Afrique, lève-toi et parle



Afrique, lève-toi et parle
Eglise d’Afrique et communication après Africae munus



Texte de la conférence prononcée le 14 février 2013 à Lubumbashi au colloque organisé sur l’exhortation apostolique Africae munus du pape Benoît XVI, pour les vingt-cinq ans du théologat saint François de Sales.



Dans la conclusion de l’exhortation apostolique postsynodale Africae munus, le pape Benoît XVI interpelle l’Afrique avec les paroles adressées à l’aveugle Bartimée par la foule et des disciples : « Lève-toi. » (Mc 10,49). Le pape paraphrase : « Lève-toi, Église en Afrique […] parce que le Père céleste t’appelle[1]. »
Je voudrais à mon tour paraphraser le Saint-Père et dire : « Eglise en Afrique, lève-toi et parle. » Je m’autorise cet exercice pour une double raison. D’abord, parce que le pape retient le monde de l’information et de la communication parmi les quatre champs d’apostolat pour la nouvelle évangélisation de l’Afrique, à savoir la présence de l’Eglise, le monde de la santé, le monde de l’éducation et le monde de l’information et de la communication.
Ensuite, je m’autorise une interprétation parce que la communication a déjà occupé le premier Synode des évêques pour l’Afrique, en 1994, de sorte qu’il est permis de penser qu’un tel sujet récurrent est décidément prioritaire pour l’évangélisation de l’Afrique et la mission dans le monde.
L’Eglise sera le sel de la terre et la lumière du monde par les fruits de la charité que sont la réconciliation, la justice et la paix. Mais encore faut-il l’exprimer, le dire pour éviter le malentendu. Il faut aussi le communiquer explicitement parce qu’il ne suffit pas du silence des armes, par exemple, pour avoir la paix. Le silence est d’or, la parole est d’argent, dit certes l’adage. Dans son Message pour la 46ème Journée mondiale des communications sociales, en 2012, le Saint-Père nous a plutôt recommandé l’articulation entre silence et parole comme chemin d’évangélisation[2].
Il faut bien une parole pour guérir et pour réconcilier, comme celle de Jésus qui a dit à Bartimée : « Va, ta foi t’a guéri. » Et comme la parole d’absolution du prêtre lors du si bien nommé sacrement de la réconciliation. Le prêtre nous dit souvent : « Va en paix. »
Je voudrais ici relever cette importance de la parole, de la communication affirmée par Africae munus, aussi bien dans le texte de l’exhortation apostolique lui-même que dans le contexte de sa genèse et de son déploiement ultérieur et possible. Je le ferai donc sur la base du texte dans son contexte, à partir des documents qui lui donnent naissance et sens, particulièrement l’exhortation postsynodale du pape Jean-Paul II Ecclesia in Africa du premier Synode pour l’Afrique, puis l’instrumentum laboris, le document de travail préparatoire aux travaux du deuxième Synode proprement dit et, enfin, les propositions soumises au Saint-Père à l’issue des travaux.
Je formulerai quelques prolongements comme des résonances dans la lecture du texte. Je ferai allusion à l’exigence de la vérité et au sort des médias catholiques en RDC, qui attendent encore que l’Eglise les entretienne, leur apporte le soin que mérite un des quatre champs de l’apostolat pour la nouvelle évangélisation.

