Note sur le livre « La communication sauvera l’Afrique » de Jean-Baptiste Malenge
(Editions Baobab, Kinshasa, 2022, 160 p, 13,5x21,5, ISBN : 978-2-493884-05-3, 18 $, baobab@isemomi.org)
Le problème de l’Afrique, c’est le manque de communion et de communauté qui permette une gestion correcte, heureuse de soi, de la relation à l’autre et à l’environnement. La communication s’avère comme l’enjeu fondamental du salut.
En quête de la reconnaissance
Pendant tout le vingtième siècle, l’Afrique a eu besoin de la reconnaissance (de l’autre, de l’Occident). Les Africains ont eu besoin d’être reconnus comme des êtres humains. Ils ont réclamé par diverses voix la justice et l’égalité entre humains. Depuis lors, bien des pas ont été franchis.
La reconnaissance est de plus en plus repérable aujourd’hui à la faveur des technologies de la communication. L’Afrique se communique plus et mieux que jamais. La fracture numérique entre le Nord et le Sud, entre les villes et les villages, se réduit à vue d’œil. Bien plus, les technologies sont voulues neutres. La voix de l’Afrique est ainsi devenue de plus en plus audible. Grâce à l’expertise nécessaire et à la neutralité des bonnes volontés observées partout dans le monde.
La reconnaissance est aussi le fruit de la postmodernité basée sur le pluralisme et le polycentrisme. Des procédures, en relations internationales, par exemple, garantissent un bon niveau de justice et d’égalité entre les peuples. Dans les organisations internationales, dans les enceintes des Nations-Unies, formellement, la parole est donnée à chaque participant, à tour de rôle. Et la présidence des organisations est souvent tournante.
Bref, la voix de l’Afrique est devenue de plus en plus audible voire intelligible. Mais jusqu’où la parole de l’Afrique s’entend-elle ? Que pèse-t-elle, dans le fond (sémantique et pragmatique) ? Qui engage-t-elle ?
Des préjugés demeurent. Le complexe de supériorité de la part d’anciens colonisateurs, et surtout le complexe d’infériorité de la part d’anciens colonisés retardent le processus vers la fraternité, la solidarité, l’universalité.
Les technologies de la communication et de l’information se révèlent même parfois comme de puissants vecteurs et relais de la discrimination et du mépris des uns et des autres. D’où le besoin de la vigilance, de la critique.
D’où, surtout, l’appel à l’Afrique pour parler de l’Afrique à l’Afrique.
Que l’Afrique parle à l’Afrique
Désormais, la question est celle de la cohésion, de la communion et de la communauté interne, de la relation de l’Afrique avec elle-même. Dans quelle mesure l’Afrique parle-t-elle de l’Afrique à l’Afrique ? La question soulève des enjeux aux niveaux éthique, politique, économique, notamment.
Il s’agit bien de solder les comptes d’une gestion malencontreuse de l’histoire. L’intrusion de l’autre, de l’Occident, a perturbé le système traditionnel de la gestion régulière des peuples. Dans la mesure où on se préoccupe du destin de l’Afrique, toute l’intelligence doit donc se consacrer à savoir non seulement comment remédier aujourd’hui à la domination des peuples par l’étranger mais aussi et surtout à assurer la prise en charge (intellectuelle) de l’Afrique par elle-même.
Avec les indépendances, on se rend bien compte que l’autonomie des peuples d’Afrique eux-mêmes détermine le contact avec l’étranger. De l’extérieur, la colonisation a créé par la force des communautés de peuples. A l’indépendance, ces peuples se rebellent. Des guerres africaines relèvent certes de la prédation de puissances étrangères et de l’égoïsme de gouvernants. Mais toutes tablent sur la participation de combattants locaux convaincus de défendre non une idéologie quelconque mais très souvent une communauté tribale.
