Préface à "L'engagement au service de la communauté ecclésiale"


Sous la direction de Bucyalimwe Mararo Stanislas et Serufuri Hakiza Paul, L'engagement au service de la communauté ecclésiale. Mélanges en hommage à Mgr Louis de Gonzague Nzabanita Sebakara alias NZASE (1959-2019)

 Préface  par Jean-Baptiste Malenge Kalunzu, omi[1]

Voici une bonne nouvelle du Kivu ! La vie et la mort de Mgr Louis de Gonzague Nzabanita Sebakara, vicaire général du diocèse de Goma, consolent du fatalisme auquel les médias ont trop voué la région est de la République démocratique du Congo.

Un homme de foi, serviteur de Dieu et de son peuple, allume l’espérance en Dieu et la confiance dans l’humanité, alors même que l’histoire récente et l’environnement semblaient afficher le triomphe implacable de la violence, de l’hostilité et de la mort. Le Christ a vaincu la mort, et le serviteur du Christ célèbre cette victoire par sa propre vie et jusque dans sa propre mort.

Depuis les années 1990, l’essor de l’internet et de ses déclinaisons en réseaux sociaux a favorisé la diffusion des nouvelles des provinces du pays. La grande province du Kivu occupe régulièrement la une des médias, défrayant la chronique avec une cohorte de malheurs. « Je suis Goma » : ainsi s’articule la compassion pour des compatriotes qui semblent traverser un véritable chemin de croix. On invoque la pitié du monde en même temps que l’on prie Dieu pour écarter le malheur. Célébrer l’engagement de Mgr Nzabanita au service de la communauté ecclésiale, c’est produire, traiter et transmettre une bonne nouvelle de la paix dans le Kivu et sortir de la rengaine du malheur, sans transiger avec la recherche et la poursuite de la justice et de la vérité.

Les Mélanges en hommage à Louis Nzabanita sont une expression « scientifique » des sanglots émis de près ou de loin à la mort de cet illustre disparu en octobre 2019. Les échos sont parvenus jusqu’au lointain, mais dans le pays, des pleurs venus du Nord-Kivu, quels qu’ils soient, peuvent avoir suscité le même effet : depuis bien des années, on meurt beaucoup, on s’entretue, et les éléments se déchaînent aussi souvent que les guerres. Après les conflits du Masisi, la guerre de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL) et celle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), une éruption volcanique a endeuillé Goma avant le Congrès National pour la Démocratie et le Progrès (CNDP) et le Mouvement du 23 mars, sans oublier les massacres incessants actuels imputés notamment à des islamistes djihadistes sévissant en particulier dans le nord du Nord-Kivu.

Partout et à Jomba, région natale de Louis de Gonzague Nzabanita, on en est donc chaque jour à l’affût d’une bonne nouvelle pour conjurer le deuil. Et paradoxalement, la mort de Louis de Gonzague Nzabanita peut retenir l’attention comme une bonne nouvelle tranchant avec le fatalisme et la rengaine du malheur. Les différents témoignages relèvent dans ces Mélanges de tant de bonnes raisons d’évoquer avec reconnaissance le personnage reconnu dans ses singularités de frère en humanité, de prêtre de Jésus-Christ, de citoyen congolais épris du souci du développement de son peuple.

Ses funérailles ont draîné un « monde fou » venu aussi bien de Goma que d’ailleurs pour signifier la diversité des hommages et la richesse du personnage. Comme dans l’évangile qui s’accomplit, ces funérailles donnèrent à compter aussi bien des dignitaires et autres protocolaires que d’illustres inconnus et des anonymes intéressés. Les auteurs des Mélanges rendent témoignage du grand, bon cœur du défunt. La reconnaissance en humanité interdit les controverses stériles. Et c’est à la mort que se révèle véritablement l’identité de chacun pour laisser ainsi s’apprécier les qualités du cœur.

Epinglons ces témoignages rappelant combien Louis de Gonzague Nzabanita aimait non seulement les séminaristes destinés à le rejoindre dans le sacerdoce mais aussi la jeunesse en général et en particulier les plus pauvres, à qui il offrit la chance de s’instruire pour se frayer un avenir. Nzabanita a créé une école, convaincu que l’instruction peut offrir le développement humain et la liberté de la personnalité. Il a cherché des bienfaiteurs, payé les études de dizaines de pauvres, notamment des orphelins. Il leur a donné ce qu’ils tiendront pour le sens de leur vie ou celui de leurs proches.

Il nous est ainsi donné de suivre l’action généreuse d’un humaniste. Il misait sur l’appartenance commune à l’humanité et au peuple du Nord-Kivu. Par-delà la diversité des origines tribales, il visait l’amour et la fraternité. C’est la foi chrétienne qui parle au cœur alors que le Kivu comme toute la République démocratique du Congo et l’Afrique voire le monde entier recherchent des voies de la cohabitation pacifique des peuples.