1.   Le verbe et le sujet
Inutile de rappeler que Jésus est le Verbe de Dieu fait chair. Il est verbe et sujet à la fois. A sa Parole proclamée et entendue chaque jour répond le verbe de l’Eglise. Et nous souhaiterions qu’il en soit de même de nos paroles de chrétiens proférées dans le monde.
Mais considérons le texte concernant Bartimée, en Marc 10,46-52, texte auquel le pape se réfère pour l’Afrique. Bartimée est aveugle. Il n’est pas sourd. Il entend que c’est Jésus de Nazareth qui passe. Et ce n’est pas la parole qui manque. Au contraire, Bartimée en abuse même. Il crie sa demande de miséricorde, de guérison. Il crie même de plus en plus fort, et on le lui reproche. La force de son cri finit par arrêter l’attention de Jésus qui le fait appeler. C’est alors qu’on lui dit : « Courage, lève-toi, il t’appelle. » Et l’on s’aperçoit que Bartimée ne manque pas non plus de jambes pour courir. « Il sauta sur ses pieds ». Et il sait parler, en son nom propre. Il n’avait pas besoin qu’on l’invite au courage. Il entend bien Jésus lui demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Et il répond sans ambages : « Maître, fais que je voie de nouveau. » (Mc 10,51)
Bartimée n’était ni sourd ni muet. Rapprochons son cas avec celui d’un sourd-muet. Le même évangile de saint Marc parle de la guérison d’un sourd-muet au chapitre 7, versets de 31 à 37. On pria Jésus de poser la main sur celui qui était sourd et avait de la peine à parler. Lisons : « Jésus l’emmena seul avec lui, loin de la foule ; il mit ses doigts dans les oreilles de l’homme et lui toucha la langue avec sa propre salive. Puis il leva les yeux vers le ciel, soupira et dit à l’homme : ‘Effata !’ –ce qui signifie ‘Ouvre-toi !’ Aussitôt, les oreilles de l’homme s’ouvrirent, sa langue fut libérée et il se mit à parler normalement. » (33-35) Dans la suite, la nouvelle se répandit malgré l’interdiction de Jésus et même au fur et à mesure de l’interdiction. Et les gens disaient : « Tout ce qu’il fait est vraiment bien ! Il fait même entendre les sourds et parler les muets ! » (37)
On notera que le sourd-muet n’a pas de nom comme l’aveugle Bartimée. L’exégète Roger Wawa comprend qu’il s’agit ainsi d’un personnage symbolique représentant tout païen et tout homme de partout et de toujours appelé à s’ouvrir au Christ. L’expression ‘Effata’ est utilisée justement sur les catéchumènes lors du baptême. Les oreilles s’ouvrent pour écouter l’évangile, et la langue se délie pour proclamer les merveilles de Dieu. Roger Wawa estime aussi que « la faculté d’écouter tout comme l’usage de la parole sont fondamentaux dans l’existence humaine[3] ».
Les philosophes tiennent le langage pour le propre de l’humain. Le langage devient ainsi le gage et la preuve de l’humanité pleine. Aristote nous l’a dit. Wittgenstein rappelle le lien intrinsèque et insécable entre langage et pensée. Francis Jacques renseigne que « la capacité de communiquer sur la communication est primordiale pour l’établissement de relations sociales réussies[4] ».
Nous sommes ainsi une religion du verbe. Mais le verbe ne va pas sans le sujet. Parler de la parole de Dieu voire de la parole humaine est gage de relations réussies entre humains ou entre l’homme et Dieu. On peut comprendre d’autant plus que l’Eglise ait inscrit la communication dans la réflexion lorsqu’il s’agit d’envisager le sort de l’Eglise en Afrique en un temps où prolifèrent des paroles qui revendiquent chacune le dernier mot ou prétendent à la vérité ultime sur le bonheur de l’Africain. On parle peut-être trop. On écoute trop peu. Il faut prescrire le silence à et sur l’Afrique, par certains moments.
On observera que Jésus guérit le sourd-muet dans la discrétion, avant la proclamation, contrairement à l’aveugle Bartimée qui va crier de manière sans doute assourdissante. Bartimée n’écoutait pas. Il avait besoin qu’on l’interpelle pour lui faire entendre l’appel du Christ. Comment peut-on parler sans avoir écouté ?
Le rapprochement avec le sourd-muet de la Bible nous explique pourquoi le Saint-Père félicite l’Afrique pour avoir reçu, accueilli la Parole de Dieu. La Parole est centrale dans la Bible, depuis le commencement. Pour avoir écouté, l’Afrique doit et peut parler. Pourquoi faut-il attendre les médias occidentaux pour savoir ce qui va mal en Afrique ? Pourquoi faut-il attendre les organisations non-gouvernementales occidentales pour connaître les joies et les peines de l’Africain ? Pourquoi croire que seule la « communauté internationale » peut savoir ce qui est juste et utile, injuste ou inutile pour l’Afrique ? Pourquoi l’Afrique ne donne-t-elle pas elle-même ses bonnes nouvelles sans citer les médias occidentaux ? Pourquoi, de la guerre du Kivu, dans l’est de la RDC, la cinquantaine des chaînes de télévisions diffusées dans la capitale Kinshasa, publiques et privées, ne montrent-elles que des images venant des télévisions étrangères ?
Les deux Assemblées spéciales du Synode des évêques invitent ainsi l’Afrique à parler. Au chapitre du diagnostic posé sur l’Afrique et l’Eglise en Afrique, il s’avère bien que l’Afrique souffre aussi de surdité et de mutité.
Quel que soit son handicap, c’est par la parole ou un geste parlant que le malade dira au moins son état de santé. Pour dresser le bilan de l’action évangélisatrice de l’Afrique et sa rencontre effective avec le Christ, il faut que l’Afrique parle. La foi, on ne la professe pas par procuration. Ainsi, lorsque les chefs juifs interrogèrent les parents de l’homme aveugle de naissance qui venait d’être guéri par l’homme appelé Jésus, les parents n’ont eu qu’à répondre : « Il est d’âge à répondre lui-même ! » (Jean 9,21) L’Afrique a l’âge de répondre elle-même, si elle a jamais eu des parents ou des parrains légitimes dans son rapport à l’homme Jésus ! L’Afrique est sujet de son verbe. S’il faut donc prescrire le silence à et sur l’Afrique, par certains moments, pour se préparer ainsi à écouter, il faut bien que l’Afrique prenne ensuite la parole, use de son droit à la parole.

2.   Des leçons du premier Synode

Le chapitre VI de l’exhortation postsynodale Ecclesia in Africa consacre les numéros 122 à 126 à la communication et recommande de suivre le Christ, communicateur par excellence, sans sous-estimer les formes traditionnelles de la communication au profit des médias modernes qui demandent eux-mêmes à être évangélisés. Les médias constituent un monde, une culture. Le Synode insiste sur les aspects moraux, notamment contre la violence et la pornographie. L’Eglise doit disposer de moyens de communication sociale propres et en faire un meilleur usage en vue du salut. Enfin, les communications sociales sont destinées, comme d’autres domaines de l’Eglise, à favoriser la solidarité, la collaboration.
C’est ainsi le décret conciliaire Inter mirifica qui est relu dans le contexte de l’Afrique. Le fil est noué avec la pensée de l’Eglise des dernières décennies. La première Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, en 1994,  appelait d’ailleurs ainsi une deuxième Assemblée. Le thème de la communication y serait poursuivi pour en relever davantage l’importance pour la nouvelle évangélisation.

Sur l’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000, le premier Synode spécial des évêques pour l’Afrique s’est voulu, en effet, comme un Synode de résurrection et d’espérance[5]. Dans son encyclique sur la mission, le pape Jean-Paul II a écrit que le monde de la communication est le premier aréopage des temps modernes[6]. Pour l’Afrique, les moyens de communication sociale devaient bien figurer parmi les aspects de la mission évangélisatrice qui s’imposait à l’Eglise, avec l’évangélisation, l’inculturation, le dialogue, la justice et la paix.

