Le numérique, une chance pour l'Afrique

 (Article paru comme Dossier dans le magazine Afriquespoir, n° 104, octobre-décembre 2023, p. 14-21)

L’Afrique change. Du ciel invisible, elle est ciblée par des satellites. Sous les eaux et sous la terre, la fibre optique enlace et traverse le continent de part en part. Des antennes de téléphonie mobile criblent l’étendue du continent. Aux conflits fonciers entre villages ou pays s’ajoutent des conflits pour l’emplacement d’une antenne de téléphonie mobile, par exemple. Des villages se délocalisent même pour s’approcher non d’une source d’eau comme autrefois mais d’un réseau cellulaire, numérique.

L’Afrique change. Les aînés, eux qui les premiers ont « vu la tête du soleil » devront apprendre de leurs cadets l’usage du smartphone, de l’internet et des réseaux sociaux. La révolution numérique le veut ainsi. Voilà une chance pour vivre enfin la liberté, la dignité ou le développement. Le rêve peut désormais devenir une réalité accessible entre les mains de chacun. L’Afrique peut se créer un avenir reluisant, au goût et à l’image propre de ses enfants.

L’internet et les réseaux sociaux peuvent apporter ce changement si les Africains se renseignent bien, se forment et prennent au sérieux ces nouvelles technologies de l’information et de la communication. Sans se contenter du loisir et du plaisir, sans se droguer et se réduire à un nouvel esclavage. Le numérique peut aider à vivre mieux la relation à soi-même, à autrui et au monde, dans la paix et la cohésion entre communautés et avec l’étranger. Le numérique peut ainsi aider à innover dans l’économie, la politique ou la culture.

Une révolution technologique de la communication

L’histoire rappelle à l’humanité la naissance de l’écriture il y a 5000 ans. L’homme a appris à lire et à écrire, il a intégré la culture de l’oralité sans l’abolir. Puis, l’imprimerie est née en 1450 en Allemagne avec Johannes Gutenberg. La Bible, par exemple, qui était jusque-là copiée à la main par des moines, s’est répandue en plusieurs exemplaires. Au vingtième siècle, une troisième révolution s’est imposée avec l’invention de l’informatique. Et la naissance de l’internet et des réseaux sociaux serait une quatrième révolution. L’Intelligence Artificielle sera-t-elle une nouvelle révolution ? Le temps nous le dira. Dans les ordinateurs, la maîtrise des algorithmes permet à l’esprit humain de résoudre automatiquement, rapidement certaines tâches. Le calcul mental appris à l’école primaire devient facile. Plus facilement, les humains coopèrent en réseaux, se relient les uns aux autres.

A chaque révolution, l’être humain se découvre différent. Le progrès est irrésistible, irréversible. Au Concile Vatican II, les évêques réunis en 1963 à Rome autour du pape ont accepté l’idée selon laquelle les nouveaux moyens de communication sociale sont des dons merveilleux de Dieu, offerts à l’humanité pour le progrès et la communion. Le pape Paul VI a ainsi publié dans l’optimisme le décret conciliaire Inter mirifica (Sur les moyens de communication sociale).

Le philosophe et sociologue canadien Marshall Mc Luhan avait parlé dans les années 1960 d’un « village planétaire ». Aujourd’hui, avec le numérique, on pense même que la distance n’est pas réduite, qu’elle est plutôt en train de s’abolir tout simplement. Lorsque j’écris sur internet ou intervient dans un groupe WhatsApp, il faut un regard très spécial pour me localiser. A-t-on besoin de distinguer les humains par leur origine ? Ne sommes-nous pas frères et sœurs d’une même planète ?

Le développement technologique offre aujourd’hui le numérique pour permettre à l’Afrique de se présenter elle-même dans son identité et sa dignité, sans procuration, avec le cachet particulier de sa culture appelée à montrer ainsi la richesse de la même humanité créée par Dieu.

