Médias et défis pastoraux pour l'Afrique
L’Afrique face aux évolutions
de la technologie et de la culture des médias : actualité des défis
pastoraux pour la vie et la mission de l’Eglise
Je
n’ai rien à voir avec le Conseil pontifical pour les communications sociales.
Et je dois d’autant plus remercier qu’on m’ait demandé à moi d’aborder ici le
thème des défis pastoraux. Je dis « aborder » parce que j’ai compris
qu’en ce dernier jour de notre séminaire, il s’agit, en quelque sorte, de recueillir
ou plutôt de glaner le fruit des échanges précédents.
Les
défis pastoraux face aux évolutions de la technologie et de la culture des
médias dans la vie et la mission de l’Eglise peuvent se ramener au défi du développement humain relevé en 1967 par
le pape Paul VI.
Dans l’encyclique Populorum
progressio, relayant le cri des « peuples de la faim qui interpellent
les peuples de l’opulence », le pape présente l’Eglise, experte en
humanité, dans son estime critique de la culture et de la civilisation
technique qui contribuent à la libération de l’homme (Populorum progressio,14). L’encyclique sociale est un juste
écho du concile Vatican II et de la Constitution pastorale Gaudium et spes, qui décrit l’Eglise portant les joies et les
peines de l’humanité.
Et
l’on est d’avis aujourd’hui que les nouvelles technologies de l’information et
de la communication viennent apporter ici ou là une certaine libération
indéniable. L’Afrique en bénéficie à bien des égards.
Le
progrès des peuples du pape Paul VI se conjugue avec la communion comme besoin
profond de l’humanité et comme condition pour la paix, un autre nom du salut. La
communion, la réconciliation, voilà un autre défi majeur pour l’Afrique. La
vision chrétienne de la communication indiquée par l’instruction pastorale Communio et progressio en 1971 porte
aussi une attention aux aspects médiologiques, avec les technologies et
l’organisation. La communion se comprend dans la dynamique et la relation
intrinsèque avec la communauté et la communication.
Mais
le progrès peut être destructeur, alertait, pour sa part, le pape Benoît XVI.
« Nous devons réfléchir aux moyens de faire en sorte que le progrès soit
bien un progrès » (Benoît XVI, Lumière
du monde, Le Livre de Poche, Bayard, Paris, 2010, p. 68).. En 2005, le pape
Jean-Paul II soulignait le progrès rapide
des technologies de la communication comme un des signes du progrès de la
société moderne. Le pape prenait acte des « défis de la nouvelle
évangélisation » qui sont multiples dans un monde riche en moyens de
communication. Les médias lui paraissent comme le « carrefour des grandes
questions sociales », mais cela n’est possible que si l’on prend acte aussi
du fait que les médias créent et amplifient une « nouvelle culture » qui
sollicite un discernement évangélique.
Le
progrès rapide est perçu partout. Un président africain a déclaré, en 2014, que
son pays est debout. Le relèvement de l’Afrique, on en parle, avec une
croissance économique annuelle estimée à plus de 5% en moyenne. Ce progrès est dû
notamment aux minerais et aux infrastructures et aux technologies de la communication.
Ces technologies sont bien réputées comme vecteurs et indicateurs de la
croissance.
Les
défis pastoraux sont là aussi. Et s’ils interpellent les écoles de
communication, c’est parce que nos écoles doivent fournir les ressources
humaines nécessaires, par la compétence, par la pensée.
Je
voudrais ici attirer l’attention sur la tâche
essentielle de la pensée. Un philosophe du passé, Emmanuel Kant, a
recommandé de toujours oser penser par soi-même. C’est bien le courage de la
pensée qui arrachera l’Afrique au malheur que le philosophe camerounais Fabien
Eboussi Boulaga décrit comme « la ratification et la reconduction d’un
régime d’hétéronomie » (Les
conférences nationales en Afrique noire, Karthala, Paris, 2009, p. 95).