Le premier Synode a notamment fustigé « l’invasion des médias » parmi les problèmes de l’Afrique. Ces problèmes sont à résoudre pour faire avancer l’évangélisation et pour voir les chrétiens devenir des témoins fidèles du Christ. Les moyens de communication sont réputés pour être des moyens d’évangélisation mais aussi des moyens d’une nouvelle culture qu’il faut évangéliser[7].

En 1994, les Pères synodaux ont été ainsi mis en face du triste fait que « les pays en voie de développement, au lieu de se transformer en nations autonomes, préoccupées de leur progression vers la juste participation aux biens et aux services destinés à tous, deviennent les pièces d'un mécanisme, les parties d'un engrenage gigantesque. Cela se vérifie souvent aussi dans le domaine des moyens de communication sociale qui, étant la plupart du temps gérés par des centres situés dans la partie nord du monde, ne tiennent pas toujours un juste compte des priorités et des problèmes propres de ces pays et ne respectent pas leur physionomie culturelle ; il n'est pas rare qu'ils imposent au contraire une vision déformée de la vie et de l'homme et qu'ainsi ils ne répondent pas aux exigences du vrai développement[8] ».
Ce constat ne vaut-il pas en 2013 ? En décembre 2012, l’agence de presse Syfia Grands lacs a révélé, sous la plume de Dina Eseka et Maurice Mulamba, que « lorsqu’il s’agit de s’informer sur la situation politique de la RDC, des Lushois suivent davantage les radios et télévisions étrangères, jugées plus crédibles et plus indépendantes » et que « partisans, les médias locaux, eux, sont suivis pour la musique, le sport et les séries[9]… »
De Dakar à Kinshasa et à Lubumbashi, la radio la plus suivie par les intellectuels et autres leaders d’opinion et décideurs francophones est sans conteste R.F.I. (Radio France Internationale)… C’est peut-être pour cela que le ministre national de la communication de la RDC, Lambert Mende, peut aller jusqu’à convoquer des points de presse pour répondre à une information diffusée sur R.F.I. A plusieurs reprises, le ministre a réussi à « redresser » certaines informations défavorables au pouvoir. La « radio mondiale » est obligée à l’équilibre, à diffuser le point de vue du Gouvernement sur des propos de l’Opposition. R.F.I. se voit peu à peu désacralisée de son aura d’oracle, mais la radio conserve son privilège de fixer l’ordre du jour, le thème de ce dont il faut parler…
Mais qui nous oblige à écouter cette radio ? Personne. Or, si l’on souhaite autre chose que la musique et la danse, la blague, le sport, les cantiques et prêches des pasteurs ou encore des programmes (frauduleusement) importés, on ne peut suivre longtemps nos radios et télévisions locales et nationales. Ou plutôt, il faut dire que les pays du nord dont parle Ecclesia in Africa ont créé en nous des besoins, puis une culture, une mentalité qui nous fait désirer leurs produits à tel point que nous les croyons indispensables. A nous de juger, par exemple, de notre implication dans la Francophonie.
Il est vrai que sur R.F.I., au moins, on entend parler un bon français alors que les médias kinois, par exemple, se préoccupent de moins en moins de la maitrise des langues. Dans un laisser-aller général, ils cultivent plutôt un mélange du français et du lingala, s’enfoncent dans ce qu’Achille Mbembe appelle la « vernacularisation du français », s’orientent vers cette « culture créole caractéristique des grandes métropoles africaines[10] ».
Mais qui nous oblige à écouter R.F.I. et les autres médias étrangers, nous qui ne sommes pas de ces leaders africains qui attendent le soutien politique ou économique de partenaires et parrains étrangers ? Dix-huit ans après Ecclesia in Africa, le changement n’est pas encore survenu et il n’est pas annoncé. Les appels du Synode n’ont pas été entendus. La même mentalité persiste : aliénée, afropessimiste, défaitiste.
Il s’agit aussi et surtout du manque de professionnalisme, qui engendre le manque de confiance en soi, cette autre maladie dont l’Afrique doit bien guérir. L’Eglise propose le communicateur Jésus comme guérisseur.
La plus pertinente réponse de l’Eglise d’Afrique à l’appel du premier Synode pour l’évangélisation du monde de l’information et de la communication sera sans doute la naissance prochaine d’une Agence de presse catholique africaine. Elle est en préparation depuis 2007, sous l’initiative du Symposium des Conférence Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM). L’Agence de presse entend donner la parole aux Eglises d’Afrique afin de raconter elles-mêmes aux Africains et au monde la vie de l’Eglise en Afrique. La nouvelle agence sera-t-elle assez professionnelle pour tenir la concurrence avec les médias autrement puissants et riches du nord qui dictent leur voix sur l’Afrique ? Si un certain crédit est d’avance accordé à un tel service de l’Eglise, comment l’honorer durablement sans s’aligner sur la liste de bien des initiatives mort-nées, menées sur le continent sans gages pour le lendemain ?