N’ayez pas peur du numérique, cette invention humaine

N’ayez pas peur du numérique ! Bien au contraire, profitez des « merveilleuses découvertes » des technologies nouvelles. Nous paraphrasons le pape Jean-Paul II, qui a lui-même paraphrasé le Christ Jésus parlant aux disciples qui le voyait marcher sur les eaux (Matthieu 14,27). Le 24 janvier 2005, la lettre apostolique du pape Jean-Paul II adressée aux responsables des communications sociales sous le titre Le progrès rapide écrit ainsi au numéro 14 : « N’ayez pas peur des nouvelles technologies ! Elles “font partie des merveilles” - “inter mirifica” - que Dieu a mises à notre disposition pour découvrir, utiliser, faire connaître la vérité, et aussi la vérité sur notre dignité et sur notre destin de fils de Dieu, héritiers de son Règne. »

Qu’est-ce que le numérique ? Des scientifiques donneront des définitions techniques et en discuteront. Ils distinguent, par exemple, entre le numérique et l’analogique. Le mot « numérique » est plus utilisé dans le monde francophone alors que la culture anglophone préfère parler du « digital ». Retenons que le numérique concerne surtout l’informatique, le monde des ordinateurs, des téléphones portables, mobiles et des réseaux sociaux...

L’Afrique peut accéder à ces nouvelles technologies au même niveau que le reste du monde. Les aînés de plus de trente ans se rappelleront que le téléphone portable est apparu en Afrique dans les années 90. Et aujourd’hui, dans la rue ou dans l’administration, on demande le numéro de téléphone, on indique ainsi que ce numéro fait partie de notre identité !

L’Afrique est bien au diapason du progrès technologique et scientifique. Après la révolution industrielle au dix-neuvième siècle, le transistor, inventé en 1948, a influencé la manière de communiquer dans le monde. La radiodiffusion en a profité. Auparavant, la radio était aussi grande qu’une armoire du salon. Puis est venue l’informatique dans les années 1980, avec les ordinateurs, inventés comme des jeux par de jeunes étudiants aux Etats-Unis d’Amérique. Des noms célèbres se rappellent à la mémoire : Apple, Macintosh, IBM, PC (Personal computer), Windows (de Bill Gates), Microsoft… L’internet naîtra dans les années 1990 lorsque des étudiants américains démocratisent ce que l’armée américaine utilisait depuis les années 1960. L’internet relie les ordinateurs et étend ainsi une « toile d’araignée », un grand réseau mondial, le world web wide, www.

La mondialisation dont l’humanité rêve depuis toujours peut trouver une forme concrète quand on peut même voir son interlocuteur du bout du monde sur Skype, WhatsApp, par exemple. On peut apprendre facilement et gratuitement une nouvelle langue avec Duolingo, par exemple. Un commerce conséquent se développe à l’échelle mondiale. Certains vendent du crédit de téléphone, des « unités ». L’Américain Bill Gates a vendu des logiciels, et il est devenu milliardaire aujourd’hui. Les moteurs de recherche Yahoo et Google vont révolutionner le monde grâce à la publicité. Et avec les réseaux sociaux d’aujourd’hui et leur progrès incessant, personne ne peut pronostiquer pour demain. Depuis 2004, Mark Zuckerberg, fondateur du réseau social Facebook, est aussi devenu l’un des plus riches de la planète. Depuis 2016, le réseau social chinois TikTok bat des records et devient même un enjeu politique entre la Chine et l’Europe.

Une chance pour les jeunes

Des statistiques montrent que les tranches d’âge de 15 à 24 ans sont généralement les plus gros consommateurs des réseaux sociaux et de l’internet. Les jeunes Africains ne sont pas en reste. Du 1er au 6 août, des jeunes du monde entier se sont retrouvés à Lisbonne au Portugal autour du pape François pour prier avec lui, « dire oui » à Dieu comme la Vierge Marie. Les jeunes étaient invités des cinq continents, comme l’a souhaité le saint pape Jean-Paul II, qui a initié ces rencontres en 1984. L’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, en tant que président du Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM), a accompagné les jeunes d’Afrique. Il s’est en particulier réjoui du fait que le visage de l’Afrique a été visible avec des drapeaux  flottant dans le ciel de Lisbonne. Mais le cardinal Ambongo a déploré sur Radio Vatican une faible participation de l’Afrique due au fait que les ambassades ont livré peu de visas aux Africains. Mais sur Facebook, Youtube, TikTok notamment et sur les radios et télévisions, les jeunes d’Afrique ont vibré avec le monde entier. Ils ont l’habitude de vivre ainsi les grands événements sportifs. Vive le numérique !