Les yeux fixés sur la croix du Christ, Louis Nzabanita s’est laissé pénétrer du sens de l’humilité dans sa vie personnelle. Il a puisé dans la relation intime avec Dieu les forces du sacrifice pour aimer son semblable et pour aimer jusqu’à ses ennemis, pour leur pardonner de tout son coeur. Les témoignages et hommages font bien ressentir combien le besoin de fraternité est ressenti comme un idéal de vie. Les auteurs décrivent à qui mieux mieux le contexte de vie et de ministère pastoral voire de mort comme celui d’un conflit permanent alimenté de soupçons et de luttes fratricides…. Sept fois, Louis Nzabanita a échappé à la mort. Il s’est mêlé à la foule des réfugiés, des déplacés internes, fuyant la guerre. Il a essuyé la calomnie et l’injustice. Il a pardonné. Il a reçu des « nominations difficiles », il a vécu dans des zones d’insécurité, et pourtant, on garde de lui le souvenir d’un cœur joyeux, au sourire, à l’humour indéfectible. Son optimisme en influençait d’autres. Et sa vie ne pouvait qu’apparaître comme une bonne nouvelle pour le Kivu meurtri.

On pourrait afficher en regard d’autres contextes du monde et de l’Afrique et laisser voir combien le défi est permanent, celui de la représentation de soi puis des uns sur les autres, de la dialectique entre « mission universelle et tribalité[2] », contre toute controverse identitaire. Entre « rwandophobie », « tutsiphobie » ou « hutuphobie » voire « hundephobie », par exemple, l’« environnement pervers » de Goma n’est-il pas le même que celui qui fit clouer sur la croix un innocent associé à des bandits et devenu célèbre dans le monde entier ? Combien de complots et de démons Jésus n’a-t-il pas affrontés, et sa vie n’est-elle pas marquée notamment par la trahison d’un proche devenu tout aussi célèbre ? Il s’agit de l’environnement interne immédiat mais aussi de l’impact du voisinage hostile, belliqueux.

Le diocèse de Goma, comme tout autre, est appelé à exorciser ses propres démons, à relever le défi de la bonne gouvernance. Mais le paradigme ne peut être celui du monde politique. Les chrétiens, éclairés par les défis du pays et de la région, devraient laisser retentir une autre voix. Le sommet est tout l’impératif de la foi chrétienne articulée dans l’enseignement social de l’Eglise. Il rappelle, par exemple, la neutralité positive de tout ecclésiastique en matière d’exercice de la politique. Les fidèles laïcs de Goma s’instruiront d’autant de leur rôle de briller comme des ambassadeurs du Christ et de faire briller la flamme de l’évangile dans la sphère politique. Les prêtres comme les laïcs apprendront ensemble l’enseignement social de l’Eglise et méditeront l’histoire particulière de leur diocèse. L’histoire « attend tous au tournant ». Ils éviteront surtout toute confusion. Au niveau national, on ne déplore que trop, depuis des années, l’instrumentalisation facile ou subtile des pasteurs et de l’opinion catholique par des camps politiques. Si la politique est une manière excellente de la pratique de la charité, il faudrait bien délimiter les domaines, bien considérer l’histoire pour évaluer, examiner la portée du fait religieux congolais dans la collusion/collision avec le politique. Le discernement ne semble pas facile, et il faudrait donc y aller à la fois avec le sentir du peuple et la boussole de l’enseignement évangélique assumé par l’histoire de l’Eglise. La fraternité n’apparaît-elle pas comme le véritable défi de l’Eglise ?

Louis Nzabanita était un prêtre de Jésus-Christ. Il avait aspiré au sacerdoce depuis l’enfance. Et il y est parvenu non sans difficultés de parcours. Pour avoir subi l’injustice dès sa formation au petit séminaire, il est devenu plus tard sensible à toutes les questions de justice et de paix, de discrimination et d’exclusion. On retient qu’il était un prêtre dynamique, inventif. Mais surtout qu’il aimait le diocèse de Goma et qu’il aimait l’Eglise. Il aimait ses confrères prêtres, sans acception de personne ni de groupe. Serviteur de Dieu, homme de foi et d’amour, disponible, serviable, ouvert, fraternel, homme juste, artisan de paix, d’unité et de dialogue.

