Réconcilier pour un livre
Au cœur des jours
et des nuits
Réconcilier pour
un livre
Qu’auriez-vous fait, à ma
place, si vous aviez eu à réconcilier deux amis qui se sont brouillés autour
d’un livre ? L’un avait prêté à l’autre un livre précieux à ses propres yeux.
Le livre parle d’un missionnaire qui a vécu dans le pays au tout début du
vingtième siècle. Le livre est vieux, bien entendu, et le propriétaire a
justement pensé avoir fait une acquisition inestimable en achetant ce livre en
Europe sur un vieux marché de vieux livres. Ce livre n’était pas non plus ce
qu’il y a de plus beau.
Le livre raconte
l’histoire de notre pays et de l’évangélisation de notre pays, lorsque les
missionnaires étrangers ont eu un tout premier contact avec des peuples
congolais qui n’attendaient pas un Dieu étranger et qui ne se croyaient
l’esclave de personne. Voilà une petite idée du contenu du livre. Je
répète : la couverture et les autres pages étaient bien vieilles, pas du
tout de belle apparence. Mais mon ami, je répète, y tenait. Il avait cru à une
acquisition inestimable, et il ne pouvait prêter le précieux livre qu’à une
personne sûre, digne de confiance. Et un ami veut dire par définition une
personne sûre, digne de confiance.
Donc, mon ami a prêté le
précieux livre à un ami cher. Mais l’ami cher ne connaît pas la valeur d’un
livre cher. Dans sa vie, il a lu deux ou trois livres, pas plus. Il n’en a
jamais acheté un seul. Ce n’est pas l’argent qui lui manque. Il a bien un
diplôme universitaire, il a lu des notes de cours pour réussir,
vraisemblablement. On peut comprendre qu’il ait, sans scrupule, perdu le
précieux livre venu d’Europe. Un vieux livre d’ailleurs, a-t-il commenté
lorsque le propriétaire est venu le réclamer une année plus tard. Et la réponse
donnée en explication du fait que le livre était introuvable ressemblait à pire
qu’une gifle infligée à notre ami commun. Le propriétaire du livre s’est mis en
colère. Mais l’ami indélicat raconte toujours à qui veut l’entendre qu’il ne
croit pas qu’un vieux livre soit la vraie raison de la colère. Et voilà comment
deux amis de longue date en sont venus à se brouiller. Et je dois les
réconcilier.
Nous voilà partis pour un
langage de sourds. De sourds-muets. Qui peut écouter qui et qui parle pour qui
lorsque chacun a du livre un amour irrésistible ou un manque total
d’amour ? Ma difficulté, vous la comprenez bien parce que vous savez que
les premiers Africains évangélisés par les missionnaires ne savaient ni lire ni
écrire. Leurs descendants que nous sommes ont appris ou n’ont pas appris à lire
et à écrire, à aimer les livres ou à ne pas les aimer. Ils sont protestants ou
catholiques, peu importe. Il semble bien que beaucoup de ceux qui ont lu des
livres sur les bancs de l’école, sous obligation, les ont abandonnés ensuite,
s’y désintéressent, en tout cas. Il y en a de plus en plus, d’ailleurs, qui
commencent ou finissent l’université sans avoir jamais lu par eux-mêmes le
moindre petit livre. Ni par obligation ni, encore moins, pour le plaisir.
Ceux qui ont, au
contraire, attrapé le virus de la lecture semblent ne pas pouvoir en guérir.
Quel que soit leur âge. Entre ceux qui lisent et les autres, qui ne lisent pas,
la différence est comme celle qui sépare les adeptes d’une religion et les
profanes, les païens ou adorateurs d’autres divinités.
La religion chrétienne
est bien une religion du Livre. Jésus de Nazareth et ses ancêtres juifs ne
cessaient pas de se référer aux Ecritures. Jésus a lu les Ecritures lui-même.
Pour se faire connaître, Jésus a souvent ouvert les yeux de ses disciples à la
connaissance des Ecritures. Si beaucoup de Congolais qui se réclament de Jésus
de Nazareth ne semblent toujours pas le connaître ni le suivre vraiment, c’est
peut-être parce qu’ils ont perdu le sens de ces vieux livres, très vieux livres
qui expliquent le passé, le présent et l’avenir de Jésus, le Christ. Certains
le tiennent pour un talisman, un objet magique. Mais il y en a bien, dans les
cultures du monde, en Afrique et ailleurs, qui l’ont rencontré en lisant les
Ecritures à leur tour, pour leur compte personnel.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com
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