Un autre exemple est celui des neuvièmes Jeux de la francophonie tenus à Kinshasa du 28 juillet au 6 août 2023. La participation de pays francophone d’Europe et d’Amérique comme la Belgique, la France, la Suisse et le Canada a été faible. Les compétitions sportives et les compétitions culturelles non seulement ont été retransmises en direct sur les médias traditionnels, à partir de la Radio-Télévision Nationale Congolaise, mais les réseaux sociaux ont aussi bien pris le relais par des partages.

De partout dans le monde, le numérique peut donc bien outrepasser des barrières sociopolitiques. Le numérique est une chance pour l’Afrique et pour le monde, pour vivre l’égalité et la justice. Les temps changent. La fracture numérique se réduit voire s’abolit, paradoxalement. La pandémie du coronavirus en aura été aussi une meilleure illustration.

Numérique et coronavirus

En 2020, la pandémie du coronavirus partie de Chine s’acharne sur le monde. L’humanité se découvre logée à la même menace de mort. Des gouvernements édictent des lois de distanciation sociale. Le confinement obligatoire enferme dans la maison et dans la parcelle. Ainsi coupé de la relation humaine, le monde entier comprend l’importance vitale de la communication. Le meilleur média disponible s’impose alors : l’internet. Le smartphone et les réseaux sociaux vont devenir parfois les seuls recours pour la survie.

En Afrique comme ailleurs, on a recouru au numérique pour pallier le manque de relation physique. Des entreprises de téléphonie mobile fournisseuses d’internet, ont appliqué des prix « humanitaires », le dimanche, pour le culte des Eglises, par exemple. Des prêtres ou des communautés religieuses ont diffusé sur Facebook, YouTube ou twitter (désormais X) des messes quotidiennes. Le télétravail s’est instauré dans plusieurs milieux, et il est devenu désormais une facilité courante. Les conseils des ministres, les enseignements scolaires et universitaires se sont tenus « en ligne ». Des radios et télévisions ont diffusé des programmes réalisés par des producteurs travaillant dans leur chambre ou bureau plutôt que dans les stations de radio-télévision.

Même après la pandémie du coronavirus, le bénéfice du numérique a envahi aussi bien l’Afrique. Le commerce en ligne se développe. Les réunions peuvent se tenir en ligne, avec des logiciels comme Zoom ou Meet. On gagne du temps et de l’argent, on contourne les barrières des visas...

Le progrès rapide pour l’Afrique

A l’Université De Mazenod de Kinshasa, j’aime dire aux étudiants combien je les envie : ils disposent aujourd’hui de plus de facilité pour la recherche, la connaissance disponible. Combien je serais plus intelligent si j’avais étudié au temps du numérique donnant accès facile et rapide aux encyclopédies et dictionnaires, aux références bibliographiques et à tant de connaissances qui demandaient, dans les années 1980, des déplacements, du temps et de l’argent !

Et lorsque j’envisage le futur, je me sens heureux de pouvoir bénéficier du présent numérique sans complexe. A Kinshasa, par exemple, on voit se vulgariser, en 2023, les taxis commandés sur smartphone. Je suis heureux aussi de vivre l’ère de la Télévision Numérique Terrestre (TNT). La télévision analogique a été déconnectée. Je garde l’espoir de voir arriver bientôt aussi la radio numérique terrestre en Digital Audio Broadcasting (DAB+) déjà répandue ailleurs pour remplacer la radio en modulation de fréquence (FM). A Kinshasa et à Brazzaville, cette nouvelle technologie sera la bienvenue, car la bande FM est bien saturée et de nouvelles radios comme celle de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ne trouvent pas d’espace.