Le vicaire général de Goma a refleté le cœur généreux de Jésus-Christ, affrontant en conscience bien des risques, visitant les zones d’insécurité et cherchant à consoler et à réhabiliter des cas difficiles ou désespérés. Voilà un prêtre dans un pays de précarité : il apparaît comme un dispensateur de la richesse et du développement. Nzabanita a laissé l’image d’un initiateur dynamique. Les témoignages renvoient bien à la dimension spirituelle du prêtre dévoué. Ainsi son attachement à la Vierge Marie. Ainsi la clairvoyance dans les rapports avec la famille biologique distincte de la fraternité des prêtres de Goma, de sa communauté, de son diocèse et de l’Eglise.

Mais la générosité de l’homme va au-delà de l’aumône et de la charité du quotidien. Mgr Nzabanita a aussi représenté une figure pour l’idéal de la paix et de la réconciliation. Ces valeurs ne sont tenables à long terme que lorsque le combat qui les porte vise les valeurs dans les institutions à mettre en place ou à corriger. Le Kivu et l’est de la RDC déchirés par bien des années de guerre avaient bien besoin d’une âme pacificatrice comme celle du vicaire général du diocèse de Goma. Son engagement exemplaire en faveur des Œuvres Pontificales Missionnaires signifie combien l’Eglise universelle s’imprègne dans le monde pour l’imprégner des valeurs chrétiennes. Comment l’Eglise marquera-t-elle durablement la société congolaise sans se disputer l’initiative avec l’activité politique pour laquelle les pasteurs ne sont pas les meilleurs champions ? Louis Nzabanita, sans élaborer une théologie, l’a enseigné par son engagement.

Sans doute qu’avec la solidarité et le cœur bon d’un Nzabanita, on ressent moins  les affres, les ardeurs de la nature et de l’humanité. Les sanglots à peine étouffés de la région de Goma ne remontent pas toujours aux secousses telluriques, à l’imprévoyance des volcans, à l’inhospitalité du climat ou du relief. Il y a aussi et surtout la méchanceté des hommes. Des guerres se sont déclenchées à Goma. On les attribue à la cupidité et à la négligence des Congolaises et des Congolais, à la convoitise des voisins, mais surtout à l’inimitié des parentés, des ethnies, et donc d’abord des personnes. Nzabanita n’a pas élaboré de pensée politique ni théologique. Mais sa vie aura laissé poser la question de savoir comment témoigner au quotidien de la foi en Jésus-Christ et se montrer son disciple et rassembleur avec lui ?

 

A tout prendre, les hommages à Mgr Nzabanita sont plus qu’un bouquet de fleurs déposées sur la tombe d’un illustre disparu. Au fil du temps, les fleurs se fanent et disparaissent. Mais dans les cœurs de beaucoup, le bouquet des présents Mélanges devront rester comme une touffe bigarrée de plantes et fleurs germant et croissant du terrain fécond de Goma bien nourri par la lave de l’histoire et de la nature tumultueuse, dans le climat tempéré, pour consoler les cœurs endoloris ou raidis mais attendris par toute la sève de l’humanité et surtout de la foi en Jésus-Christ. Louis Nzabanita aura montré par sa vie et sa mort sa proximité avec ce frère universel au cœur des jours particuliers dans l’histoire particulière. Nzabanita n’est pas mort !

Les Mélanges ne sont pas une couronne tressée autour de la tête d’un saint. Ce sont des témoignages sur un frère en humanité et dans la foi, un disciple de Jésus-Christ, l’homme qui apprit à honorer profondément l’humanité en chacun et dans chaque famille.

Les Mélanges ouvrent sur une remise en question de soi-même, sur un gros point d’interrogation à porter chacun sur son front : jusqu’où suis-je allé en humanité ? Ils nous donnent la possibilité et nous invite à jeter un regard neuf en nous et autour de nous. Ces Mélanges sont surtout une bonne nouvelle pour le Kivu.



[1] [1] Jean-Baptiste Malenge Kalunzu est prêtre, membre  des  Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (o.m.i.) et Professeur à l’Université De Mazenod, à Kinshasa. Docteur en Philosophie et diplômé en communication de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique), il a publié sa thèse de doctorat sous le titre : Philosophie africaine, philosophie de la communication. L’Universel au cœur du particulier, Paris, L’Harmattan, 2012 (et Kinshasa, Baobab, 2011). Intellectuel brillant, philosophe, théologien, écrivain talentueux et journaliste, il est Correspondant de Radio Vatican et, depuis 2012, Rédacteur en chef de la Revue Africaine de Sciences de la Mission. Enfin, depuis avril 2020, il publie chaque jour sur Internet (et WhatsApp) une émission intitulée : La Vie ou la Mort face au Coronavirus, à écouter pendant 30 minutes.

[2] Lire : Jean-Pierre BWALWEL et Jean-Baptiste MALENGE (sous la direction de), Mission universelle et tribalité, Baobab, Kinshasa, 2020.

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