Penser
demeure un impératif pour nous. Nos Eglises ont besoin de penser pour réaliser
l’évangélisation toujours plus en profondeur et pour conduire l’homme vers le
salut. Saint Eugène de Mazenod, le fondateur des Missionnaires oblats de Marie
Immaculée, écrivait, en 1826 : « Il faut tout mettre en œuvre pour
rendre les hommes raisonnables, puis chrétiens, enfin les aider à devenir des
saints. »
Mais
penser la communication pour l’inculturation, l’évangélisation et la
réconciliation requiert de reconnaître un grand rôle au laïcat, sans oublier la
formation des ecclésiastiques qui doivent accompagner les laïcs jusqu’à leur
apprendre à prier. La philosophie et la théologie de la communication sont
aussi des défis actuels pour l’Eglise Afrique.
1.
Penser
la communication pour l’inculturation
J’ai
eu la chance d’accompagner la naissance, en 2007, de la Commission épiscopale
des communications sociales de la Conférence épiscopale nationale du Congo. L’engagement
et la sollicitude de l’Eglise de la RDC dans les médias était un fait
historique avéré. En 1945, par exemple, il existait déjà une Commission
d’Ordinaires pour la presse et le cinéma.
En
assumant un passé riche d’initiatives multiples dans la création et la
promotion des médias dans le pays, l’Eglise en arrivait pourtant à la
conscience qu’il lui manquait souvent des médias à sa hauteur et de taille pour
marquer sa présence et son identité dans de nouvelles configurations
historiques. L’excellence et l’importance de l’Eglise catholique étaient fort
remarquables dans bien des domaines. Mais la communication n’est pas n’importe
quel domaine. Il manquait et il manque encore un impact réel dans le paysage
médiatique.
L’objectif
principal de la nouvelle Commission épiscopale des communications sociales a été compris comme celui de « penser la
communication » en vue de l’inculturation définie en 1980 comme option
pastorale fondamentale pour le deuxième centenaire de l’évangélisation du pays.
Il faut penser la communication pour aider à approfondir la foi.
Penser
la communication devient un défi surtout à la faveur des nouvelles technologies
de la communication toujours plus séduisantes et même parfois plus dangereuses.
Le
besoin s’était imposé aussi d’une utilisation plus conséquente des médias existants
en vue de l’intégration, de la cohésion intra-ecclésiale, la communion entre
les membres, de la Conférence épiscopale aux communautés ecclésiales en passant
par les structures diocésaines et paroissiales. On peut d’ailleurs en dire
autant de la relation entre l’Eglise de la RDC et les Eglises sœurs d’Afrique
et du monde. Nos Eglises ne se connaissent pas. Nos pays non plus. Les visas et
les avions coûteront encore cher, apparemment, mais on peut se poser la
question de savoir pourquoi nous ne profitons pas véritablement des réseaux
sociaux, par exemple, pour mieux nous connaître. Pourquoi faut-il venir ici à
Kabgayi pour apprendre l’existence d’une faculté de communication catholique
dans un pays voisin ?
Mais
le peuple de Dieu est-il conscient d’une telle nécessité de vie ? Les
évêques de la RDC se rendaient bien compte que ce peuple avait besoin d’une
éducation aux médias. En mère responsable, l’Eglise doit éduquer ses enfants
pour les faire croître dans une identité et une culture propres.
Penser
la communication, c’est penser la relation à l’autre, en chrétien et en citoyen.
Nous faisons chaque jour l’expérience, en Afrique, des bienfaits des médias et
des limites à ouvrir non seulement à une véritable conscience de ses propres
capacités mais aussi à une correcte appréhension de l’autre. L’autre est
notamment ici l’Occident. On peut en croire le philosophe et théologien
congolais Kä Mana qui écrit que l’Occident est d’abord un mythe dont l’Africain
doit s’exorciser afin de saisir le vrai Occident et nouer avec lui une relation
responsable dans la réalité et non plus dans l’imaginaire, dans le rêve (Kä
Mana, L’Afrique va-t-elle mourir ?,
Karthala, Paris, 1993). N’accablons pas l’Occident en lui attribuant tous nos
maux. Mais ne lui donnons pas non plus la communion sans confession.