Réduire la fracture numérique

Le développement du numérique réduit la fracture numérique voire la supprime carrément en certains domaines entre ceux qui connaissent et ceux qui souffrent de la « précarité numérique ». La Banque Mondiale nous le fait constater. Dans les années 1990, des pays comme les Etats-Unis d’Amérique ou la France ont dénoncé dans leurs populations les inégalités sociales consistant dans l’accès et l’usage des technologies de l’information et de la communication. L’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ou le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) expliquent davantage ce « fossé », cette « fracture numérique » entre les pays du Nord et ceux du Sud, ou, dans le même pays, entre les zones urbaines et les zones rurales.

Après l’ère du transistor pour les radios captées en ondes courtes partout, la télévision et les émetteurs en modulation de fréquence, notamment, ont révélé cette inégalité entre les villes et les villages. L’alphabétisation a creusé davantage le fossé lorsque les langues locales ne sont pas toujours suffisamment promues dans l’audiovisuel. Avec l’internet, l’informatique, la difficulté semble tenir dans l’ignorance à manier les outils. Pourtant, dans tous les pays d’Afrique, on peut constater aussi l’usage rapide du téléphone portable. Beaucoup attribuent ce progrès à l’ouverture plus grande à la Chine et aux pays d’Asie, fournisseurs de matériel bon marché. L’Afrique se présente même désormais comme le continent numérique le plus en développement.

Il reste à dire la qualité des échanges. Ne réduit-on pas souvent ces moyens de communication au loisir et au plaisir immodéré ? Et les personnes captives de l’addiction ne sont-elles pas ainsi réduites à l’esclavage, incapables, par exemple, de se détacher du téléphone pour remplir efficacement des tâches professionnelles quotidiennes ? Les réseaux sociaux ne véhiculent-ils pas facilement l’injure, la haine et la violence ?

L’ère des réseaux sociaux et le défi des fakenews

Les nouvelles technologies sont des œuvres humaines et donc perfectibles, dynamiques, c’est-à-dire soumises au discernement, à la lutte entre le bien et le mal. Il faut toujours chercher à faire triompher la vérité sur l’erreur et le mensonge. Il faut aussi éviter la faute morale qui peut s’insinuer dans la volonté humaine de mal faire et de nuire. Si l’information profite de la rapidité de l’internet dans la collecte, le traitement et la diffusion, ne faisons-nous pas l’expérience quotidienne de la précipitation, de l’inattention mais aussi de la désinformation voulue pour tromper et pour nuire ?

Tout un domaine de recherche et d’action se développe ainsi pour distinguer entre l’information et l’intoxication, la désinformation, d’où l’expression contractée d’infox et la mieux connue fakenews, fausses nouvelles en anglais.

De plus en plus, on parle aussi des « sextapes », des images de l’intimité physique largement partagées sur les réseaux sociaux. La discrétion, la pudeur semblent difficiles à obtenir. Lors des événements publics comme les cultes dans les églises ou autres, on doit bien faire face à une foule de photographes amateurs. Avec l’internet et les réseaux sociaux, ces photos et vidéos seront facilement partagées. Parfois, on fera circuler des images sans toujours indiquer l’information importante qui explique le contexte de la photo. Et parfois encore, les images sont détournées, sorties de leur contexte. Elles trompent alors. Et le mensonge peut être ainsi entretenu pour faire sa publicité ou pour détruire la réputation d’un adversaire politique, par exemple.

Pour son progrès, l’Afrique doit écouter tous les signaux d’alarme et considérer tous les dispositifs de lutte contre la culture des fausses nouvelles qui ternissent l’humanité.

