Vient de paraître : "Nicaise Kibel'Bel, L'Etat islamique en Afrique centrale". Préface de Jean-Baptiste Malenge

 

 

Préface

Les faits sont têtus, dit l’adage prisé par les journalistes. Nicaise Kibel’Bel se montre aussi têtu : il s’accroche aux faits pour raconter comme journaliste en même temps qu’il avise comme essayiste sur le terrorisme dans l’est de la République démocratique du Congo. Pourtant, enchaînant des livres sur le même sujet apparent, l’auteur entend bien se garder de la monotonie. Le voilà aborder aujourd’hui « l’Etat islamique en Afrique centrale ». En fait, il approfondit et élargit son propos : « De la RDC (ADF/MTM) au Mozambique (Al Sunnah) ». L’auteur souhaite intéresser « les vrais lecteurs, militaires, décideurs politiques, universitaires… » Mais il a beau cibler des lecteurs, il n’a aucun pouvoir épistémologique d’en exclure d’autres. Son œuvre est livrée à tout vent et à tout venant, puisqu’il s’agit d’un sujet aussi brûlant que celui de la souffrance d’un peuple qui cherche au loin et partout ses bourreaux alors qu’ils paraissent plus que jamais proches. Sans prétendre donner de leçons à l’armée, Kibel’Bel se profile de plus en plus comme une consultance utile. Il a bien mérité, comme il le signale, d’être écouté aussi par les auditeurs de l’École de Guerre de Kinshasa, à Kinshasa comme à Goma.

Le nouveau livre de Kibel’Bel enrichit l’information en indiquant le lien fort parfois insoupçonné entre les islamistes sévissant dans l’est de la RDC et ceux qui ensanglantent le nord du Mozambique. Le couloir se dessine même à double sens, de l’avis de l’auteur. On peut considérer des facettes du même prisme et reconnaître ainsi aussi bien l’Ouganda, la Somalie, le Soudan que la Tanzanie et le Mozambique, notamment. Le jihad ou terrorisme islamique n’a pas besoin de visa ni de passeport.

Abou Omar (nom de code) avait séjourné à Mwalika. Il est entré sur le sol congolais à partir de Kalemie en provenance de Kigoma (Tanzanie) par vol de la compagnie CAA. L’itinéraire suivi fut Turquie- Dar-Es Saalam - Kigoma-Kalemie-Goma. A Goma, il est logé dans un hôtel qu’il dit ne pas savoir situer avant de prendre une voiture jusqu’à Butembo où il sera logé dans une résidence. Le 14 août 2021, un contact le récupère sur moto jusqu’à Isale avant de rejoindre Mwalika. Sur place, il trouve un certain Abou Akir, instructeur sur la fabrication de bombes artisanales. Lors des opérations lancées sur Mwalika, ils sont déplacés aux confluents des rivières Talya et Mwalika. Pourchassés par les bombardements, ils traversent pour la Semuliki. L’attaque de Kilya le 14 septembre 2021 lui fait changer d’itinéraire pour regagner Butembo. Comme pour les deux Britanniques, son passeport n’est pas estampillé : aucun visa de l’aéroport de Kalemie ni celui de Goma moins encore de Kigoma. Aucune trace d’entrée et de séjour sur le sol congolais.

 

Nicaise Kibel’Bel a consacré de précédents livres sur la présence du jihad pour affirmer combien le terrorisme islamiste en RD Congo était mal connu voire ignoré. Les faits ont fini par lui donner raison et surclasser ainsi un débat futile. Même si la vie n’est pas finie et qu’il convient donc de s’instruire toujours et d’investiguer comme bon journaliste. Les faits têtus ne peuvent se soumettre aux velléités des uns et des autres. Les chefs rebelles, jihadistes ou autres, ont beau changer d’alliance et le cours de leurs batailles.

La plume de Kibel-Bel a le mérite de rapporter des faits en bon journaliste d’investigation. Mais le directeur du Centre d’Etudes et Recherches Géopolitiques de l’Est du Congo (C.E.R.G.E.C.) est aussi un essayiste, un écrivain qui travaille non seulement sur des éléments de fait mais aussi sur la forme, l’organisation du récit qu’il transmet. Le besoin de l’art amène l’auteur à plus d’attention sur la cohérence d’un propos destiné à durer pour affronter et même défier le temps. Voilà pourquoi, à la surprise des lecteurs pressés, notre auteur prend les précautions nécessaires pour gager sur l’avenir.

Or, c’est justement cette double qualité de fidélité à la réalité et d’attention à la longue durée qui ménagent les lecteurs assidus : ils ont raison de prendre rendez-vous avec cet auteur qui connaît le sujet, n’invente pas, ne divague pas, mais aussi permet de s’instruire au-delà de toute pression de la rumeur et donc de se faire une intelligence réelle de l’actualité dans l’est de la RDC et de l’Afrique. On apprend ainsi que l’Afrique centrale, dans le répertoire du jihadisme, s’étend de la République démocratique du Congo au Mozambique !

L’auteur s’emploie à coupler l’investigation sur terrain avec la réflexion sur des problèmes géopolitiques et géostratégiques. Il peut ainsi à juste titre et avec pertinence se projeter au-delà de la seule aire géographique de l’est de la RDC ou de l’Afrique. Le terrorisme est un phénomène mondial, et la réflexion bien menée sur un terrain en vaudra d’autant légitimement pour d’autres. On comprend aisément comment, par exemple, une petite rébellion ougandaise né sur le sol congolais devient d’abord un petit mouvement jihadiste puis une filiale à part entière de l’Etat islamiste. Un itinéraire se dessine sur des faits conjoncturels et aboutit à l’intelligence de la raison islamiste, si l’on ose dire.

