Recencion : Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu, La guerre est un crime, Éditions Baobab, Kinshasa 2017, 144 pages


L’auteur amorce sa réflexion en racontant des mésaventures advenues aux personnes ayant vécu la guerre : une religieuse burkinabè, missionnaire à Brazzaville et qui raconte son calvaire durant la guerre de 1998 dans la forêt avec des prêtres et l’évêque. Les jeunes soldats devaient les accompagner jusqu’aux lieux d’aisance avec toutes les odeurs que cela implique… Un journaliste parlant de la rébellion de M 23 à Goma, parle aussi en termes de puanteur : « Ça pue du M 23 partout à Goma… » Oui la guerre pue la mort et la misère.

En Afrique, beaucoup de seigneurs de guerres et de chefs rebelles finissent par conquérir le pouvoir et acquièrent une légitimité internationale rapide selon les agendas des puissances hégémoniques qui fabriquent et régulent le commerce des armes dans le monde entier. Depuis les indépendances de façade obtenues dans les années 60, il y a des pays africains qui n’ont jamais connu de stabilité politique tels que : la République démocratique du Congo, les pays des Grands Lacs, le Mali, la Guinée, la République centrafricaine… C’est dans cette conjoncture mondiale des guerres idéologiques entre des groupes djihadistes et les démocraties libérales du monde occidental que le Pape François a inauguré son Pontificat en 2013, en protestant contre ces guerres injustes qui augmentent le nombre de morts et de réfugiés qui affrontent des mers, des déserts, des bandes armées et des réseaux esclavagistes et proxénètes internationaux qui s’enrichissent des victimes collatérales de la « troisième guerre mondiale par morceaux ». C’est contre cette mondialisation de la guerre et des flux migratoires que le Pape prêche pour la fraternité universelle et l’amour politique dans son encyclique Fratelli Tutti.

La combinaison entre la gestion chaotique des « indépendances africaines » et l’internationalisation des affrontements militaires entre les puissances hégémoniques en Afrique subsaharienne crée des conditions matérielles de déstructuration profonde des sociétés africaines et de disparition des valeurs de solidarité traditionnelle entre les générations sur le continent. L’ouvrage est constitué de trois chapitres.

Le premier chapitre brosse une phénoménologie politique de la guerre qui est qualifiée essentiellement « d’injuste » quelles que soient les raisons qui la justifient et l’expliquent par ailleurs. Le désastre postcolonial et l’absence d’une philosophie politique du « vivre ensemble » aujourd’hui en Afrique constitue le lieu originaire d’où se déroule toute réflexion sur la banalisation et l’exacerbation des violences partout en Afrique. En pointant le bellicisme de quelques grands philosophes modernes (Hegel, Heidegger, …), l’auteur semble assumer le rejet catégorique de la guerre par l’humaniste Érasme qui la relègue dans la zone de la folie humaine. Aucun prétexte basé sur l’animalité de l’homme ne  devrait servir de caution philosophique à la folie guerrière qui ravage l’humanité depuis l’aube des temps. Le Pape Jean-Paul II, à l’orée de son pontificat en 1979 qualifia Auschwitz comme le « Golgotha du monde moderne » qui est aussi la mort de l’idéologie rationaliste et européocentrique qui la sous-tendait dans ses projections impérialistes et colonialistes dans le monde. Le même Jean-Paul II, lors de sa visite à l’île de Gorée, le 22 février 1992, appelée « le sanctuaire de la douleur noire », qualifia la traite des Noirs et l’esclavage des Africains dans les Amériques « d’Holocauste méconnu ». L’auteur préconise la conception aristotélicienne de « l’homme comme animal politique doué de raison et de langage » pour créer une sphère publique où prévalent l’agir communicationnel et l’usage de la raison pour pacifier les pulsions violentes et animales de l’homme. L’auteur parle de la guerre de M 23 en 2012 à Goma et des prises de position controversées du philosophe Kä Mana qui appelait à un dialogue entre le chef rebelle Nkunda Batware et les autorités de Kinshasa. Certains milieux intellectuels et politiques ont accusé Kä Mana de travailler pour le compte de Pole Institute considéré comme proche du régime de Kigali. C’est le cas du père jésuite Toussaint Kafarhire Murhula, qui déplora un déficit de rigueur intellectuelle dans les propos de Kä Mana publiés dans le Potentiel. Fikirini, à son tour accuse Kä Mana de s’être inféodé à Nkunda Batware et de cautionner la guerre injuste qu’il inflige à la population de l’Est de la RDC, avec l’appui militaire de Kigali. Je restitue juste succinctement les controverses de la guerre de l’Est dans le monde philosophique congolais.