Le pape François revient souvent sur la désinformation comme l’un des péchés des journalistes. Le 24 janvier 2018, il a consacré son Message pour la Journée mondiale des communications sociales au thème de la vérité : « Dans un contexte de communication toujours plus rapide et au sein d'un système numérique, nous voyons le phénomène des ‘fausses nouvelles’, les soi-disant fake news. » C’est la désinformation qui fonctionne ici, présentant le mensonge sous la vraisemblance de la vérité. Par-dessus tout, « le drame de la désinformation est la discréditation de l'autre, sa représentation comme ennemi, jusqu'à une diabolisation susceptible d’attiser des conflits. »

Le pape retient ainsi la relation à l’autre comme le critère de la responsabilité et de la vérité. Se libérer du mensonge doit aller de pair avec la recherche de la relation, de la paix : « Un argument impeccable peut en fait reposer sur des faits indéniables, mais s'il est utilisé pour blesser quelqu’un et pour le discréditer aux yeux des autres, aussi juste qu'il apparaisse, il n'est pas habité par la vérité. »

L’idée du pape pour rappeler le respect de la dignité de chaque personne, de son intimité et de sa vie privée, nous pouvons l’appliquer aussi au niveau international, à la relation à l’Afrique discréditée dans les médias internationaux. Sans toujours accuser un complot contre elle, l’Afrique souffre bien de voir son image galvaudée au point de se mettre en doute elle-même. Le remède consiste justement aussi dans la bonne compréhension et le meilleur usage du numérique par le recours non seulement à des outils et procédures de protection contre les fakenews et la cybercriminalité, mais aussi et surtout dans la prise en main responsable des possibilités inédites offertes par le numérique lui-même. L’Afrique doit aussi mener une lutte interne.

Attention aux « brouteurs » et autres cybercriminels

Des pays africains comme le Nigeria, le Bénin et la Côte d’Ivoire sont réputés pour abriter des « brouteurs », des escrocs qui se cachent sous une fausse identité numérique et peuvent réussir à retirer de l’argent de comptes bancaires, à vous faire du chantage, à vous manipuler à tout propos sur internet. Les Etats, les banques et autres institutions, les individus et communautés doivent compter sur le contrôle, la surveillance, la régulation contre de subtils pièges.

Dans nos villes et villages, on connaît des manipulateurs et prestidigitateurs dits « magiciens », qui promettent de multiplier de l’argent pour vous ou qui vous vendent du diamant qui est en fait un tesson de verre ou de bouteille. Dans l’ère du numérique, les escrocs appliquent de nouvelles techniques d’arnaque. Et la rapidité du numérique peut plus facilement faire illusion avec des tours de passe-passe. Qui ne connaît ces histoires d’illustres inconnus qui disent vous aimer et vous promettent d’énormes sommes d’argent si vous leur en donnez d’abord un tout petit peu ?

Par l’hameçonnage ou phishing comme techniques de manipulation, de tromperie, qui volent votre identité pour frauder, les pirates peuvent pénétrer tout un système informatique ou un réseau de communication d’une administration et récupérer des données ou informations à caractère même personnel.

Mais qui sera assez vigilant pour savoir déjouer les pièges des « brouteurs » ? Ne faut-il pas se méfier et éviter tout usage d’internet et des réseaux sociaux ? Mais réussira-t-on ainsi de se déconnecter totalement, directement ou indirectement, de ce siècle du numérique ? N’est-il pas plus sage de chercher plutôt à se former, à s’initier convenablement pour aborder l’internet les yeux ouverts ? Beaucoup ont peur de Facebook soupçonné de voler votre identité, votre esprit et votre âme et d’exposer votre nudité en public. La peur est vaincue le jour où on leur explique les avantages et qu’on les aide à créer un compte, à le paramétrer correctement de sorte à être les seuls à y publier du contenu sur leur journal.

La culture médiatique comme parade

Il n’y a pas meilleure arme contre les brouteurs que l’esprit critique de l’être humain lui-même. Il faut être vigilant pour déjouer les pièges des cybercriminels. Mais la vigilance s’apprend par l’éducation, la culture. Ne pas se faire d’illusion soi-même, ne pas croire n’importe qui ni n’importe quoi, telle est la règle suprême. La compétence scientifique et technique est réservée à quelques spécialistes, mais tout esprit peut grandir dans la connaissance du monde et de l’humanité.

