation. Et le fils adressa à sa mère une dernière demande précise : que sa mère le porte dans ses bras. Comme lorsque j’étais ton bébé, dit-il. La mère éclata en sanglots. Son fils de quarante ans avait tellement maigri. Il ne pesait plus. La vieille mère le prit dans ses bras. Et il mourut.

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