La
pensée comme défi pastoral dans l’ère de la communication, un évêque rencontré
à Kinshasa en juillet 2013 lors d’une Assemblée du Symposium des Conférences
épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) me confiait son opinion
là-dessus. Permettez-moi de la lire dans un long passage du livre Jésus au bout du clic (Jean-Baptiste
MALENGE Kalunzu, Jésus au bout du clic. L’Eglise répond à la communication, Baobab,
Kinshasa, p. 14-15).
L’évêque impute l’insécurité dans la région des grands
lacs africains principalement à l’exploitation des tendances politiques et à
l’ingérence de l’étranger. Pour lui, les populations, qui ont une histoire
commune, s’accueillent mutuellement de part et d’autre des frontières, pour
trouver refuge au Rwanda, en RDC ou au Burundi. L’Eglise doit faire un
plaidoyer pour dire que les guerres sont un non-sens, qu’il faut résoudre des
conflits sans passer par les armes, car les armes ne guérissent pas le mal
mais créent des blessures sur des blessures.
-
Est-ce que l’Eglise parle
suffisamment fort pour être entendue sur cette vision qui n’est pas celle des
politiciens et des profiteurs étrangers ?
-
Fort ? Peut-être. Je ne sais
pas ce que vous voulez quand vous dites « fort ». Parce que la
première chose que nous devons faire, c’est d’abord nous retrouver et être
près de ces peuples en souffrance, ces réfugiés. Le premier geste, c’est
d’approcher ces gens en difficultés, ces réfugiés, ces gens en souffrance.
Parler fort et haut, la plupart du temps, cela ne nous est pas toujours
facile. Si vous voyez nos régions, pour bien parler, il faut bien cibler
l’objectif. Autrement dit, il faut être bien informé. Dans nos régions, nous
ne sommes pas toujours bien informés. Il y a des réalités qui nous échappent.
Et cela nous demande d’y aller lentement mais sûrement et fermement. C’est
peut-être là la façon dont nous devons nous y mettre, nous devons y aller.
Parce que souvent, même les journalistes qui parlent de la région, parfois,
vous les trouvez alignés. L’objectivité ne vient pas. Cela ne nous permet pas
toujours de parler haut et fort. Et puis, même quand vous parlez, ils vous
accueillent selon leurs tendances politiques et non selon la vérité. Que
faut-il faire devant ce défi ? Il faut nous approcher de la réalité. Il
faut aller dedans, au milieu des gens. Vivre avec eux, voir les problèmes
qu’ils vivent. Et le dire à qui de droit, à celui qui doit le savoir. Voilà,
c’est une démarche. Par exemple, en terminant notre rencontre (de l’ACEAC),
nous nous sommes donné comme consigne de nous informer mutuellement. Le jour
où nous serons mutuellement informés entre les diocèses, entre les
conférences épiscopales, nous trouverons un terrain d’expression pour ne pas
tomber dans le piège politico-politicien.
-
Pensez-vous que l’Eglise des grands
lacs ne devrait pas se doter de meilleurs ou de plus puissants moyens de
communication sociale ?
-
C’est sur ce terrain que nous
devrions aller. Et d’ailleurs, je vais vous dire qu’on en a parlé, on a
commencé. Il y a, maintenant, au niveau de la formation, des facultés de
communication. Ici, au Congo, ils en ont. Au Rwanda, nous avons une
université catholique avec une faculté des communications. Parce que nous
avons trouvé que cela est nécessaire. Il faut avoir des laïcs formés
chrétiennement et qui soient capables de nous donner des informations
vérifiées, vérifiables, et aussi poussés par la doctrine sociale de l’Eglise
qu’ils veulent communiquer, qu’ils veulent donner. Et je crois qu’à ce
niveau-là, nous, nous devons y travailler davantage, nous avons un petit
retard.
|
L’évêque
interviewé pour Radio Vatican est Mgr Smaragde Mbonyitege, évêque de Kabgayi au
Rwanda.