3.   Le guerrier héros
Le thème et l’opportunité de la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques semblent s’être imposés par l’urgence de l’actualité africaine : justice, paix et réconciliation. On se rappelle, par exemple, que le « premier Synode » se tient au moment où le Rwanda est à feu et à sang. La Radio mille collines deviendra célèbre (et proverbiale) pour son rôle présumé dans le génocide rwandais. La paix, la justice et la réconciliation ou le contraire peuvent venir de la communication, d’après l’observation qu’en donnent encore les nouvelles du monde et d’Afrique.
Le document de travail (Instrumentum laboris) pour la deuxième Assemblée du Synode des évêques fait remarquer déjà que « l’investissement de l’Église dans les médias, la radio notamment, n’a pas cessé d’augmenter ; ils sont de puissants moyens pour communiquer la réconciliation, la justice et la paix comme dimensions de la Bonne Nouvelle du salut[11] »
On se rappelle aussi que les années 1990 virent de nombreux pays organiser des « conférences nationales », moments de recherche de justice, de paix et de réconciliation. L’Eglise catholique y joua un rôle prépondérant dans la participation de la Société civile.
La première Assemblée Spéciale avait comparé l’Afrique à la victime de bandits, laissée moribonde au bord du chemin (cf. Lc 10, 25-37). Un Samaritain a secouru le blessé de la Bible. Citant la Tradition, Benoît XVI relève, dans Africae munus, que Jésus est ce bon Samaritain et l’unique médecin des blessures et source de l’espérance. Mais qui est ce bandit qui malmène l’Afrique ? Le pape écrit : « La mémoire de l’Afrique garde le souvenir douloureux des cicatrices laissées par les luttes fratricides entre les ethnies, par l’esclavage et par la colonisation. Aujourd’hui encore, le continent est confronté à des rivalités, à des formes d’esclavage et de colonisation nouvelles[12]. »
De la première à la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques, soit de 1994 à 2009, l’Instrumentum laboris constate qu’ « une culture de violence, de division, du guerrier héros s’est installée suite aux conflits armés[13] ». Il s’agit d’une culture bien plus que d’un personnage, le guerrier héros emprunté à la philosophie hégélienne. Pour le philosophe allemand Hegel comme pour Machiavel, la violence est inhérente à l’action politique et le guerrier, qui défend l’Etat, le bien universel, est un héros.
On se rappelle, en effet, que les années 1990 furent celles des rébellions et autres guerres civiles dans bien des pays. L’instrumentum laboris avait indiqué le personnage voire la culture du guerrier héros :
« La soif du pouvoir provoque le mépris de toutes les règles élémentaires d’une bonne gouvernance, utilise l’ignorance des populations, manipule les différences politiques, ethniques, tribales et religieuses, et installe la culture du guerrier comme héros et celle de la dette pour des sacrifices passés ou des torts commis. Ce qui souille la société africaine, c’est fondamentalement ce qui sort du cœur humain. » (cf. Mt 15, 18-19 ; Mc 7, 15 ; voir aussi Gn 4[14])
En RDC, nous ne connaissons que trop bien ces seigneurs de guerre qui se sont imposés ensuite au point d’être adulés par le peuple qui a été victime de leurs exactions mais qui semble les avoir vite oubliées[15]. Les seigneurs de guerre se sont imposés grâce aussi et surtout aux médias. Ils ont créé des radios et des télévisions à travers le pays pour dire leur évangile ! Ils ont utilisé avec brio le relais complice ou naïf de puissants médias étrangers du nord, friands de la violence, du sang qui coule chez les « barbares » d’un autre âge… On sait combien ces médias s’empressent pour donner les premiers à la parole aux premiers rebelles signalés dans un pays ! Ces médias s’autoproclament juges pour désigner les victimes et les bourreaux, voire à « fabriquer l’ennemi » que le peuple doit considérer. Le général canadien Romeo Dallaire, commandant des forces onusiennes au Rwanda, en 1994, avait constaté combien « un correspondant de presse valait un bataillon sur le terrain[16] ».
En investissant les médias, les chefs rebelles ont imposé une banalisation de la violence. Ils ont investi l’imaginaire de la jeunesse africaine qui rêve de grandeur et de puissance, d’héroïsme et qui se met à imiter les guerriers comme des héros. D’où la prolifération des enfants-soldats et un certain banditisme de rues. Le Libérien Charles Taylor, « premier ‘seigneur de la guerre’ de l’Afrique de l’après-guerre froide » a pu gagner les élections organisées en 1996 dans son pays sorti d’une longue guerre. Il avait un « slogan-chantage » : « I killed your mam, I killed your pa, vote for me if you want peace[17] .» En 2006, un des quatre vice-présidents de la RDC, candidat aux élections présidentielles, avait promis aux femmes d’Idiofa (Bandundu) de leur couper les seins si elles ne votaient pas pour lui.
Ainsi, la politique en Afrique est devenue plus que jamais « une manière de conduire la guerre civile ou la lutte ethnique et raciale par d’autres moyens[18] ». Les campagnes électorales et surtout les périodes postélectorales promettent la guerre civile latente ou déclarée.
Au début des années 2000, la politique africaine revient ainsi à une question de vie ou de mort. On observe la prolifération des mouvements rebelles dans un pays comme la RDC, et l’on aperçoit bien dans les débats télévisés combien ceux qui font profession de politique doivent éructer des menaces, doivent exceller dans la violence verbale s’ils n’ont pas pris les armes dans un mouvement rebelle dont ils reviennent ou qu’ils vont rejoindre plus tard… Et la violence comme lutte entre la vie et la mort est celle qui s’observe dans la rue ou celle qui s’exprime par la peur du sorcier dont parlent les sectes religieuses pentecôtistes. L’organisation et la tenue des élections représentent aussi des moments de très forte tension… militaire. Les candidats se proclament d’avance vainqueurs des élections. Après la proclamation des résultats défavorables, leurs partisans n’ont plus qu’à crier au voleur. Combats de rue, à l’arme lourde ou à armes blanches, peuvent s’ensuivre. Seule la peur de la Cour Pénale Internationale semble dissuader les uns et les autres et obliger à tempérer les ardeurs. Avec les contestations, on adresse alors des prières à « l’Eternel des armées » lui demandant pas moins que la mort physique du candidat proclamé vainqueur.
En déplorant suffisamment que les médias aient semé la violence et la haine dans les cœurs, l’instrumentum laboris élève néanmoins le souhait que ces médias, comme antidote de leur propre venin, soient un levier de l’engagement des fidèles chrétiens pour bâtir une société africaine de paix, de réconciliation et de justice :
« Les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont le nouvel aréopage de notre siècle. Parce qu’ils favorisent la rencontre des peuples et des cultures, et qu’ils ouvrent au monde, les média sont un espace efficace de formation des consciences et de sensibilisation, et l’effort des fidèles soucieux d’y annoncer les valeurs évangéliques de paix, de miséricorde, d’amour et d’unité est louable. Ils sont à encourager afin qu’à leur exemple un nombre plus grand de catholiques propagent dans nos sociétés africaines, par ces moyens, des informations justes, crédibles et constructives, et des messages de joie, d’amitié, d’amour fraternel[19]. »
Voilà pour l’instrumentum laboris. Il permet ainsi de lire le texte d’Africae munus dans son contexte avec les documents autorisés qui l’ont précédé. Une étape supplémentaire a été celle des Propositions remises au Saint-Père à l’issue des travaux du Synode.