Le deuxième chapitre traite de la parole qui tue en temps de guerre. Les guerres nuisent aux paisibles populations à partir des propagandes dont jouissent les seigneurs de guerres de la part des médias du système mondial dominant. Cette mondialisation des réseaux sociaux (Twitter, You Tube, Whatsapp…) constitue le nerf de la guerre aujourd’hui dans la production et la diffusion internationale des informations et des propagandes sur les guerres néolibérales. Pour une fois, les couches populaires s’emparent de ces révolutions informatiques et communicationnelles pour se promouvoir en « instances journalistiques » dans le réseau médiatique mondial. Dans beaucoup de pays africains (Gabon, Burundi, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Guinée…), des régimes autoritaires coupent l’internet et d’autres moyens de communication pour empêcher des révoltes populaires lors des élections présidentielles ou référendums… Il arrive souvent que des journalistes des grandes puissances mondiales intègrent des régiments militaires et communiquent sur des guerres internationales sous la protection des militaires engagés dans la guerre. C’est ce que l’auteur appelle « journalistes embarqués. ». Contrairement à la Parole divine qui a créé le monde au commencement, la parole de la guerre apporte la mort en tuant les vivants. Le Pape François nous rappelle cette puissance créatrice de la Parole de Dieu qui s’est faite chair en Jésus-Christ pour sauver l’humanité pécheresse séduite par la parole  meurtrière du Diable. Ici la sociologie réflexive et critique de Pierre Bourdieu dévoile les enjeux de pouvoir symbolique induits dans des échanges linguistiques constitutifs des rapports de communication entre groupes sociaux donnés. Pour les reporters de guerres, jusqu’où faut-il diffuser des vidéos et images de crimes et d’assassinats et ne pas paraître comme des complices des terroristes et assassins ? Jusqu’à quelles limites déontologiques le journaliste peut-il diffuser certaines images sans transgresser le devoir du respect de la vie privée et de l’intimité des victimes des guerres et du terrorisme ? Ce chapitre réfléchit sur la responsabilité politique et éthique des journalistes dans les propagandes en faveur des seigneurs de guerre et des puissances militaires et médiatiques qui les embarquent dans des champs de bataille.

Le troisième et dernier chapitre traite de la prière en posant la question étonnante à première vue : « Faut-il prier pour la guerre ? » Dans les Béatitudes, Jésus invite à dépasser la loi du talion et à être des artisans de paix. Même la colère contre son frère est passible du tribunal de Dieu. C’est ce message de paix que les leaders religieux réunis à Assise réactivent chaque année. Le Pape François dans ses interventions publiques et officielles revient à temps et à contretemps sur la culture de la paix dans un monde où la raison du plus fort et le commerce des armes dictent l’agenda des affaires internationales. L’Afrique se présente comme le continent le plus vulnérable et le plus meurtri par les entreprises internationales de l’armement et de la prédation des ressources humaines, minières et naturelles dont elle regorge en abondance. En dépit des récits des guerres et des génocides des populations dans la Bible et de la guerre sainte (Djihad) dans le Coran, les religions ne prient jamais pour la guerre, mais implorent la grâce de Dieu pour la pacification des relations entre les peuples, les cultures et les races qui peuplent notre planète, terre. Jésus-Christ prend sur sa personne les haines et les violences des hommes et prêche un Évangile de la non-violence, de la non-vengeance et de l’amour inconditionnel – y compris des ennemis et de ceux qui nous persécutent et nous oppriment. Malheureusement, il est à déplorer que des seigneurs de guerre en RDC et dans des pays des Grands Lacs instrumentalisent le nom de Dieu pour justifier leurs rapines. Durant les rébellions qui ont saigné le Congo depuis 1997 jusqu’aujourd’hui, les envahisseurs ont assassiné des évêques, des prêtres et des religieuses pour affaiblir la capacité de résistance prophétique de l’Église catholique. La mort de Mgr Munzihirwa et de Mgr Kataliko ainsi que de nombreux prêtres, religieuses et chrétiens constituent des témoignages de martyr des hommes d’Église contre les guerres sanglantes imposées aux populations congolaises par des armées étrangères depuis la chute de Mobutu en 1997 jusqu’aujourd’hui.

