Vitesse et priorité à Kinshasa
Au cœur des jours et des nuits
Mon
neveu avait tenu à s’assurer que la voiture que je lui promettais en cadeau
aurait des freins, de vrais freins. Il était prudent. Après tout, quel plaisir
auriez-vous avec une voiture qui démarre sans jamais pouvoir s’arrêter ?
Mon
neveu avait cinq ans. Il en a une vingtaine aujourd’hui. Vous voudriez savoir
ce qu’il pense aujourd’hui de la vitesse, des freins et des voitures. Mon neveu
a gardé l’amour des véhicules. Il a même fait plus. Il a décroché un permis de
conduire, chose facile à obtenir, semble-t-il, et, mieux encore, il est
chauffeur de taxi-bus à Kinshasa.
Vous
voudriez savoir comment mon neveu se comporte au volant d’un véhicule sur les
routes au macadam amélioré de la capitale. Mon neveu, je ne le reconnais pas
toujours. Quand l’occasion se présente, il garde pour son oncle une place dans
la cabine du taxi-bus, tout à côté de lui. Et je peux l’observer de la tête aux
pieds, des coups d’œil aux coups de frein. Il use rarement des freins. Quand il
a démarré, il ralentit rarement. Il use surtout des coups de klaxon. Malheur
aux piétons qui passent sous ses yeux. Les coups de klaxons répétés et
insistants disent que les piétons n’ont pas le droit ni aucune raison de
traverser la chaussée aménagée pour les véhicules.
Bref,
je ne reconnais pas mon neveu. Il n’a plus cinq ans, c’est vrai. Il a gardé ses
rêves d’enfance, sans doute, mais il doit avoir oublié ses peurs. La peur de la
vitesse, notamment. Mon neveu m’a expliqué un jour les exigences de son métier.
Il m’a dit qu’un chauffeur de taxi-bus, à Kinshasa, doit savoir rouler vite,
tourner vite, s’arrêter vite, redémarrer vite. Au bout de la journée, il doit
savoir compter son argent, et rendre compte au patron en bonne et due forme,
c’est-à-dire avec un paquet conséquent d’argent. Et ainsi le chauffeur de
taxi-bus peut s’assurer un lendemain. Je comprends bien : le patron n’est
pas une caritas de l’Eglise catholique pour partager aux pauvres.
Et je
comprends donc pourquoi mon neveu a perdu ses peurs d’enfance : à cause de
tout l’environnement de Kinshasa. La ville a son rythme. On va toujours vite,
de plus en plus vite. On aime vite, on se sépare vite, on passe vite. On
grandit vite, on meurt vite, on passe vite. Les étrangers peuvent s’en rendre
compte sur les routes. Les piétons prudents ne devraient pas se fier au passage
pour piétons. Les chauffeurs ne vous reconnaissent aucune priorité. Les
étrangers peuvent se rendre compte aussi dans un magasin. Le vendeur sert le
dernier venu. Le dernier venu est pressé, il a la priorité sur les premiers
arrivés. A Kinshasa, chacun revendique la priorité.
L’écrivain
Charles Djungu Simba a écrit quelque part que le Kinois se précipite pour
monter dans un avion alors que sur la carte d’embarquement, il lit bien qu’une
place lui est attribuée, lui est réservée. Le Kinois ne tient compte d’aucune
réservation, d’aucune priorité. Le Kinois se dispute tout, se précipite
partout.
J’ai
raconté un jour à mon neveu ce qu’un oncle à moi m’a raconté un jour. Tous les
oncles de tous les villages d’Afrique racontent d’ailleurs la même histoire à
leurs neveux. C’est l’histoire du lézard. Cette bête court tellement vite qu’il
lui arrive souvent de dépasser sa tanière, le trou qui l’abrite et le cache. Et
lorsque le lézard qui est poursuivi tente de revenir, il est parfois trop tard.
Jean-Baptiste MALENGE
Kalunzu
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