Les
questions soulevées par l’évêque ont constitué de quelque manière aussi la
toile de fond des deux Synodes des évêques pour l’Afrique qui ont bien présenté
ce qu’il nous faut considérer comme des défis majeurs : l’évangélisation,
la réconciliation, la justice et la paix. Penser la communication servira donc à
mieux appréhender les enjeux de l’évangélisation et de la réconciliation.
2.
Pour
l’évangélisation et la réconciliation
C’est
assurément pour penser la communication en vue de l’évangélisation que nos
évêques ont fondé les facultés de communication et les écoles de journalisme.
Nos évêques sont-ils satisfaits de la qualité ? Pourquoi pas ?
Quelqu’un
nous a mis en garde ici contre la satisfaction facile. Ne nous targuons pas de
l’excellence que nous n’avons pas, a dit la personne. Dans la foulée, nous
avons partagé nos appréciations de la formation dispensée dans nos
institutions.
L’appréciation
peut se faire en aval, en considérant le résultat de la formation. Lorsque, en
2011, le Centre de Recherche et d’Education en Communication (CREC) a organisé
une formation à la culture médiatique pour l’ensemble de la Conférence
épiscopale nationale du Congo, le constat a été fait selon lequel les médias
catholiques de la RDC n’affichent pas l’excellence attendue. Les causes de la
contre-performance sont notamment la pauvreté économique mais aussi
l’incompétence du personnel. Et cette incompétence peut être due à un
malentendu. Les évêques ont voulu des médias pour l’évangélisation en
profondeur. Mais les étudiants ne semblent pas le comprendre ainsi ou les formateurs ne l’ont pas fait comprendre
ainsi.
Bien
des évêques ont investi trop d’espoir sur les écoles de communication. Ils en
attendent la formation d’un personnel compétent qui pratiquera la communication
selon les valeurs chrétiennes. Le paysage médiatique a besoin de la lumière de
l’évangile et des voix qui rassurent par leur volonté du progrès humain et du
bien commun. En tout cas, l’Eglise ne semble pas s’être organisée pour offrir
le meilleur accueil aux cadres ainsi formés. Les meilleurs parmi ceux-ci
n’auraient plus que le choix d’aller servir ailleurs. Tant mieux, dirions-nous
sous un certain point de vue.
Plus
précisément, il est important que les médias et journalistes catholiques
connaissent l’Eglise et en parlent partout dans des termes plus corrects que
d’habitude. Il est plus important que les communicateurs catholiques soient des
témoins, des disciples de Jésus-Christ. C’est cela l’évangélisation, comme le
Synode spécial des évêques pour l’Afrique l’avait compris en 1994.
Depuis
le Synode de 1994, l’internet a gagné l’Afrique. Les jeunes, surtout en ville, sont
présents sur les réseaux sociaux en apportant de nouveaux besoins tels que des rencontres
qui leur parlent de Jésus-Christ et de son message d’amour. Ils ont aussi besoin
de rencontrer, sur les autoroutes de l’information, des hommes et des femmes
qui les amusent peut-être mais qui leur disent aussi, par la parole et par
l’exemple, ce qu’ils cherchent au plus profond d’eux-mêmes.
En
2009, lorsque les évêques se réunissent autour du pape en deuxième Synode pour
l’Afrique, et parlent de la justice, de la paix et de la réconciliation, la
communication les poursuit comme un sujet incontournable. La guerre et la paix,
en Afrique comme ailleurs, peuvent dépendre de la bonne ou mauvaise communication.
La réconciliation, en tout cas, demande le dialogue, l’échange interlocutif,
qui partage en langage verbal articulé le sens des dispositions et sentiments
respectifs.