 

En substance, l’auteur soulève la question de l’explosion du métier de journaliste dans une conjoncture internationale belliqueuse et conflictuelle à la faveur de la massification des médias de masse sur fond des révolutions numériques et informatiques. (Je renvoie ici à l’ouvrage de Ignacio Ramonet, l’Explosion du journalisme. Des Médias de masse à la masse des médias, Galilée, Paris, 2011, 155 pages, ISBN : 978-2-7186-0835-8, Prix : 18 €.). Cette médiatisation outrancière des guerres et conflits pose la question de la responsabilité des journalistes, des philosophes et des théologiens dans des régions à guerres endémiques comme la République démocratique du Congo et la région des Grands lacs. Comment assumer la vocation critique et rationnelle de la philosophie et la vocation iconoclaste et eschatologique du théologien et du pasteur dans un pays où le vide de l’État crée une situation d’anomie normalisée et donc, banalisée ? Plusieurs seigneurs de guerre et chefs rebelles en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Burundi et en Ouganda se sont déclarés en même temps « pasteurs » et « chefs d’Églises ». Durant le génocide au Rwanda en 1994, des prêtres et évêques catholiques furent accusés par les autorités du FPR d’avoir participé aux massacres interethniques. La haine tribale endémique entre Tutsis et Hutus au Rwanda et au Burundi constitue une épreuve de feu pour la crédibilité de l’Église dans ces deux pays. Ce qui pose frontalement le cancer du tribalisme dans toutes les sociétés d’Afrique subsaharienne.

La violence de l’espèce humaine est au cœur de la révélation biblique, de la genèse à l’apocalypse. Dès le début de la Genèse, Caïn (agriculteur) a tué son frère Abel (éleveur) par jalousie à cause de l’agrément par Dieu de l’offrande de ce dernier. (Genèse 4, 1-15). Quelques chapitres après ce premier meurtre de l’humanité, c’est Dieu lui-même en personne qui se repent d’avoir créé l’être humain : «  Noé éleva un autel pour le Seigneur. Il prit de tout bétail pur, de tout oiseau pur et il offrit des holocaustes sur l’autel. Le Seigneur respira le parfum apaisant et se dit en lui-même : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. « Tant que la terre durera, semailles et moissons, froid et chaleur, été et hiver, jour et nuit jamais ne cesseront. » (Genèse 8, 20-22).

Il importe d’avoir en mémoire cette violence inhérente à l’espèce humaine qui peut être plus meurtrière que dans l’espèce animale privée de raison. Cette donnée de la génétique rend impérieuse la nécessité de la vigilance de la raison philosophique et de la raison théologique dans une Afrique qui régresse sur tous les fronts de la vie politique et sociale durant la gestion chaotique des indépendances de façade octroyées par les puissances impérialistes dans les années 60. Je recommande mes préfaces aux ouvrages sous presse de l’abbé Nestor Salumu Ndalibandu qui réfléchit sur la responsabilité politique du philosophe dans une Afrique ravagée par des guerres récurrentes, la corruption rampante et les luttes ethno-tribales. Lire mes préfaces suivantes : « Pour une phénoménologie politique de la guerre en Afrique », Préface du Professeur Benoît Awazi Mbambi Kungua à l’ouvrage de Nestor Salumu Ndalibandu, LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DU PHILOSOPHE FACE À LA GUERRE EN AFRIQUE. Enjeux  et perspectives, L’Harmattan, Paris, 2022  & « La philosophie africaine à l’épreuve de la prophétie dans la mondialisation », Préface du Professeur Benoît Awazi Mbambi Kungua à l’ouvrage de Nestor Salumu Ndalibandu, LA PHILOSOPHIE AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ  EN AFRIQUE. Cas de la RDC, L’Harmattan, Paris, 2022.

Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA

benkung01@yahoo.fr

Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d’Afrique noire et des diasporas, Ottawa, Canada 

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