Le pagne de ma mère



Au cœur des jours et des nuits

Le pagne de ma mère


Le copain qui s’accrochait à sa mère, nous disions qu’il s’accrochait aux genoux de sa mère. Un gamin de trois ou quatre ans doit apprendre à jouer avec les copains plutôt que de rester tout le temps avec sa maman. Nous aurions dû utiliser une autre expression. Nous aurions dû dire que le garçon s’accrochait au pagne de sa mère.
Le pagne de la maman, chacun de nous y tenait peut-être, mais personne n’en prenait conscience ni n’aurait pu se l’avouer. Il fallait attendre le temps pour nous rappeler combien, à tout âge, un homme tient au pagne de sa maman. Les mères de l’âge de ma mère n’étaient sans doute pas fondamentalement différentes des autres mères d’autres époques et d’autres pays. La différence est peut-être survenue aujourd’hui. Des femmes portent des pantalons au lieu des pagnes. Des Occidentaux prétendent même ignorer jusqu’à la différence physique entre un homme et une femme. Des Occidentaux prétendent même qu’un homme peut épouser un homme et qu’une femme peut épouser une femme. Et puisque les Africaines et les Africains aiment imiter les Occidentaux, il devient difficile, parfois, de distinguer, dans la rue, un homme d’une femme en pantalon.

Heureusement pour nous, aucun homme de mon pays ne porte de pagne, dans la vie publique. Jusqu’à tout récemment, encore, dans certaines tribus, des chefs de village devaient porter des pagnes. Ces chefs, m’a-t-on expliqué, ne gomment pas la différence sexuelle. Ils se placent au-delà de la différence entre un homme et une femme. Un chef est un homme fort, mais il a aussi le devoir de représenter la force de la maternité.
Je connais aussi des hommes qui portent un pagne à chaque fois qu’ils sont malades et qu’ils doivent garder le lit. A l’hôpital ou à la maison. Ils l’exigent eux-mêmes. Les psychologues nous diront si ces hommes ne portent pas le pagne pour se sentir enfant et drapé dans le pagne de leur mère. Comme je l’aimais beaucoup, à quatre ans.
Un pantalon de la maman n’aurait jamais eu d’effet sur mes quatre ans, tant que je m’en souvienne. Comment aurais-je pu trouver, avec ma mère, le contrat affectif qui me calmait certains soirs ? Mon cœur se fendait toujours au moment où ma maman s’apprêtait à me baigner. Les petits garçons n’aiment pas volontiers prendre bain, on me l’a dit récemment, et je confirme. Me passer du savon sur les yeux ou sur les petites blessures que portent toujours les garçons dans les pieds, cela ne cause aucun plaisir, on s’en doute bien. Et l’eau fraîche pendant la saison sèche, personne, ni aucune fille ni aucun garçon, personne ne peut avouer l’aimer sur sa peau.
Je négociais donc avec ma maman pour que toute la peine de mon cœur, elle l’enveloppât, et je tenais à sentir sur ma peau toute l’affection de son cœur. J’avais fait l’expérience que le pagne de ma maman me donnait ce sentiment sur tout mon corps et dans le fond de mon cœur. Ma mère le savait si bien, je l’avais imploré plusieurs fois en pleurant. Je demandais de porter son pagne. Et elle a accepté. Et chaque soir, au moment de me plonger dans le bassin d’eau, elle apprêtait un pagne. Et la vue du pagne me passait déjà comme un baume au cœur, comme une douce pommade sur tout mon corps. Le pagne de ma mère sur mon corps me calmait d’avance, c’était toute la tendresse de son ventre et de ses bras autour du bébé que j’avais été.
Je comprends bien aujourd’hui pourquoi, à chaque fois qu’un homme de ma tribu éprouve une grande douleur, il s’écrie en disant « maman ! ». Je comprends pourquoi un tel homme ne vous pardonnera jamais si vous insultez sa mère. Je comprends aussi pourquoi les chrétiens ne se contentent pas de l’amitié de Jésus, le Seigneur. Dans leur cœur, les chrétiens adoptent Marie comme mère.
Dans les pagnes de Marie, ils jettent leur affection d’enfant malheureux ou heureux.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com

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