4.   Coordination et formation
Le numéro 56 des Propositions porte sur les médias. Il invite à « la mise en réseau des centres audio-visuels, des maisons de production et des centres médiatiques ». Il invite aussi au « développement d’un réseau satellitaire, sous la coordination du C.E.P.A.C.S. (l’organe médiatique du S.C.E.A.M.) pour le service de l’Église-Famille de Dieu en Afrique ». C’est aussi le même besoin de coordination qu’exprime l’appel à « l’établissement de commissions diocésaine, nationale et régionale de communication avec un personnel compétent pour aider l’Église dans l’exercice de son ministère prophétique dans la société. » Les Pères synodaux ont également suggéré « une présence plus accrue de l’Église dans les médias ».
Outre la coordination, la Proposition 56 insiste sur la nécessité de la formation. Il s’agit d’abord de former les professionnels : « L’entraînement professionnel et la formation éthique des journalistes pour la promotion d’une culture de dialogue qui évite la division, le sensationnel et la désinformation et la banalisation de la souffrance humaine, qui peuvent endommager l’harmonie et la paix des sociétés et des communautés ».
Il s’agit aussi de la formation du peuple par « l’utilisation des médias modernes pour la diffusion de l’Évangile et des fruits du présent Synode, pour la formation des peuples africains à la vérité, la réconciliation, la promotion de la justice et de la paix. »
En écho aux appels des deux Synodes pour l’Afrique concernant l’organisation, on peut relever le cas des deux congrégations religieuses qui donnent un exemple. Les Filles de Marie tout comme les Salésiens de Don Bosco cherchent à coordonner leurs initiatives entre les provinces d’Afrique. Dans leurs structures administratives ordinaires, chaque communauté et chaque province a un délégué pour la communication. Les différents délégués se chargent ainsi, notamment, de la formation.

