Vient de paraître : "L'essor de l'art chrétien congolais entre 1920 et 1960", par Hortanse Masina




Benoît AWAZI MBAMBI KUNGUA, Recension de l’Ouvrage de Hortanse MASINA Inana, L’essor de l’art chrétien congolais entre 1920-1960, L’Harmattan, Paris, 2020, 229 pages.




Du début à la fin, l’ouvrage est rédigé dans un style bien articulé, soutenu, limpide et théologiquement probant. L’auteure vient combler avec beaucoup d’à propos une lacune manifeste dans les élaborations théologiques contemporaines en Afrique, et plus particulièrement, en République démocratique du Congo. C’est avec habileté qu’elle a mentionné les travaux du Cardinal Joseph Albert Malula, de Jean-Marc Éla et d’Engelbert Mveng qui ont travaillé durant toutes leurs vies à l’éclosion des Églises africaines inculturées, se nourrissant de leurs propres théologies dans une posture d’autonomie, de responsabilité et de libération prophétique par rapport aux rémanences des schèmes européocentriques qui structurent encore aujourd’hui la vie quotidienne et les structures ecclésiales et idéologiques des Églises catholiques issues de la mission évangélisatrice et civilisatrice de l’Europe en Afrique coloniale depuis la Conférence de Berlin (novembre 1884-février 1885). 








Plusieurs raisons théologiques et philosophiques viennent renforcer la percée de cet ouvrage :

1/ Ce travail habilement mené s’inscrit résolument dans la mouvance fondamentale de l’inculturation de l’Évangile de Jésus-Christ dans l’âme, la vie, et les cultures des sociétés africaines contemporaines. Il s’agit d’une vaste dynamique de réappropriation du message, de la liturgie, des symboles et de l’architecture des églises par les chrétiens africains. Aujourd’hui, nous avons des artistes congolais qui produisent des œuvres d’art (images, icônes, sculptures, masques…) qui sont utilisées dans la liturgie ecclésiale, la catéchèse et la décoration des églises.
2/ L’auteure a pu restituer l’historicité de l’entrée timide des oeuvres d’art congolaises dans la liturgie dite « officielle » de l’Église catholique romaine au Congo. Depuis les premiers missionnaires portugais de la première évangélisation du Grand Royaume du Kongo (XVIème et XVIIème siècles) jusqu’à l’indépendance de la République démocratique du Congo, il convient de reconnaître la réticence, voire le refus des missionnaires européens à accepter l’entrée des oeuvres d’art congolaises dans la liturgie des Églises pour des raisons alléguées de primitivisme, de fétichisme, d’idolâtrie et de magisme des cultures africaines ancestrales et traditionnelles. Il convient de situer cette dépréciation des productions culturelles, religieuses et artistiques des Africains dans l’idéologie de supériorité raciale, civilisationnelle, théologique et philosophique des Européens sur les Africains. Raison idéologique et politique qui a sous-tendu en grande partie toute l’entreprise de la mission évangélisatrice et civilisatrice.

3/ L’auteure a mis en valeur la créativité des artistes congolais qui ont peint et sculpté des récits de l’Évangile (L’Annonciation à la Vierge, La Naissance, La Crucifixion, La Résurrection (…) en mettant l’emphase sur les oeuvres d’art de François-Xavier Goddard (artiste métis des parents belge et congolais) qui a légué aux Églises du Katanga, plus précisément de la ville de Ruwe, des oeuvres d’une grande puissance symbolique, spirituelle et catéchétique. Chaque peuple exprime à travers ses oeuvres d’art ses conceptions spécifiques du mystère de l’entrelacement de la vie et de la mort, de l’articulation dialectique entre le monde visible et invisible et des transactions complexes et dynamiques entre Dieu et ses créatures. À ce niveau culturel originaire, l’art congolais exprime l’intrication entre le monde des vivants (visible, cosmique) et celui des ancêtres (invisible, métaphysique) qui ont déjà franchi les abîmes de la mort. À la suite d’Engelbert Mveng, du Cardinal Malula et de Jean-Marc Éla, l’auteure insiste avec puissance sur la nécessité d’une revalorisation soutenue des productions artistiques congolaises – et africaines en général – dans la liturgie, la catéchèse et l’ornement des églises.
Dans des sociétés régies spontanément par la raison orale, les oeuvres d’art ont certainement un rôle initiatique, mnémotechnique et pédagogique car elles font entrer des images, des formes et des couleurs dans la mémoire du peuple analphabète, mais capable de déchiffrer l’infinité de sens charriée par la symbolique métaphysique des oeuvres d’art.
4/ Dans une religion de l’historicité, de l’incarnation, de la crucifixion et de la résurrection de Dieu, l’art humain est appelé à être subsumé dans le Mystère de Dieu qui se révèle en toute souveraineté. Donc l’intégration des oeuvres d’art africaines en général – et congolaises en particulier – dans la théologie, la liturgie et la catéchèse ecclésiales constitue un impératif substantiel de premier plan.
À ces quatre raisons philosophiques et théologiques susmentionnées, je félicite et encourage l’auteure d’avoir osé prendre sa place dans le paysage théologique congolais qui est encore massivement masculin, patriarcal, clérical et conservateur. Qu’une femme congolaise décide de s’engager dans l’acte de production d’une théologie écrite ici et maintenant, cela constitue un apport important dans l’effectuation concrète du tournant féminin et féministe de la théologie africaine postcoloniale1 dont l’un des acteurs est l’abbé Dieudonné Kibungu Bwanamuloko, du diocèse de Kindu, en République démocratique du Congo.
Dans la Préface de cet ouvrage courageux, j’insistais sur la nécessité pour les femmes chrétiennes africaines de s’investir avec conviction et détermination dans le grand chantier de l’élaboration d’une théologie africaine prophétique et libératrice, capable de faire émerger des chrétiens responsables dans la gestion des défis complexes et redoutables auxquels font face les sociétés majoritairement patriarcales et des Églises extraverties idéologiquement et matériellement par rapport aux Églises fondatrices, mais devenues minoritaires idéologiquement et politiquement en Europe et en Amérique du Nord.

Bravo Hortanse Masina Inana d’avoir publié son premier ouvrage et je lui souhaite une trajectoire théologique épanouissante et enrichissante dans le paysage social, ecclésial et académique en République démocratique du Congo


Benoît AWAZI MBAMBI KUNGUA
Philosophe, Sociologue et Théologien



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