Comme nous l’a appris le Canadien Marshall Mc Luhan, les médias sont des prolongements techniques de l’homme, dont ils étendent, multiplient, accélèrent les sens. L’homme est responsable plus que les instruments et les techniques. L’homme restera maître des moyens mis à à disposition ou qu’il se donne. La culture médiatique doit se baser sur cette responsabilité personnelle. La formation commence par l’usage élémentaire, lorsqu’on se familiarise avec les outils. On doit apprendre de même avec les médias en ligne. Un nouveau comportement s’acquiert ainsi pour savoir communiquer avec l’autre.

Le prêtre français Pierre Babin, missionnaire oblat de Marie Immaculée, avait publié en 1978 le livre intitulé Autre homme, autre chrétien à l’âge électronique. Le prêtre mort en 2012 aurait pu écrire en ses dernières années : Autre homme, homme chrétien à l’âge numérique. Ses disciples nous l’apprennent. Pierre Babin a fondé en 1971 à Lyon (France) le Centre de Recherche et d’Education en Communication (CREC) visant à former à la culture médiatique des acteurs de l’Eglise et d’autres. Une équipe internationale de formateurs est disponible pour le service des communautés et institutions qui le demandent : écoles, diocèses, congrégations religieuses, médias, par exemple. On peut leur écrire sur : https://www.crecinternational.org/?lang=fr

Fact-checking et régulation du numérique

La culture médiatique se complète, au niveau social et institutionnel, par des mécanismes de vraie chasse aux « brouteurs ». L’éducation aide à devenir responsable, critique, au niveau individuel. Mais la relation à l’autre exige aussi l’application de règles d’éthique, de déontologie et de droit. L’éthique et la déontologie préviennent et protègent, mais la justice et la police doivent réprimer pour réguler en faveur du bien commun.

Le 13 avril 2023, l’Agence France Presse a démonté les « fake photos » des réseaux sociaux montrant le pape François en train de se marier. Ces photos sont fausses, elles ont été générées par l’intelligence artificielle de l’application Midjourney. Depuis 2017, en superposant des sons et des vidéos d’une certaine manière, la technique du deepfake obtient, grâce à l’intelligence artificielle, une synthèse multimédia qui prête à quelqu’un des paroles qu’il n’a jamais tenues alors même que vous entendez sa voix et que vous voyez à l’écran son visage et ses lèvres dire les mots qu’il n’a jamais prononcés en réalité. La manipulation s’étend ainsi au-delà des fakenews. Le respect de la vie privée et le droit à l'image sont mis à l’épreuve.

Contre de telles dérives du numérique, l’indignation légitime monte en même temps qu’une certaine admiration pour les prouesses techniques. Au-delà de la morale, des parades existent heureusement aussi bien techniques que réglementaires et juridiques.

En effet, un service public se développe à travers plusieurs médias pour exercer une sorte de police des mœurs. Le fact-cheking vérifie si une information est vraie ou fausse. Des médias écrits ou audiovisuels et des sites internet comme AFP Factuel consacrent des rubriques pour dénoncer les fakenews en révélant, par exemple, l’origine d’une vidéo ou d’une image faussement attribuée à un événement ou à une personne.

Et sans attendre l’application de peines prévues par la loi, des organisations des journalistes et autres communicateurs font ainsi de l’autorégulation. Elles prennent toutes les précautions pour appliquer un code d’éthique et de déontologie invitant au respect de la vérité et de la dignité humaine et à la liberté des journalistes eux-mêmes. La lutte contre les appels à la haine raciale ou ethnique s’inscrit ainsi dans l’autorégulation.

En Afrique existe, par exemple, une Alliance africaine de fact-cheking ainsi que d’autres initiatives telles que Africa Check, Code for Africa, PesaCheck. En RDC existe notamment le site internet Balobaki (https://balobakicheck.cd/). A Kinshasa, une association des journalistes en ligne a organisé récemment une session pour lutter contre la haine tribale. En plus, le site internet de l’Agence Congolaise de Presse (ACP) a ainsi la rubrique « Débunkage » (https://acp.cd/sujet/debunkage/) présentée comme la « brigade fact-checking de l’ACP).