L’actualité donne raison à Kibel-Bel contre ses nombreux détracteurs et contradicteurs. Certains ont fait prévaloir leurs intentions légitimes ou illégitimes, comme si l’on pouvait vraiment lire les intentions cachées dans le cœur de l’homme sans avoir considéré avec rigueur des propos de ses lèvres ou de ses doigts et de sa plume. L’actualité a fini par donner raison à Kibel’Bel, non parce qu’il serait doué de capacités de voyance et aurait précédé les faits mais parce qu’il est fidèle à la lecture rigoureuse des faits de sorte qu’il en découle comme une anticipation logique pour la suite des événements. Dans la bonne foi, chacun devrait s’interdire des procès d’intention. Mais dans les événements de l’est de la République démocratique du Congo, la recherche de la vérité risque fort souvent de pâtir des multiples justifications d’actions et de passions. L’on est si souvent tenaillé par des questions immédiates de vie ou de mort.

Il faut espérer avec Kibel’Bel que l’on mettra bien fin un jour à la guerre, qui n’est pas un mal nécessaire. Mais au regard des contradictions et des incohérences, qui montrent les Congolais en train de se combattre, oubliant même d’identifier l’ennemi commun, n’est-on pas en droit de croire que la pire guerre est celle que le Congolais se mène en interne, dans sa propre communauté et dans son propre cœur et son esprit ? Nous voilà renvoyé à l’enseignement biblique voire coranique qui invite d’abord au combat spirituel, à la conversion intérieure.

Nicaise Kibel’Bel avertit opportunément sur la plus redoutable arme des jihadistes de l’est de la RDC: la complicité active ou passive des individus et des communautés se trompant d’ennemi. La question est troublante et bouleversante. Mais l’auteur y va sans ménagement. Il assume la controverse qui lui attire bien des incompréhensions depuis des années. Il persiste en pointant la responsabilité interne. Avant l’agression extérieure, ce qui ensanglante les terres congolaises consiste dans le mercantilisme, des questions foncières et des conflits de succession. Kibel’Bel signale, sur terrain, la prédominance des milices locales dites des patriotes mai-mai. Il y en a 120 dans la seule province du Nord-Kivu. Ces mouvements et d’autres sont souvent opposés à l’armée nationale mais se montrent laxistes vis-à-vis de forces étrangères. Ils deviennent ainsi des relais suspects. D’où la confusion entretenue pour retarder l’avènement de la paix.

Or, pour Kibel’Bel, si l’espionnage est aussi vieux que la prostitution et que des infiltrés, des traîtres et des agents doubles participent des stratégies de guerre, il convient bien de reconnaître la supériorité des jihadistes sur les forces gouvernementales en intelligence et en renseignement. Ce livre est riche d’exemples historiques, proches ou lointains, qui établissent la victoire militaire conquise grâce à la réflexion, à l’intelligence voire à la ruse. De la Bible aux anciens Grecs ou Romains et jusqu’aux situations de belligérance modernes en Afrique et dans le monde. Il s’agit souvent de jouer la fable bien connue de Jean de La Fontaine : Le corbeau et le renard. Dans une guerre asymétrique comme celle du terrorisme dans l’est de la RDC, la ruse de l’ennemi est une arme bien plus déterminante qui désarçonne l’armée régulière.

Le présent livre de Kibel’Bel est sans nul doute le plus érudit de tous. Le lecteur y reconnaîtra la richesse de l’investigation fouillée qui fait la force et la réputation de l’auteur. Il s’y ajoute la capacité et la qualité de l’information qui démontre l’imbrication et l’internationalisation. Non seulement il décrit les axes allant de la Turquie jusqu’en Afrique du Sud, notamment, mais il révèle aussi l’armature intellectuelle qui permet d’analyser et de comprendre combien la RDC est un maillon qui risque la faiblesse dans l’entremêlement du terrorisme mondial. L’Afrique est le terreau fécond dans les réseaux du terrorisme des temps modernes. Et l’auteur fait réfléchir, par exemple, sur le paradoxe que tout Congolais se doit se méditer :

« Depuis la fin de la guerre froide, l’est de la RDC expérimente la violence et s’y habitue. Curieusement, c’est la partie du pays qui attire humanitaires et multinationales, touristes et aventuriers de tout genre. Là aussi se brasse de l’argent sale. Des immeubles poussent comme des champignons contrastant avec le reste du pays où règne un calme relatif. On ne peut pas espérer gagner cette guerre en ne se focalisant que sur un seul ennemi ayant tissé des liens avec la population locale. »

Sans absoudre le jihadisme international, Kibel’Bel a bien le mérite de porter l’examen de conscience sur les individus et les communautés. Où en sommes-nous avec la résistance ? On se prend à rêver du jour où l’autodéfense s’organisera dans l’est de la République démocratique du Congo si riche en milices tribales. Comment des terroristes à armes blanches résisteraient-ils longtemps à un sursaut patriotique qui ne s’épuiserait pas à discréditer les forces armées nationales ni à attendre le renversement du pouvoir politique gouvernemental, qui n’a que trop montré ses insuffisances et incapacités ?

 

Jean-Baptiste Malenge

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