5.   Information et communication dans Africae munus
Les numéros 142 à 146 de l’exhortation post-synodale Africae munus du pape Benoît XVI se consacrent au monde de l’information et de la communication. Quel est le propos de ce quatrième des quatre « principaux champs d’apostolat », qui constituent le deuxième chapitre de la deuxième partie de l’exhortation : la présence de l’Eglise, le monde de la santé, le monde de l’éducation et le monde de l’information et de la communication ?
Quelle présence pertinente, significative l’Eglise assurera-t-elle si elle nourrit seulement le corps, assure la santé physique ou mentale et psychique, sans la santé spirituelle ? Mais quel est cet être sain de corps et d’esprit s’il ne parle pas, s’il ne communique pas ? N’est-il pas un zombie ? Jésus a bien guéri un païen de la surdité et de la mutité. La nouvelle évangélisation de l’Afrique s’y entendra bien.
Africae munus part d’Ecclesia in Africa, qui a considéré la communication comme un axe majeur de l’évangélisation, précisant que les moyens de communication sociale sont des instruments de communication mais aussi un monde à évangéliser. La première Assemblée du Synode des évêques pour l’Afrique a plaidé pour une communication authentique. L’Afrique doit y trouver un levier pour le développement et l’évangélisation.
Dans Africae munus, le pape relève aussi le rôle ambivalent des communications. Les nouvelles technologies de l’information peuvent constituer de puissants instruments de paix et de cohésion, de vérité et de beauté ou des promoteurs de destruction et de division, de fausseté et de laideur. Bref, « les médias peuvent promouvoir une humanisation authentique, mais ils peuvent tout autant entraîner une déshumanisation[20] ».
Comment éviter l’écueil ? En citant le numéro 73 de son encyclique Caritas in veritate, le Saint-Père Benoît XVI recommande aux médias le respect de la personne et du bien commun. La démultiplication des possibilités d’interconnexion et de circulation des idées ne suffit pas. Encore faut-il que les médias « aient pour visée principale la promotion de la dignité des personnes et des peuples, qu’ils soient expressément animés par la charité et mis au service de la vérité, du bien et d’une fraternité naturelle et surnaturelle[21] ».
Le numéro 145 évoque de front la contribution de la communication dans la construction de la paix :
« L’Église doit être davantage présente dans les médias afin d’en faire non seulement un instrument de diffusion de l’Évangile mais aussi un outil pour la formation des peuples africains à la réconciliation dans la vérité, à la promotion de la justice et à la paix. Pour cela, une solide formation des journalistes à l’éthique et au respect de la vérité, les aidera à éviter l’attrait du sensationnel, ainsi que la tentation de la manipulation de l’information et de l’argent vite gagné. Que les journalistes chrétiens n’aient pas peur de manifester leur foi ! Qu’ils en soient fiers[22] ! »
Le lieu est ainsi indiqué aux journalistes et autres communicateurs de trouver leur sanctification dans leur profession. Le pape fait d’autant appel aux « fidèles laïcs compétents » pour qu’ils intègrent comme levain dans la pâte leur foi « dans le monde des communications publiques et privées[23] ».
Il faut donc améliorer l’usage des médias par l’Eglise d’Afrique afin de construire les valeurs de paix, de justice et de réconciliation et de permettre au continent de « participer au développement actuel du monde[24] ». L’Eglise d’Afrique est invitée à parler sa propre parole. Le pape assume les recommandations des Pères synodaux : « Aussi, l’option prise par la première Assemblée Spéciale pour l’Afrique de considérer la communication comme un axe majeur de l’évangélisation s’est-elle avérée fructueuse pour le développement des médias catholiques. Il conviendrait, peut-être aussi, de coordonner les structures existantes comme cela se fait déjà dans certains endroits[25] »
Le pape termine ainsi en parlant de la coordination des structures existantes. Avec la création de la Commission épiscopale des communications sociales de la Conférence épiscopale nationale du Congo, nous avons personnellement eu la joie de voir naître et s’organiser, avec des fortunes diverses, les commissions diocésaines des communications sociales. L’étape suivante restait la mise en place de coordinations dans les six provinces ecclésiastiques.
6.   Vérité des urnes, vérité catholique ?
Le pape Benoît XVI et son prédécesseur Jean-Paul II auront l’un et l’autre, chacun selon sa sensibilité et son parcours personnel, insisté sur la dimension évangélique de la vérité. Les deux nous auront rappelé non seulement que le Christ est le chemin, la vérité et la vie, mais surtout que nous avons à mener notre vie dans le respect, la conscience du rapport intime et indissoluble entre la foi et la raison. Benoît XVI suggère en particulier que la justice, la paix et la réconciliation sont les fruits de la vérité.
Parmi les dimensions de notre vie individuelle et communautaire liées à la vérité, il y a bien évidemment la communication. Les philosophes ont déjà enseigné que le langage est le lieu de la manifestation de la vérité. Quel rapport avec la vérité dès lors qu’il y va de notre volonté et de notre capacité à construire une société de justice, de paix et de réconciliation ? Le désir de vérité ne nous manque certainement pas. Je l’entends souvent dire.
A Kinshasa, une religieuse a confié qu’elle n’écoute que la radio catholique, parce que c’est la radio qui dit la vérité. La religieuse faisait allusion à la polémique suscitée en 2011 par les déclarations de l’archevêque de Kinshasa. Dans une conférence de presse, le lundi 12 décembre 2011, il avait laissé entendre que les résultats provisoires des élections présidentielles publiées par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’étaient conformes ni à la vérité ni à la justice. Dans la foulée, il avait conseillé à ceux qui pensaient contester ces résultats de le faire sans violence, de suivre le droit et de réunir des preuves pour se présenter devant la Cour suprême de justice. Et les juges de la Cour suprême étaient invités à écouter leur conscience.
Et des semaines et des mois durant, les médias officiels ont fait défiler des personnalités pour traiter l’archevêque de tous les noms. En revanche et en miroir, la radio et la télévision catholiques ont fait de même avec des ecclésiastiques ou des acteurs politiques de l’opposition.
La religieuse dont j’ai parlé a été touchée dans sa sensibilité. Elle penchait du côté de la polémique où elle croyait voir la vérité toute claire. Mais n’était-il pas trop facile de se retrouver entre catholiques autour de ce qui serait devenu ainsi une vérité purement catholique ? Les catholiques sont-ils capables de défier les sceptiques et de discuter à armes égales avec les compatriotes de bonne volonté pour chercher ensemble la vérité ? Le 3 décembre 2011, le président de la Conférence épiscopale avait dénoncé des irrégularités dans l’organisation des élections, mais il avait déclaré qu’il ne revenait pas à l’Eglise de proclamer les résultats et que, de toute façon, le nombre des observateurs déployés par l’Eglise sur le territoire national était trop maigre pour permettre une conclusion pertinente.
Relevant le climat chaotique et le fait d’irrégularités graves remettant en question la crédibilité des résultats publiés, avec « des cas de tricheries avérées et vraisemblablement planifiées », les membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), réunis en Assemblée plénière extraordinaire du 9 au 12 janvier 2012, firent le point sans prétendre proclamer la vérité des urnes : « Dans l’Appel du 3 décembre 2011la CENCO, tout en rappelant qu’elle n’avait pas pour objectif de publier des résultats que, par ailleurs, sa mission d’observation électorale n’a pas, invitait le peuple congolais, les acteurs politiques et la CENI à s’en tenir impérativement à la vérité des urnes[26]. Dans la Mise au point de son Secrétariat général, le 8 décembre 2011, la CENCO a relevé des éléments positifs du processus électoral mais aussi elle a épinglé des irrégularités et des faiblesses  inquiétantes. C’est dans cette même logique que, le 12 décembre 2011, s’inscrivait la Déclaration du Cardinal Archevêque de Kinshasa qui, au vu de ces irrégularités et faiblesses, a dénoncé la non conformité à la vérité et à la justice des résultats provisoires publiés par la CENI[27]. ».
La vérité disputée en l’occurrence est bien la « vérité des urnes », définie dans un cadre bien déterminé, que l’organe compétent et autorisé publie, qu’il est permis de contester devant la Cour Suprême de Justice qui est elle-même contestable de sorte qu’une éthique politique interdit, en démocratie, de contester à l’infini les erreurs de la Cour Suprême. D’irrégularités en irrégularités, dirait-on, on n’en sortirait jamais. D’où la sagesse ou la prudence des systèmes démocratiques pour que les instances s’accordent sur une vérité relative. On s’accommodera sans prétendre détenir le dernier mot pour lequel vivre ou mourir.
Sauf s’il s’agit de questions de discipline et de dogme strictement réglées par l’obéissance au Magistère, on s’engagera plutôt dans l’habitude du débat, de la discussion. Dans les questions socio-politiques, par exemple, s’imposent des règles du jeu à connaître et à respecter. Il y a aussi une éthique de la discussion, basée notamment sur le principe de l’égalité des interlocuteurs, révoquant tout argument d’autorité et n’acceptant, en fin de compte, que l’argument le meilleur.
La « vérité des urnes » est bien différente ainsi de la vérité « scientifique » ou de la vérité métaphysique et de la vérité en Dieu. Lorsque les papes insistent sur la vérité et sur le rapport entre la foi et la raison, il faut bien qu’en pratique, on sache jusqu’où aller sans transiger avec sa conscience et sans compromettre la justice et la paix sociales.
Sur le mensonge ne peut se lever que le conflit, la guerre. Mais le mensonge peut être aussi une prétention indue à la vérité que l’on ne détient pas. Dans notre société prolifère toute une culture du mensonge. On dit notre société corrompue, car même les résultats scolaires sont discutables, les contraventions des policiers sont négociés et négociables. Chacun paraît suspect. Nous ne pouvons prétendre tout péremptoirement à la vérité. Et la réconciliation s’en trouvera compromise.
En 2011, malheureusement, l’Eglise catholique n’a pas mené la campagne d’éducation civique et électorale dans laquelle elle avait excellé de 2004 à 2006. Bien plus : en 2011, une décision de la Conférence épiscopale avait interdit aux ecclésiastiques toute participation à l’organisation des élections. Du président de la Commission électorale aux autres membres de bureaux locaux, plus de prêtres ni de religieuses ou religieux ne purent assurer les tâches, qui furent alors confiées à d’autres. Même si les ecclésiastiques n’avaient pas toujours fait montre de compétence ni d’excellence, il est à reconnaître que les laïcs catholiques n’avaient pas été suffisamment formés non plus, avertis sur la loi électorale et les procédures. La Commission épiscopale Justice et Paix n’a pas disposé de l’argent nécessaire pour organiser au mieux, comme en 2011, l’observation électorale.
Lorsqu’on entend les médias répéter que l’Eglise catholique de la RDC a contesté les résultats des élections présidentielles et législatives publiés en 2011 et qu’elle détient les bons résultats, comment ne pas penser à la manipulation ? Sauf si l’on exprime ainsi une « vérité politique ».
Or, les médias catholiques répètent aussi cette… vérité qui leur vient d’ailleurs. Ce fut déjà le cas après les élections de 2006 ! L’enjeu de la vérité nous pose ainsi une deuxième question comme défi dans le prolongement d’Africae munus. Le monde de l’information et de la communication demande à être évangélisé suivant l’enseignement de l’Eglise. Et concrètement, les médias catholiques doivent donner l’exemple de la compétence dans la recherche de la vérité. Et c’est un défi à relever dans le contexte de l’Eglise catholique en RDC. C’est le défi du professionnalisme. Il a un coût. C’est le prix de « la charité de la vérité » dont parle un Bienheureux Jacques Alberione, fondateur de la Famille paulinienne, toute dévouée à l’apostolat par les moyens de communication sociale.