En
2009, nos pays n’étaient-ils pas mûrs sur le chemin de la démocratisation entamée
depuis deux décennies ? La vie commune dans la diversité et la différence,
dans le pluralisme reconnu s’était parfois avérée plus difficile à réussir que
sous les dictatures précédentes. La reconduction du thème de la communication
au Synode des évêques semblait dire que les défis demeuraient ou s’étaient
corsés.
En
1994, la communication nous a donné un exemple de ce qu’il ne convient pas de
faire à l’humain. Nous y avons bien pensé tous hier matin au mémorial du
génocide rwandais à Gisozi. Après le dépôt de fleurs sur les tombes, nous avons
marqué tous ensemble un temps de silence, pour laisser l’humain en nous être
touché par plus que nous-mêmes.
Penser
la communication, c’est bien aussi répondre à la question éthique du bon usage
des médias. Dans son Message pour la Journée mondiale des communications de
2008, le Saint-Père Benoît XVI avait utilisé l’expression
« info-éthique ». Il se demandait alors s’il était sage de
« laisser les moyens de communication sociale être assujettis à un
fonctionnement aveugle ou finir par être à la merci de qui s’en sert pour
manipuler les consciences ».
Nous
savons que les médias de la haine ne sont certainement pas une spécificité
rwandaise. Partout, en Afrique, des seigneurs de guerre se sont imposés ces
dernières années. Grâce aux médias notamment, ils ont brisé la paix, ils ont
semé la violence. Les médias catholiques ont-ils toujours résisté ? Ont-ils
prôné la non-violence et la culture de la paix ? Nos médias n’ont-ils pas
plutôt aidé à exacerber les conflits ? Ou plutôt : suffit-il d’opter
pour le discours des partis politiques de l’opposition, comme il arrive de plus
en plus souvent, pour échapper à des idéologies mortifères ? Pour
construire la paix et la réconciliation, l’Eglise doit répandre la lumière du
Christ sur les esprits. Mais pourquoi l’ordre du jour des prises de parole de
l’Eglise semble-t-il parfois si déterminé par les élans et controverses des
milieux politiques ? Pourquoi l’Eglise n’est-elle pas prévenante ? N’est-ce
pas faute d’une pensée venant des milieux universitaires ?
Ces
questions d’éthique et de déontologie appellent la nécessité d’une évangélisation
des médias. Penser la communication, c’est aussi trouver la manière d’y faire
pénétrer les valeurs chrétiennes. C’est l’inculturation qui ne peut réussir que
si l’Eglise s’appuie sur les laïcs, ceux qui doivent être le sel de la terre et
la lumière du monde des médias. La formation des laïcs devient ainsi un autre
défi pastoral majeur.
3.
La
grande part des laïcs
Il
saute aux yeux que l’assemblée que nous constituons à Kabgayi n’a pas beaucoup
de femmes. Il saute aux également que notre assemblée compte peu de laïcs comme
participants. Les laïcs sont l’immense majorité dans l’Eglise, mais il faut
promouvoir en quantité et en qualité leur présence dans les structures et le
fonctionnement de l’Eglise. Il faut relever l’enseignement du concile Vatican
II qui rappelle la participation des laïcs à la fonction prophétique du Christ.
Dans
les moyens de communication, les prêtres, religieuses et religieux sont aussi
en minorité. Ils ont un rôle déterminant que l’Eglise leur assigne pour le le
bien de tous. En accompagnant les acteurs des médias dans ce qu’ils sont comme
sujets d’une éthique, l’Eglise évangélise la culture qui les portent, qu’ils
entretiennent et qu’ils ont fait naître.