J’observe que l’Afrique peine à se ressaisir, à concilier les identités tribales. La communication sauvera l’Afrique en favorisant la connaissance mutuelle entre identités tribales. C’est ainsi que le langage s’impose pour dire les identités et pour les réconcilier. Mais qui s’adresse à qui en Afrique et à propos de quoi ?
Du point de vue économique, nous observons chaque jour comment l’Afrique s’offre à vil prix à ceux qui peuvent exploiter ses ressources naturelles, humaines et matérielles. Jusqu’au petit commerce, nous comptons sur l’étranger, sur des investisseurs, des bailleurs de fonds. L’Afrique des villages est encore fort heureusement souvent épargnée, par manque d’accès, par exemple.
L’enjeu primordial est plutôt politique, qui touche la relation de la personne avec elle-même et avec les autres. La politique s’entend bien au sens originel de la capacité d’une communauté d’entreprendre ensemble des projets communs au moyen de l’échange verbal.
L’Afrique doit parler à l’Afrique. Que les compatriotes se parlent, ils se connaîtront et pourront ainsi se reconnaître pour bâtir ensemble un espace de vie commune. Le bien commun résultera ainsi du langage qui le nomme. L’Afrique doit parler de l’Afrique. Au cours des formations assurées dans le cadre du Centre de Recherche et d’Education en Communication (CREC), je m’étonne souvent de constater combien les radios locales, par exemple, si nombreuses à travers la RDC, peinent et même rechignent à informer sur le local. Elles préfèrent relayer l’information de la capitale ou de l’étranger, contribuant ainsi à faire rêver du lointain et du paradis si inaccessible. D’où les frustrations et autres exfiltrations et migrations de la jeunesse, en particulier. L’exode rural, l’extraversion devient toute une culture.
Ethique et communication
Si la communication est ainsi attendue pour sauver l’Afrique du mal-être de la dépossession de soi et de la domination étrangère, il saute en même temps aux yeux qu’il ne s’agit pas de célébrer les médias du jour. Au contraire, tous les vices semblent s’y convier, confluer. Les guerres sont facilement attisées par les médias. Il y a donc nécessité de rappeler des principes de l’éthique comme base de la relation entre humains et respect de la personne humaine.
Dans la plupart des médias, les élites africaines s’adressent à l’étranger de préférence au local. Le recours spontané à la langue étrangère dévoile l’incompétence linguistique et parfois le mépris du local, du vernaculaire. Et parfois aussi le mépris du peuple interlocuteur.
D’où l’importance d’un appel comme celui du pape François de faire attention à la langue maternelle, non seulement pour transmettre la religion mais pour façonner le cœur de l’homme et de la femme d’Afrique en quête d’identité. Sur les médias de plus en plus prolifiques, les langues africaines sont malmenées, traduisant ainsi le drame de l’impertinence des interlocuteurs et leur faible ancrage dans la réalité locale. On pourrait évoquer ici les termes du philosophe et théologien camerounais Fabien Eboussi Boulaga, qui dénonçait le mauvais usage du langage de l’Etat postcolonial, le taxant de mimétisme et de fétichisme, c’est-à-dire d’irréalisme voire de délire verbal.
Le pape François nous inspire aussi lorsqu’il s’agit de parler de la vérité. Elle libère, dit Jésus. Or, c’est la vérité que l’Etat postcolonial manque comme adéquation de la parole à la réalité. L’Etat devient fétichiste, à exorciser, à ramener vers la réalité des êtres et des choses.
Mais le problème de la vérité ne se réduit pas à la réalité des faits. Au regard des fausses nouvelles, du mensonge des fakenews des réseaux sociaux, le pape François rappelle la primauté à donner à la dignité de l’être humain, au respect de la personne humaine. Même quand les faits sont avérés, si la communication vise à discréditer un être humain, la vérité n’habite pas cette communication, enseigne le pape.
N’est-ce pas le sens ultime de la reconnaissance revendiquée par la quête d’identité de l’Afrique ?
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