7.   Le coût du professionnalisme
Africae munus fait constater le nombre croissant des médias catholiques nés depuis le premier Synode de 1994. En RDC, on note qu’à part Radio Lendisa du diocèse de Molegbe, fondée en 1980 par un père capucin, les trente-trois autres radios catholiques officielles existantes à ce jour et les six stations de télévision, sans compter des radios catholiques privées comme Radio-Télévision Zénith et la Radio-Télévision Umoja de Lubumbashi, sont toutes nées après 1995[28].
En effet, la « libéralisation des ondes » par le régime du Président Mobutu n’a eu lieu que dans la foulée de la démocratisation du pays avec l’ouverture au multipartisme autorisé en 1990. On ne compte pas ici, évidemment, la première expérience liant les médias à l’histoire même de l’évangélisation du pays. Les missionnaires capucins ont installé la première imprimerie dès 1673. Le père jésuite Mols créa Radio-Léo en 1937 à Léopoldville (Kinshasa). En 1946, le père salésien Dethier créa Radio-Collège à Elisabeth (Lubumbashi), et les missionnaires de Scheut inaugurèrent à Kinshasa, le 15 juillet 1963, un studio de radiodiffusion dénommé Service Technique Africain de Radiodiffusion (STAR) Si l’actuelle Commission épiscopale des communications sociales est née le 9 juillet 2007, l’Assemblée des Ordinaires avait déjà créé, le 7 juillet 1945, un « Comité de Presse » pour les journaux et un Service central du cinéma pour indigènes.
En 2013, la dernière-née des radios catholiques, la Radio Catholique Mushauri, de Kindu, dans la province du Maniema, a commencé ses émissions le 16 janvier. Certains autres diocèses parmi les quarante-sept du pays ont des projets assez proches de la réalisation. L’enthousiasme est donc général. Mais dans la plupart des cas, beaucoup reste à dire sur la qualité de ces médias catholiques qui visent toutes l’excellence ou y prétendent.
On reconnaîtra que beaucoup de ces médias, à un moment ou à un autre de leur existence, ont effectivement incarné l’excellence dans leur milieu… Mais certaines de ces radios n’auront excellé que par rapport à elles-mêmes, jusqu’au jour où une nouvelle a surgi dans le paysage local. Souvent, les meilleurs animateurs et journalistes voire techniciens quittent les médias catholiques à la première occasion. L’expérience gagnée comme fruit de la formation est ainsi détournée au profit du meilleur offrant… La cause du débauchage, pour les médias catholiques et pour les autres, est souvent la même : la rémunération.
En parlant du monde de l’éducation comme champ d’apostolat pour l’Eglise d’Afrique, le pape écrit dans Africae munus qu’il « conviendra de veiller également à assurer une rémunération juste au personnel des institutions éducatives de l’Église et à l’ensemble du personnel des structures d’Église pour renforcer la crédibilité de l’Église[29] ».
Il ne s’agit pas toujours ni seulement de sauver la dignité de l’Eglise. Il s’agit souvent aussi de la survie des personnes elles-mêmes. Des mercenaires écument nos médias comme partout ailleurs, mais les bonnes volontés s’émoussent souvent devant la précarité des moyens et surtout la rémunération insignifiante voire aléatoire. Le professionnalisme a un coût. La vérité qui engendre la paix, la justice et la réconciliation est elle-même, dans le monde, fruit d’un travail, de la recherche. Tu gagneras la vérité à la sueur de ton front, de tes énergies, de ton organisation, de toutes tes ressources. Cela vaut aussi bien pour le monde de l’information et de la communication.
Dès le recrutement du personnel, d’ailleurs, les ambitions et les prétentions à l’excellence sont souvent vite ramenées au minimum. Les meilleurs sujets, expérimentés ou formés, ne peuvent se contenter de servir comme à la messe…
Il ne reste parfois alors que l’amateurisme en partage. Des « bénévoles » se débrouilleront tant bien que mal. Beaucoup seront accablés, en plus, des attentes inconsidérées des initiateurs des médias. Tel attend de gagner de l’argent sans savoir comment et pense que la radio privée communautaire, non-commerciale, participera au financement des œuvres ou se prendra en charge.
Telle est la situation professionnelle de la plupart des médias catholiques en RDC. L’appel du Saint-Père Benoît XVI devrait réveiller à plus de responsabilité et de compétence, de la conception d’un projet à sa réalisation.