L’instruction
pastorale Aetatis novae a insisté, en
1992, pour que l’Eglise accompagne de façon particulière les professionnels des
médias. Ils sont confrontés à des problèmes particuliers. Il leur faut des
aumôniers. Le décret conciliaire Inter
mirifica recommandait déjà la formation des usagers et des responsables des
médias à tous les niveaux, mais au numéro 15, il insiste : « C’est
avant tout des laïcs qu’il faut ainsi instruire dans l’art, la doctrine et les
mœurs, multipliant dans ce but les écoles, facultés et instituts où des
journalistes, des créateurs de films et d’émissions radiophoniques et
télévisées, ainsi que tous les autres qui y trouvent intérêt, puissent acquérir
une formation complète en même temps que chrétienne, surtout en ce qui concerne
la doctrine sociale de l’Eglise. »
Le
pape venu après les Vatileaks a
certainement perçu mieux encore la mission en tirant leçon des conséquences du
comportement de la presse vis-à-vis de l’Eglise des dernières années. En
s’adressant aux journalistes catholiques comme il l’a fait dès son avènement
sur le siège de Pierre, le pape François s’appuie sur ces laïcs qui sont la
majorité dans la profession. Il leur rappelle les exigences du baptême. Il peut
demander de changer l’image de l’Eglise et de l’humanité. L’Eglise d’Afrique
peut demander une autre image de l’Eglise dans les médias.
A ce
sujet, on peut déplorer le manque souvent de spécialistes de l’information
religieuse. Les anciens étudiants de nos écoles devraient y exceller, pourtant.
Sœur Dominic Dipio parlait de l’Afrique qui doit apprendre à raconter sa propre
histoire dans les médias. Sœur Rachel Zongo a indiqué la moderne voie des
merveilleux réseaux sociaux. J’ai retrouvé dans leurs propos l’ambition que
nous entretenons depuis quelques années pour la mise sur pied d’une Agence de
Presse Catholique Panafricaine. Lorsque nous aurons trouvé le financement
nécessaire, aurons-nous le personnel compétent, qualifié, pour enfin couvrir
l’Afrique et le monde de l’information à la mesure de nos ambitions, une
information qui respecte l’homme, et une information qui reflète bien le point
de vue du chrétien africain ?
Le
pape met en garde contre les péchés parfois oubliés mais que rappelle bien le Catéchisme de l’Eglise catholique à propos
du huitième commandement : la diffamation, la calomnie, la désinformation.
Le 15 décembre 2014, au personnel de la télévision catholique italienne TV
2000, le pape a délivré tout un cours de bonne communication, d’après Radio
Vatican :
« Le Saint-Père leur a proposé une réflexion en trois
points sur le rôle et la lourde responsabilité des journalistes catholiques.
Ceux-ci doivent tout d’abord s’exprimer avec franchise et en toute liberté,
dans un monde où la communication est souvent pilotée par la propagande, les
idéologies, les objectifs politiques, économiques ou techniques. Les
journalistes doivent aussi s’affranchir des modes, des lieux communs, des
formules toutes faites, qui annulent leur capacité de communiquer.
Deuxième
point, deux dangers menacent les communicateurs : celui de saturer la
perception des destinataires à coup de slogans qui entravent la réflexion et
celui au contraire, très fréquent dans une communication toujours plus rapide
et superficielle, de courir immédiatement à la conclusion sans présenter la
complexité de la vie réelle. Face à ces risques, les communicateurs catholiques
doivent se laisser conduire par l’Esprit Saint. »
Si
les journalistes et communicateurs catholiques d’Afrique pouvaient écouter le
pape, et s’ils pouvaient compter sur des accompagnateurs et enseignants compétents,
on peut espérer qu’ils trouveront dans l’enseignement de l’Eglise mieux que les
règles des meilleurs codes d’éthique et de déontologie. Ces codes concernent
essentiellement les valeurs de la vérité et de la liberté. L’évangile et
l’enseignement social de l’Eglise en disent mieux encore dans leur visée du
progrès de l’humain.
Mais
la question souvent posée est cruciale : pourquoi ceux qui connaissent ces
codes d’éthique et de déontologie ne les pratiquent-ils pas ? La réponse
chrétienne semble tenir de notre spiritualité ordinaire. Lorsque, malgré notre
bonne volonté, nous avons touché les limites des faiblesses humaines, il nous
reste à lever les yeux vers plus haut que le plus profond de nous-même. Le pape
François recommande ainsi de se laisser conduire par l’Esprit-Saint.