De tels efforts relèvent de l’autorégulation par les médias eux-mêmes en vue d’assainir leur profession, de balayer devant leur porte. Mais une autorité publique doit s’occuper de la voie publique pour la régulation. Des pays du monde tentent aussi d’élaborer des règles pour contrôler et punir les délits commis via le numérique. En République démocratique du Congo, le Ministère du numérique a été récemment créé, distinct du Ministère des Postes et Télécommunications. Ce nouveau Ministère fixe notamment les règles applicables à la cybersécurité et aux modalités de lutte contre la cybercriminalité. La régulation concerne la détention ou l’exploitation technique mais aussi le contenu des échanges.

Ce Ministère a produit un code du numérique signé par le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi le 13 mars 2023. Ce code précise ainsi l’existence et les attributions d’une Autorité de Régulation du Numérique et d’un Conseil National du Numérique. Le code concerne ainsi les fournisseurs d'accès internet, les services informatiques en nuage (cloud), les places de marché, les boutiques d'applications, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus, les plateformes de banque en ligne, les technologies financières, de voyage, de transport, d'hébergement et les moteurs de recherche.

On sait désormais qu’on peut être poursuivi lorsqu’on insulte quelqu’un dans un commentaire sur les réseaux sociaux ou lorsqu’on a « partagé » une fausse information ou une image intime sans l’autorisation de la personne concernée. Voici ce que stipule l’article 195 du code numérique :

Est interdit, le traitement des données à caractère personnel ayant trait aux informations raciales, ethniques, aux opinions politiques, aux convictions religieuses ou philosophiques, aux statuts des réfugiés et des apatrides, à l'appartenance syndicale, à la vie sexuelle ou plus généralement celles relatives à l'état de santé de la personne concernée.

La loi punit ainsi le harcèlement par le biais d'une communication électronique ou la négation, la minimisation grossière, l’approbation ou la justification des crimes internationaux ou des violences sexuelles.

La communication numérique sauvera l’Afrique

Un malaise certain s’empare d’un pays lorsque survient une panne sur la fibre optique ou que la téléphonie cellulaire ne peut fournir de connexion internet. Et la situation est pire encore lorsque, pour une raison de sécurité ou une autre, les autorités gouvernementales suspendent l’internet. Le malaise est ressenti par des individus, mais en réalité, c’est la société entière qui peut voir paralysés certains de ses services vitaux.

Considérons que si l’Afrique doit miser sur la communication en vue de gagner le combat de son émancipation et de sa cohésion, le bon usage du numérique est sans doute le meilleur atout du moment. Assurer la communication par le numérique dans un pays, c’est assurer la communion et la cohésion sociale.

Vis-à-vis de l’étranger, l’Afrique dispose aujourd’hui de plus de liberté et de possibilité de présenter son point de vue et son image. Tant que les moyens de communication puissants étaient installés uniquement en Occident, les journalistes et autres réalisateurs si éloignés de l’Afrique commettaient l’erreur de parler souvent d’une réalité qu’ils ne maîtrisaient pas.

La question importante reste de savoir ce que l’Afrique communique en ligne. Les réseaux sociaux semblent se réduire à des lieux d’amusement ou d’incitation à la haine ou à l’injure.

Pourquoi attendre que d’autres parlent de votre village lorsque vous pouvez vous-même le faire avec des images que vous voulez et comme vous voulez, en créant vous-même un blog, en ouvrant gratuitement un compte Facebook, YouTube, Instagram, X ou TikTok  ? Vous disposez d’un smartphone pour envoyer ou recevoir de l’argent en monnaie électronique, montrez-nous aussi votre rue, votre quartier, votre village. Cessez de vous plaindre d’être absent, ignoré ou mal compris des autres. Si votre rue manque sur googlemaps, apprenez comment faire et ajoutez-la. Google compte sur vous et vous en laisse la liberté. Et le monde entier pourra voir votre rue comme toute autre rue d’ailleurs, sous l’aspect que vous souhaitez.

Afrique, lève-toi, et par un clic du numérique, parle de toi et des autres.

 

Jean-Baptiste Malenge

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