Conclusion
Au terme de leurs travaux, en 2009, les Pères du deuxième Synode spécial des évêques pour l’Afrique ont résolu d’appeler ce Synode celui de la Nouvelle Pentecôte, alors que le premier, en 1994, avait été celui de la Résurrection et de l’espérance[30].
Or, médiatiquement parlant, qu’est-ce qui frappe le plus dans l’expérience de la Pentecôte, après le bruit venu du ciel ? Il se voit, bien sûr, les langues de feu sur la tête des apôtres. Mais il s’entend aussi le parler en d’autres langues. Et l’Ecriture Sainte précise qu’à Jérusalem avaient afflué ce jour-là des Juifs pieux venus de tous les pays du monde et que chacun s’étonnait d’entendre les croyants parler des œuvres de Dieu dans sa langue maternelle, dans les diverses langues.
Afrique, lève-toi et parle de la justice et de la paix et de la réconciliation de façon compréhensible dans les diverses langues d’Afrique et du monde. Le miracle s’accomplira comme un sacrement grâce aux signes et aux symboles, grâce aux merveilleux instruments modernes de la communication sociale, évangélisés, touchés par le Seigneur ressuscité pour les rendre fidèles à leur propre vocation de dire la vérité.
Afrique, dépasse ta peur, réveille-toi du sommeil de l’infantilisme, de la dépendance et de l’assistance, parle en ton propre nom. Afrique, lève-toi et parle.
Que l’Eglise en Afrique reste debout pour rendre au continent et au monde le service de la parole, de la vérité, gages de la paix, la justice et la réconciliation.

Jean-Baptiste Malenge Kalunzu
jbmalenge@gmail.com



[1] Exhortation apostolique post-synodale Africae munus du pape Benoît XVI à l’épiscopat, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs sur l'Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. « Vous êtes le sel de la terre...  Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13.14), 173.
[4] Francis Jacques, L’espace logique de l’interlocution. Dialogiques II, P.U.F., Paris, 1985, p. 25.
[5] Ecclesia in Africa, 12.
[6] Redemptoris missio, 37 c.
[7] Ecclesia in Africa, 52.
[8] Ecclesia in Africa, 66.
[10] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, La découverte, Paris, 2010, p. 104.
[11] Synode des évêques – XIIe Assemblée spéciale pour l’Afrique, L’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13-14). Document de travail (Instrumentum laboris), Cité du Vatican, 2009, 19.
[12] Africae munus, 9.
[13] Instrumentum laboris, 31.
[14] Instrumentum laboris, 11.
[15] Les Accords de paix signés à Sun-City entre belligérants, en Afrique du Sud, avaient ainsi imposé, entre 2003 et 2006, le Gouvernement du 1 (président) + 4 (vice-présidents). « L’espace présidentiel » fut ainsi constitué de cinq anciens rebelles : Joseph Kabila, Yerodia Abdoulaye, Jean-Pierre Bemba, Azarias Ruberwa et Arthur Zahidi Ngoma.
[16] Pierre Conesa, La fabrication de l’ennemi ou comment tuer avec sa conscience avec soi, Robert Laffont, Paris, 2011, p. 257.
[17] Stephen Smith, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Calman-Lévy, Paris, 2003, p. 120-121. L’auteur traduit : « J’ai tué ton père, j’ai tué ta mère, vote pour moi si tu veux la paix. »
[18] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit, p. 21.
[19] Instrumentum laboris, 144.
[20] Africae munus, 143.
[21] Africae munus, 197.
[22] Ibidem, 145.
[23] Ibid..
[24] Ibid., 146.
[25] Ibid.
[26] En gras dans le texte.
[27] Conférence Episcopale Nationale du Congo, « Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité », 11 janvier 2012, n° 4.
[28] https://maps.google.fr/?mid=1363886560 (Consulté le 20 mars 2013)
[29] Africae munus, 134.

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