4.
Par
la force de l’Esprit
La
prière est un besoin et un défi pastoral. Elle est contact intime avec Dieu.
Elle apporte la guérison des cœurs. Elle purifie le regard. Dans l’Afrique en
apprentissage démocratique, la liberté d’opinion, d’expression ou de presse
bute souvent sur des conflits. Ceux-ci proviennent de la censure, de la
répression ou, simplement, de l’exercice difficile du pluralisme. Des blessures
diverses peuvent naître, notamment à cause de l’interférence des intérêts politiques
et idéologiques. Les professionnels des médias seront jugés sur leur cœur bon
ou mauvais et leur capacité à tenir bon dans les épreuves de la tolérance et de
la patience. Comme par ailleurs, leur générosité ne peut aller sans sacrifice.
Ils ont besoin de la prière.
Vatican
II a institué la Journée mondiale des moyens de communication sociale en
demandant que l’on offre une obole pour soutenir les médias catholiques, mais
le Concile nous demande d’abord de « prier pour cette cause » (Inter mirifica, 18). Dans Le progrès rapide, le pape Jean-Paul II explicite
en quelque manière cette recommandation en relevant d’abord la nécessité de promouvoir
une communication véridique et libre, qui contribue à consolider le progrès
intégral du monde grâce à un discernement attentif et une vigilance constante,
une saine capacité critique. Et le pape de conseiller :
« Dans
ce domaine aussi, les croyants du Christ savent qu’ils peuvent compter sur la
force de l’Esprit Saint. Une aide encore plus nécessaire si l’on considère à
quel point peuvent être amplifiées les difficultés intrinsèques de la
communication causées par les idéologies, l’appât du gain et du pouvoir, la
rivalité et les conflits entre différents individus ou groupes, ou encore à
cause de la fragilité humaine ou des maux sociaux. » (Le progrès rapide, 13)
Reconnaître
sa fragilité n’est pas du tout la chose la mieux partagée, à moins d’y être emmené
par des pratiques comme celle de la liturgie chrétienne de l’examen de
conscience, de l’humilité et de la demande de pardon. L’arrogance et
l’intolérance sont certainement des travers dans lesquels tombent facilement
les journalistes qui se donnent de fait le dernier mot même en considérant des
droits de réponse ménagés par les lois pour faire justice aux personnes
concernées par la presse.
Le
pape se fait plus rassurant à la fin de sa lettre apostolique :
« N’ayez
pas peur non plus de votre faiblesse et de vos incapacités ! Le divin
Maître a dit : ‘Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde’
(Mt 28,20). Communiquez le message d’espérance, de grâce et d’amour du Christ,
en maintenant toujours vive, en ce monde qui passe, l’éternelle perspective du
Ciel, perspective qu’aucun moyen de communication ne pourra jamais rejoindre
directement. » (Le progrès rapide,
14)
Les communicateurs
catholiques ont besoin de trouver des pasteurs qui les aident sur ce chemin de
la prière aussi, sur ce chemin du ciel. Les associations des communicateurs
catholiques devraient constituer des lieux d’un tel ressourcement. Ces lieux ne
se réduiront pas à des organisations syndicales ni à des clubs socioculturels.
Que les
ecclésiastiques, évêques, prêtres, religieuses et religieux accompagnateurs
soient eux-mêmes formés pour cette pastorale spécialisée. Depuis 1986, la congrégation
pour l’éducation catholique prévoyait bien la communication au programme de la
formation dans les grands séminaires, mais les bons professeurs manquent
parfois. Dans les noviciats et maisons de formation des consacrés, la formation
à la culture médiatique servira à éveiller les personnes à l’esprit critique, à
favoriser la vie fraternelle dans les communautés sans oublier la grande
dimension du service d’apostolat vis-à-vis des laïcs.
Au-delà
des cours d’initiation à la pratique des médias, on enseigne aussi la théologie
de la communication et la philosophie de la communication. Elles sont
indispensables.
5.
Philosophie
et théologie de la communication
Penser
la communication, c’est aussi y aller par la philosophie et la communication,
deux sciences essentielles dans la formation des pasteurs dans l’Eglise
catholique. Elles devraient figurer de façon obligatoire au programme de nos
écoles de journalisme et facultés de communication.
La
théologie nous rappellera que l’Eglise comme communauté est communion et communication.
La pensée de l’Eglise sur la communication sera ainsi enseignée, mais la
théologie concernera aussi l’itinéraire même de la relation entre Dieu et
l’humanité dans le plan du salut comme une prise de communication.
Même
la réponse de l’homme à Dieu dans la démarche de la foi est intrinsèquement une
prise de communication, qui requiert l’attention de la raison pour s’éclairer
dans la double dimension verticale et horizontale. Le défi de l’inculturation
comme évangélisation en profondeur et celui de la réconciliation, de la justice
et de la paix proposés comme pastorale aux Eglises d’Afrique et Madagascar
relèvera donc bien aussi de la théologie de la communication.
Quant
à la philosophie de la communication, elle se recommande pour problématiser et
expliciter à la fois la responsabilité humaine engagée dans la structure
dyadique de toute communication. La philosophie de la communication devrait
figurer au programme dans nos contextes où s’enseignent déjà les sciences et
les techniques de la communication mais où il s’avère nécessaire de soumettre
la relation interlocutive en tant que telle à la vigilance critique afin de
garantir la dignité humaine dans la justice et l’égalité. Les vertus et les
valeurs anthropologiques reconnues dans la sagesse des peuples d’Afrique et
dans l’humanité sont le gage du respect mutuel. On peut méditer cette sagesse
du philosophe français Francis Jacques : « Pour peu qu’on parle à un
esclave, on parle à un égal. » (Francis Jacques, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, P.U.F., Paris,
1979, p. 61).
L’exhortation
post-synodale Africae munus du pape
Benoît XVI peut éclairer d’autant mieux les enjeux de la paix, la justice et la
réconciliation. Il s’agit de mesurer la pleine responsabilité propre des
Africains mais aussi de vivre dans l’assurance la relation avec les autres,
avec l’Occident et tous les autres amis récents de l’Afrique qu’il faut bien accueillir
dans la solidarité et la perspicacité. Dans l’exhortation post-synodale Ecclesia in Africa, le pape Jean-Paul II
déplorait le fait que les moyens de communication sociale, gérés dans la partie
nord du monde, imposent à l’Afrique « une vision déformée de la vie et de
l’homme et qu’ainsi ils ne répondent pas aux exigences du vrai
développement » (Ecclesia in Africa,
66). Plus qu’à la théologie, c’est bien à la philosophie de la communication
qu’on demandera de nous apprendre le service de l’humain et cette vigilance
nécessaire pour vivre la mondialisation comme une chance et non une fatalité,
une de plus.
Conclusion
Les
Eglises d’Afrique s’engagent de plus en plus dans la communication. Avant de
(re)découvrir que la communication est dans leur nature, elles y sont obligées
par l’évolution, le progrès rapide des technologies de l’information et de la
communication.
Les
Eglises renaissent alors au devoir d’intelligence. La pensée sera un service
éminent à rendre à la société et à l’Eglise elle-même pour la croissance dans
l’autonomie, c’est-à-dire la capacité propre à gérer ses relations avec
soi-même et avec autrui.
Puissent
les facultés catholiques de communication et les écoles de journalisme de
l’Eglise catholique, professionnels de l’intelligence, devenir ou redevenir des
lieux et des instruments de ce service de la pensée vigilante pour relever les
défis pastoraux de la communion et du progrès des peuples.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
Centre de Recherche et
d’Education en Communication (CREC)
jbmalenge@gmail.com
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